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Ecrit le 19 avril 2022
Dans la perspective du deucxième tour des électiosn résidentielles, nous empruntons ci-dessous des articles publiés dans d’autres journaux.
Dans Libération, article de Denis Podalydès, 16 avril 2022 :
Maquillage, habillage, mensonge et préservation du fonds sordide
Je survole quelques pages de Libération, et je tombe sur ces lignes« ‰ : »De votre vote dépend la place que, dans notre société, nous voulons donner aux personnes face aux pouvoirs de l’argent. Je pense à la solidarité envers les plus vulnérables, la possibilité de jouir de droits garantis ou encore d’accéder à la retraite en bonne santé." c’est de mélenchon, me dis-je, ou d’un autre candidat de gauche.
Non, Marine le Pen"‰ !
Ce n’est pas la première fois qu’elle imite et s’approprie le discours de gauche le plus ancré. c’est même une confiscation. Se faire passer, devant Macron, dénoncé comme le candidat des riches, des villes et de la technocratie élitiste, pour la candidate de la gauche, de la France populaire, provinciale, ouvrière et paysanne, oubliée des élites méprisantes, voilà le tour de force le plus éhonté qui soit.
Marine Le Pen préside le Rassemblement national, naguère Front national, parti d’extrême droite, créé par son père (certes rangé au placard), né de la colère et de la haine de Français hostiles à la démocratie, aux étrangers, aux juifs (les riches), attachés aux colonies, défenseurs de la torture en Algérie, de la peine de mort, anciens collabos, anciens nazis, séditieux, factieux, racistes à plein nez, etc. On connaît : ou on oublie ? : cette histoire, ce pan honteux de notre histoire nationale la plus délétère, la plus éloignée de tout progressisme.
Si Marine le Pen avait été soucieuse de trancher réellement avec ce passé, ne l’aurait-elle pas publiquement dénoncé« ‰ ? n’aurait-elle pas tenu un discours de repentance, au minimum, n’aurait-elle pas organisé un aggiornamento qui l’aurait détachée officiellement de cette origine et de cette idéologie »‰ ?
Elle n’en a rien fait. Nulle repentance. Aucun discours rétroactif susceptible, au moins, de la distinguer de la nature antidémocratique, antirépublicaine de son mouvement rénové en façade. Et tout le monde a accepté. On l’a « banalisée », (mieux que « dédiabolisée », on n’entend même plus le « diable »), les médias l’ont reçue comme ils reçoivent les autres. Candidate normale.
Par une soigneuse campagne de communication, qui a dû coûter très cher tant il y avait de travail : mais cette femme est très riche :, et grâce au providentiel Zemmour qui a récupéré et transformé en puissance rhétorique toute la violence structurelle contenue dans le discours nationaliste et l’a un certain temps laissée sur sa gauche, elle s’est muée en large sourire, en mère élevant seule ses enfants, en tendre protectrice, entourée de chats et de jeunes gens qui ont tombé bombers, Doc Martens et poings américains : antisémitisme, racisme ouvert, « grand remplacement » non pas dénoncés mais jugés « ringards » dans leur forme de présentation : et ont affecté le profil de quasi ministrables. Elle parle même, non pas de « la » liberté, mais des « libertés ». J’ai même lu en bas d’une affiche« ‰ : »libertés chéries« ‰ ! »
Maquillage, habillage, mensonge et préservation du fonds sordide.
Le programme est en fait assez transparent si on prend la peine de le lire.
Que restera-t-il du discours de gauche une fois au pouvoir ? La retraite à 60 ans ? La revalorisation des salaires, des allocations, du RSA , du système de santé ?
Il y aura d’abord et avant tout l’autorité. Le peuple qui l’aura élue se verra à la fois couronné et muselé par un discours national censé lui rendre sa fierté. Le reste viendra ensuite et pas du tout. Marine le Pen au pouvoir se réconciliera parfaitement avec le Medef, le système libéral, les puissances d’argent avec lesquelles elle trouvera de nouvelles alliances, probablement dans une autre rhétorique. Elle découvrira de nouveaux « patriotes », aimant la France éternelle, soucieux de participer à la « reconstruction nationale ».
Le peuple bien aimé, protégé, aura une belle police régénérée, augmentée, réarmée. Il s’entendra répéter tout ce qu’il entend aujourd’hui, mais il ne faudra pas qu’il soit impatient sur les réformes, ni qu’il réponde, sinon par l’enthousiasme, ni qu’il s’insurge contre les violences, exactions, reconductions aux frontières, charters d’Africains du Nord et du Sud, qui volaient le travail des Français, à qui celui-ci sera rendu. Il sera sommé d’en être content. Il sera décrété content.
Il y a fort à parier, il y aura même pour elle nécessité, que le discours de gauche qui l’aura conduite au pouvoir soit remisé, recyclé, peu à peu oublié. Ce n’est pas, mais pas du tout, au fondement du Rassemblement ou Front national, qui est inchangé, qui tient le même discours que Zemmour. Lui sera certes puni, comme jadis Bruno mégret, de sa « félonie » : mot trop médiéval, ringard : mais entièrement réabsorbé à travers ses ouailles, qui retrouveront le giron nationaliste, pourront même ressortir leurs symboles, bombers, poings américains, puisqu’ils seront au pouvoir, comme l’amérique de Trump a naturellement redonné légitimité aux pires figures de la haine antidémocrate, jusqu’Ã l’attaque du Capitole, apothéose de cette présidence catastrophique, louée et admirée par Marine Le Pen, elle qui a réussi, par dénégation, à faire oublier son Poutinisme : on n’en parle même plus, c’est ringard, c’est passé, on le laisse à Zemmour :, elle n’est même pas contre une immigration ukrainienne (blanche).
Pour tenter de ne pas livrer la France au mensonge et au danger de l’opportuniste Le Pen, je vote, bien sûr, Emmanuel Macron.
J’ai voté mélenchon au premier tour. J’ai cru à une union possible de la gauche, de la vraie gauche. Celle-ci est là et Macron devra en tenir compte, comme il a naturellement retrouvé les voies de l’Etat providence pendant la pandémie, résumé dans le « quoi qu’il en coûte », dont Marine Le Pen serait incapable dans l’état policier qu’elle prépare.
Le débat de 2017 avait révélé à la France entière l’étendue de son incompétence et de sa désinvolture. Nul doute qu’elle aura progressé pour le débat de la semaine prochaine, parce qu’elle ne peut pas faire pire qu’il y a cinq ans. Mais imaginons-la dans une pandémie, imaginons-la devant la catastrophe climatique, imaginons-la même dans une guerre, imaginons-la face à l’Europe, aux Etats-Unis, face à l’afrique, à la Chine : qui ne tremble pas devant une telle perspective ?
Dans le Journal du Dimanche du 18 avril :
Diplomatie : chercheurs et responsables de think tank imaginent les cent premiers jours d’un mandat de Le Pen
Thomas Friang, directeur général de Open Diplomacy, et treize autres chercheurs et responsables de think tanks français imaginent les cent premiers jours de Marine Le Pen en tant que présidente, sur le plan diplomatique.
Voici leur tribune : " Nous travaillons dans des centres de réflexion ou de recherche. Nous étudions les possibles qui s’offrent aux citoyens pour un futur désirable. Notre métier est de comprendre et faire comprendre le temps long. Mais le 24 avril ouvre une brèche abyssale, un point de rupture majeure, si Marine Le Pen est élue. Au-delà de ce point de rupture, comparable à celui de l’élection de Donald Trump aux États-Unis ou au Brexit, les paradigmes politiques changent totalement. Pour nous, cela relève de la réflexion dystopique tant cette rupture est dangereuse.
Alors nous avons réfléchi aux 100 jours de cauchemar que la France pourrait infliger à l’Europe et au monde - et s’infliger à elle-même en retour - si Marine Le Pen emportait les suffrages. Récit dystopique, réalité probable.
Lundi 25 avril 2022 - Le jour d’après, le début de la fin : La France se réveille sonnée après le second tour, comme arrachée à un sommeil sans rêves. Marine Le Pen devient Madame la présidente, élue de facto grâce à ceux qui se disaient qu’elle ne passerait pas ou qu’elle n’est finalement pas si dangereuse. A l’étranger, le monde se divise. c’est la consternation chez nos alliés, nos partenaires européens, nos amis en Afrique et en Amérique latine. La plupart se limitent poliment à des communiqués prenant acte des résultats du scrutin en rappelant avec insistance les engagements de la France au sein de l’Union européenne et de l’OTAN. Mme Le Pen n’est pas pour autant seule. Elle reçoit des appels appuyés de félicitations de Vladimir Poutine, Viktor Orban, Andrej Duda, Jair Bolsonaro, Ebrahim Raissiet et Xi Jinping. Donald Trump sort de son silence avec ces quelques mots : « Make France Great Again ». Bachar Al-Assad salue l’espoir qu’un ambassadeur de France soit rapidement nommé à Damas, où le régime n’a jamais rendu de comptes sur ses crimes de guerre.
Lundi 2 mai 2002 - Premier déplacement européen de la présidente et derniers pas de la construction européenne : Marine Le Pen rompt la pratique suivie par ses prédécesseurs. Au lieu d’effectuer son premier déplacement à Berlin, elle déclare au Chancelier Scholz que l’allemagne n’est qu’un partenaire parmi d’autres et souligne dans un entretien « sa volonté de ne plus subir les diktats allemands ». La nouvelle présidente effectue son premier déplacement à Bruxelles au nom de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne. Elle y confirme son intention de mettre en œuvre ses promesses de campagne : réduction de la contribution française au budget européen, contestation de la primauté du droit européen, mise en cause de la libre circulation des personnes, renoncements nombreux sur des éléments essentiels du « Green Deal ». Après sa conférence de presse, le cours de l’Euro chute face au dollar, les taux d’emprunt français augmentent et les anticipations inflationnistes se confirment. La crédibilité économique de la France est en question car un Frexit par la ruse se prépare. Les engagements climatiques de Paris sont dégradés et nos partenaires européens s’interrogent sur la position à tenir à la COP 27 dans ce contexte.
Mardi 3 mai 2022 - Sortie de l’OTAN et entrée dans la zone rouge : Conformément à son programme, la nouvelle présidente annonce au siège de l’alliance atlantique que la France quitte le commandement intégré de l’OTAN. Les troupes françaises déployées en renfort sur le flanc Est de l’Europe sont rapatriées. La France abandonne également le commandement de la force de réaction rapide de l’OTAN. Elle cesse toute livraison d’armes à l’Ukraine, soulignant sa volonté de rechercher une solution diplomatique et pacifique : « la France n’a pas à avoir un camp, elle doit être indépendante ». Vladimir Poutine salue une décision « responsable ». En Europe comme en Occident, la stupeur laisse place à la consternation alors que les attaques de l’armée russe sur l’Ukraine se sont intensifiées dans le Donbass. L’inflation continue de grimper en Europe, dopée par la volatilité des prix de l’énergie. Volodymyr Zelensky annonce quant à lui la rupture des relations diplomatiques avec la France et termine son allocution avec ses mots : « la France, berceau de la liberté, nous a trahis ».
Lundi 9 mai - Le « jour de la victoire » et l’aube d’une « étrange défaite » : Ce jour-là , comme chaque année, la Russie célèbre sa victoire sur l’allemagne nazie. Boycottée par les Occidentaux depuis l’annexion de la Crimée, cette journée est marquée par les annonces martiales du président Poutine sur le succès de son « opération spéciale » de « démilitarisation et de dénazification » de l’Ukraine. Il célèbre la « libération » de Marioupol, qui s’est rendue après l’utilisation d’armes chimiques que Moscou continue de nier. La présidente et son Ministre des Affaires étrangères, Thierry Mariani, qui s’était pourtant fait silencieux pendant toute la campagne électorale, sont à Moscou pour soutenir le président Poutine et s’affichent à ses côtés. Depuis le Kremlin, la présidente annonce que la France ne soutiendra aucune nouvelle sanction et s’opposera : comme l’y autorise la pratique de l’unanimité : à la reconduction des sanctions existantes. Le veto de la France est sans ambigüité : l’Europe cessera donc de sanctionner la Russie. La Hongrie se félicite du choix responsable de l’Elysée et invite Mme Le Pen à Budapest pour une visite d’État.
Lire aussi - La possibilité d’un duel serré entre Macron et Le Pen suscite l’inquiétude aux États-Unis et en Europe
Jeudi 19 mai - Risque de défaut souverain et faillite du souverainisme : Après la confirmation des annonces incohérentes (sur la retraite comme le salaire minimum) qui creusent le déficit public, les marchés accusent le coup. La charge de la dette, de près de 40 milliards d’euros par an, s’apprête à doubler en quelques mois, amputant du même coup le budget de l’État d’un volume équivalent à celui du budget de la défense. Les agences de notation dégradent la note française et des parallèles commencent à être établis avec la crise grecque. La politique économique de la présidente augure un « défaut souverain » qui propage le risque d’une nouvelle crise financière de grande ampleur alors que les banques sont encore très fragilisées par la crise pandémique et que la BCE a déjà sorti le bazooka monétaire deux fois. Face au refus de la présidente d’envisager une concertation sur son projet économique, l’allemagne demande la réunion d’un Conseil exceptionnel de la zone Euro.
Mardi 31 mai 2022 - Engrenages et ruptures : Passé relativement inaperçu dans son programme, la présidente dévoile un projet d’alliance avec la Russie sur la sécurité en Europe, alors que les crimes de guerre russes commis en Ukraine font l’objet d’investigation de la Cour pénale Internationale. La présidente annonce du même coup l’arrêt des coopérations industrielles et militaires avec l’allemagne et dénonce le Traité de l’Elysée signé par le Général de Gaulle. La France, déjà très isolée sur le plan diplomatique depuis le 9 mai, se retrouve complètement seule sur la scène internationale. pékin et téhéran saluent néanmoins une « décision historique » qui va donner des marges de manœuvre à leurs ambitions géopolitiques. La levée de bouclier est quasi-unanime dans l’opinion publique française, compte-tenu du risque pour la France d’être entraînée dans un conflit, aux côtés de la Russie, contre ses anciens partenaires européens et alliés de l’OTAN, au premier rang desquels les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’allemagne. Les démissions au sein de la diplomatie française et de l’État-major des armées se multiplient face au risque pesant sur la sécurité nationale.
Jeudi 2 juin 2022 - Frexit dans les faits : Pour apaiser les esprits inquiets du renversement des alliances militaires de la France, la présidente annonce soumettre à référendum la reconnaissance de la primauté du droit européen et supprime la contribution française au budget européen, conformément à son programme. Elle annonce également l’arrêt de toutes les mesures de transition écologique engagées dans le Green Deal pour combattre le « diktat écologique de Bruxelles ». Le chancelier allemand et le président du Conseil européen dénoncent « un Frexit qui ne dit pas son nom ». La présidence française du Conseil de l’Union européenne est à l’arrêt. Nos partenaires européens souhaitent se réunir sans la France et la Hongrie pour envisager les conséquences de ses décisions sur l’avenir de l’Europe. La Commission européenne décide de suspendre les versements attendus au titre du plan de relance européen, aggravant la crise économique. L’Elysée dénonce un putsch économique européen et revendique la liberté du peuple français de choisir son destin face au carcan de l’Europe. Le processus politique du Frexit commence et le Green Deal est à l’arrêt.
Lundi 13 juin 2022 - Escalade et escamotage : Alors que le premier tour des législatives a réservé quelques surprises, une nouvelle offensive massive de la Russie en Ukraine éclipse le reste de l’actualité. Parallèlement, des incursions de bombardiers russes dans les espaces aériens de l’OTAN et de l’UE sont relevées, notamment dans les pays Baltes et les pays scandinaves. La Suède et la Finlande accélèrent leur adhésion à l’OTAN face au risque d’une attaque russe. La France s’y oppose et dénonce le bellicisme anglo-américain. Elle annonce l’arrêt de toutes nos coopérations militaires avec les pays engagés dans une forme de soutien à l’Ukraine. Dans ce contexte, le secrétaire général provoque un Sommet exceptionnel des chefs d’État et de gouvernement de l’alliance atlantique. La présidente Le Pen quitte la salle et annonce que la France pratiquera la « politique de la chaise vide » et « refusera toute activation de l’article V face à la Russie ». Dans les faits, la France se retourne contre ses alliés d’après 1945.
Jeudi 14 juillet 2022 - Fête nationale et défaite nationale : Vladimir Poutine est l’invité d’honneur du 14 juillet et nous apprenons - officieusement - qu’il insiste pour que Bachar Al-Assad et Jair Bolsonaro soient de la partie auprès d’une présidente qui ne peut pas lui dire non. Ces revirements diplomatiques, supposés aider les opérations françaises de lutte contre le terrorisme, sont inutiles, et même contre-productifs. Au Levant, la France n’est plus en mesure de participer à la Coalition contre Daech en l’absence d’accord des Américains, des Européens et de nos partenaires de la région. Malgré sa proximité avec le Kremlin, la présidente ne parvient pas à convaincre la Russie de cibler Daech. Au Sahel, des militaires français sont même parfois arrêtés, y compris par les miliciens russes de la société privée Wagner. Nos partenaires européens se retirent progressivement de la région. Les armées françaises se retrouvent de moins en moins en mesure de poursuivre leurs objectifs de lutte contre les groupes armés terroristes.
En moins de 100 jours, la France est isolée, affaiblie, en danger. Ce scénario dystopique n’est pas celui d’un film catastrophe. c’est ce qui pourrait se passer très prochainement pour notre pays si l’abstention laisse les suffrages d’extrême droite, financés par nos adversaires géopolitiques, s’exprimer plus fort que la voix de la raison, de la paix et de la prospérité.
Les signataires :
Thomas Friang, Fondateur et Directeur général de l’Institut Open Diplomacy et Coprésident des Parlementaires pour la Paix
Pr. Delphine Allès, Professeure de relations internationales à l’INALCO
Pr. Valentina Carbone, Professeure et Co-directrice scientifique de la Chaire d’économie circulaire d’ESCP Business School
Vice-Amiral Patrick Chevallereau (2S), Distinguished Fellow du Royal United Services Institute
Dr. Annick Cizel, Maîtresse de conférences à l’Université Sorbonne-Nouvelle
Dr. Raphaë l Gourrada, Politologue à l’EHESS
Dr. Anne Kraatz, Historienne à l’EPHE
Dr. Bettina Laville, Haute fonctionnaire et présidente d’associations environnementales
Dr. Marie Le Mouel, Économiste de la transition énergétique à Bruegel
Jean-Marc Lieberherr, président de l’Institut Jean Monnet
Pr. Christian Lequesne, Professeur à Sciences Po et ancien Directeur du Centre de recherches internationales (CERI)
sébastien Maillard, Directeur de l’Institut Jacques Delors
Dr. Élise Rousseau, Politologue à l’Université de Namur
Xavier Timbeau, Économiste du climat à Sciences Po
Souffler les mots de la fraternité
Communiqué de la fédération protestante de FRance, 17 avril 2022
La fédération protestante de France (FPF) a déjà eu l’occasion de s’exprimer et de communiquer à l’occasion de la campagne présidentielle.
L’interpellation des candidats dès le premier tour avec « l’adresse » qui leur a été envoyée marque l’intérêt que porte le protestantisme français au débat qui concerne la société et chacun des citoyens de ce pays.
Il est vrai que la situation de l’entre-deux-tours laisse à nouveau un grand nombre dans l’insatisfaction et suscite un réel questionnement quant au choix citoyen. Mais ne faisons pas passer le sentiment d’être dans une impasse, ou dans une situation de renoncement intellectuel au-dessus de notre responsabilité chrétienne.
La FPF rappelle encore aujourd’hui combien ses engagements pourront être entravés en cas de victoire du Rassemblement National : la parole en faveur de la liberté religieuse, les actions pour l’accueil des exilés, des étrangers, les œuvres auprès des plus vulnérables, le plaidoyer sur les questions climatiques, et de façon plus générale le projet de promotion de la fraternité et de lutte contre les inégalités dans une société qui a besoin de se rassembler.
A l’approche du deuxième tour, la FPF veut rester vigilante, attester de sa confiance dans la politique et contester tout ce qui mettrait en cause et trahirait le message de l’Évangile. Elle interpelle les citoyens concernant les dangers de l’abstention.
Dans une tribune parue samedi 16 avril sur le site du Monde, intitulée « La spiritualité a sa place dans une République laïque », le pasteur François Clavairoly, président de la FPF, rappelle que « Les protestants tout seuls ne peuvent pas grand-chose devant les périls d’un temps si incertain. Ils peuvent alerter comme vigie de la République, ils peuvent être aiguillon pour ceux qui seront au pouvoir afin qu’ils évitent une faillite démocratique, ils doivent aussi souffler les mots de la fraternité contre le discours des extrêmes. »
Article de La Croix 19 avril 2022
Les évêques doivent appeler à faire barrage à Marine Le Pen !
Alors que la candidate du Rassemblement National (RN) n’a jamais été si proche d’être élue à la Présidence de la République, les évêques auront donc collectivement décidé de s’abstenir.
Dans un laconique communiqué publié mercredi 13 avril, le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France se sera finalement contenté d’appeler à « l’intelligence, à la conscience et à la liberté de chacun », sans marquer de préférence entre les deux candidats. Une déclaration de principe frisant l’indigence, déconnectée de toute analyse de la situation politique immédiate et des périls sans précédent qu’elle fait courir à la société française.
Dans cet entre-deux tours volatile, les évêques ont pourtant une responsabilité historique décisive. Si Emmanuel Macron et Marine Le Pen, aujourd’hui au coude-Ã -coude dans les sondages, finissent effectivement par se disputer l’élection à quelques centaines de milliers de voix, le bulletins glissés dans les urnes par les catholiques pourraient, pas moins que les autres, faire pencher la balance. Or, parmi eux pas moins de 40% des pratiquants réguliers : on l’espère, les plus à même de donner crédit à la parole épiscopale : ont porté leur suffrage à l’extrême-droite au premier tour (sondage IFOP pour La Croix). Il est donc absolument urgent que les évêques les pressent avec insistance de ne pas répéter ce vote, et qu’ils appellent sans ambiguïté à élire Emmanuel Macron le 24 avril.
Haine et rejet de l’autre
Structuré par la haine et le rejet de l’autre, le programme du RN est, de fait, fondamentalement anti-chrétien. Une victoire de Marine Le Pen serait une véritable catastrophe pour la société française : démantèlement accéléré de l’Etat de droit, exacerbation des clivages identitaires et du racisme, déroute socio-économique incontrôlée, régression écologique massive, politique internationale honteuse, etc. Et les plus vulnérables : qui, pour nombre d’entre eux, auront donné leur bulletin au RN : seraient, bien sûr, les premiers à le payer.
Après avoir reconnu leur responsabilité institutionnelle dans les abus sexuels commis dans l’Église en novembre 2021 à Lourdes, il est donc grand temps que les évêques choisissent une nouvelle fois la folie de la croix, plutôt que la sagesse du monde (1 Co 1, 18-23). Autrement dit : qu’ils n’aient pas peur de critiquer frontalement les idées désormais partagées par toute une partie de la communauté (prêtres inclus), quitte à prendre le risque de semer la zizanie dans les paroisses et de compromettre les futures recettes du denier du culte. s’ils ne le font pas rapidement et si le RN gagne dans les urnes, l’épiscopat aura, par son attentisme, contribué à ce qu’advienne la catastrophe nationale, et achevé par là même de dilapider le peu d’autorité morale qui lui reste.
Dans son discours prononcé ce vendredi 8 avril en clôture de l’assemblée plénière de la Conférence des évêques de France, Eric de Moulins-Beaufort a fait référence au cardinal Saliège qui, en 1942, faisait lire dans les paroisses de son diocèse de Toulouse une lettre condamnant très fermement l’antisémitisme. « Dans une telle parole, dans de tels actes, nous percevons la France, notre pays, dans ce qu’il a de meilleur et de vrai, dans sa vraie liberté », dit Eric de Moulins-Beaufort. Cet acte courageux du Cardinal Saliège n’a pas effacé la position de la grande majorité des évêques qui avaient, par pur légalisme, apporté plus ou moins passivement leur soutien au Maréchal pétain.
Le discrédit jeté sur l’institution entière et sur le message de libération qu’elle était censée annoncer fut durable dans les décennies qui suivirent. Il faudra attendre 1997 pour que l’épiscopat fasse acte de repentance. Alors qu’un parti raciste est aux portes du pouvoir, le souvenir de ce tragique épisode par le président de la CEF lui-même, devrait éclairer les évêques, qui pour l’instant démontrent une inquiétante absence de discernement politique.
Combattre l’extrême droite au sein de notre Eglise
Aujourd’hui, il est plus que jamais impératif de combattre les idées mortifères de l’extrême-droite à l’intérieur même de notre Église. l’arithmétique dangereuse de l’entre-deux tours indique qu’une désertion pure et simple telle que celle qui se profile dans le communiqué de la CEF - et qu’on imagine motivée par la peur de fragiliser l’ « unité » de l’Église : pourrait avoir des conséquences désastreuses pour le bien commun. Alors chers frères évêques, qui êtes pour nous les successeurs des apôtres, et qui êtes tenus d’annoncer à temps et (surtout) à contre-temps l’évangile, il est encore temps de sortir de la torpeur : réagissez ! Faites preuve de courage, et appelez ouvertement à faire barrage dans les urnes à Marine Le Pen !
Car l’histoire, qui est indissociablement histoire des hommes et histoire sainte, sera votre seule juge.
Du journal Golias du 21 avril 2022
Le face à face de tous les dangers
Il n’est pas impossible que Mme Le Pen soit élue présidente de la République le 24 avril prochain. Dès l’annonce des résultats du premier tour, la majorité des candidats éliminés ont proclamé : « Pas une voix pour Le Pen ! » La formule, apparemment claire, peut conduire à laisser faire la nature en votant blanc, en s’abstenant ou à voter pour M. Macron. Ce que nous choisissons.
Une nouvelle fois, il va falloir sauver les institutions qui protègent les libertés publiques en votant pour un adversaire résolu des deux autres piliers de la République : l’égalité et la fraternité.
Le président actuel devrait nous aider, par quelques engagements, à ce que la main ne tremble pas trop devant l’urne. En est-il vraiment convaincu, le souhaite-t-il, ou entend-il surtout nous contraindre purement et simplement ? Le doute est permis.