Ecrit le 6 août 2008
Le phénomène des bandes de jeunes au NIcaragua
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Merci à « Echanges et solidarités 44 » d’avoir attiré notre attention sur les bandes de jeunes qui marquent les grandes villes du monde entier sans épargner Paris et sa banlieue. Elles sont le reflet d’un mal-être social dont il est préférable de connaître les causes avant que la situation n’empire.
La violence
L’histoire de l’humanité a été marquée par la violence comme mécanisme de domination. Des individus, des peuples, ont été, sont toujours asservis. La violence économique s’est mondialisée. Parfois à l’état brut (brute ?) quand il s’agit d’exploiter des populations par la force (Chine, Pays africains etc). Le plus souvent la violence est dissimulée sous des apparences de respectabilité. Les plans de licenciement (on dit « plan social » !) sont de la violence à l’état pur, qui jettent à la rue les travailleurs, et les familles et privent d’espoir des jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Si cette violence ne provoque pas la colère c’est que les minimas sociaux, en France du moins, masquent le problème.
Face à la violence politique et économique, faut-il s’étonner que la violence soit le moyen d’action des bandes de jeunes dans le monde ?
Nicaragua
Le malaise social au Nicaragua s’est longtemps manifesté sous la forme de guérillas contre le pouvoir en place (notamment contre le dictateur Somoza). Mais sous-tendue par une idéologie (la « liberté », la « révolution » ou le « socialisme ») elle a laissé place à un malaise social résultant de « la main invisible du marché » et s’exprimant au travers de différentes ruptures du contrat social.
Les pandilleros (membres des bandes appelées pandillas) sont des jeunes qui ne souscrivent pas au grand contrat social national ou international. Ils inventent leur propre contrat social, quitte à le faire de façon agressive et explicite.
Walter
Walter avait 23 ans en 1999. Quatre années auparavant c’était un membre haut placé de la pandilla Los Comemuertos. Il raconte :
« On m’appelle Walter El Negro. Le défi surgit quand d’autres entrent dans le quartier pour attaquer, nous on défend le territoire et c’est comme ça qu’il y a des morts. Moi j’ai passé trois ans dans la prison de Modelo. Ils m’y ont mis pour avoir poignardé deux gars : Munra et Zanate. Grâce à moi, Zanate a chié pendant six mois dans des sacs (avec une colostomie). J’ai participé à trois autres assassinats. Un homicide et deux assassinats atroces. Je volais quand j’étais drogué. Drogué je me sentais le maître. s’ils opposaient une résistance, je leur donnais un coup de poignard. Sans aucun remords. Maintenant si, je regrette. Parce que maintenant, j’ai arrêté la drogue. ».
« Depuis que j’ai huit ans je consomme de la marijuana, de la colle et de la datura. Depuis tout petit, j’ai toujours aimé faire le con et blesser les gens. J’aimais provoquer la peur. J’ai pas de famille. J’appelle » tante « la dame qui m’a élevé. A huit ans, je suis parti de la maison. Je survivais en volant. Je crois que je suis devenu pandillero et drogué car je ne connaissais pas mes vrais parents. Mes frères adoptifs m’ont raconté qu’ils m’ont trouvé dans une poubelle où ma mère m’avait abandonné. Ça m’a toujours rendu triste, tout ça. c’est pour ça que j’ai même pensé me tuer. Avant, je me mettais juste à pleurer. La pandilla était ma famille ».
Pour Walter et ses contemporains, la pandilla était un substitut à la famille et un moyen de gagner respect et pouvoir. Ils contrôlaient la rue. Ils mettaient de l’ordre dans le chaos social à travers un code de conduite. Une fois hors du groupe, ils perdaient sa protection et on les suspectait d’être des lâches ou des traîtres. Les démons personnels s’ajoutaient à ces conditionnements sociaux pour les maintenir dans une prison culturelle dont ils avaient forgé les barreaux et que certaines institutions sociales renforçaient.
Les séjours en prison fonctionnaient comme un milieu de professionnalisation : si la rue est l’école, la prison est l’université : et la diffusion de leurs prouesses dans les médias jouait un rôle incitatif car elle leur permettait d’obtenir une renommée et représentait une cérémonie qui couronnait leur carrière criminelle.
Ernesto
Ernesto, 19 ans, témoigne : « J’avais six ans quand ils ont tué mon papa » « J’ai des problèmes avec ma famille. Avec ma maman. c’est pour ça que je dors dans la rue, sur un matelas à côté de la maison de ma grand-mère. Je n’ai pas été à l’école. Depuis petit, je suis vagabond »
« Il n’y a plus de bagarres. Il y a quatre ans oui. On luttait avec des pierres, des pistolets faits maison, et des mortiers contre ceux des autres bandes. J’ai été treize fois en prison. Au poste, les policiers qui me connaissent bien désormais me cognent avec leurs matraques. c’estque je me laisse pas attraper facilement. Je les frappe et je leur lance des pierres »
« Ils m’ont retenu jusqu’à quatre mois sans qu’il y ait de jugement. Je suis totalement accroc au crack, ainsi qu’à la marijuana et au bañado. J’ai été dans différents centres de réhabilitation. J’aime pas ça. Dans un de ces centres, ils m’ont envoyé vendre des légumes sur la digue, comme si j’étais un esclave. Je me suis enfui en emmenant leur téléphone. »
Ernesto ne respecte pas les règles tacites du code éthique. Il semble que le code se soit dégradé : il vole sa famille, il vole dans son quartier et il vole ceux qui tentent de l’aider. La drogue est devenue un élément essentiel dans sa vie. Ça l’est pour de nombreux jeunes de sa génération. Production, commerce et consommation de drogue sont des activités très répandues dans son quartier.
Camilo
Camilo vient d’une famille où sa mère et son beau-père souffraient tous les deux de problèmes d’alcoolisme. Sa haine s’est exprimée très tôt : « Avant de rejoindre la pandilla, j’avais déjà une réputation de rebelle à cause de la façon dont me traitait ma famille. Alors j’arrivais et je cherchais un moyen de me décharger de tout ce qu’ils me faisaient. Je voulais me défouler sur d’autres. Je ne traînais pas à l’école parce que les professeures voulaient parfois m’agresser comme à la maison. Elles me disaient : »Camilo, tais-toi !« Ou elles nous menaçaient avec une règle. Ça, ça ne me plaisait pas et je les agressais à coup de pieds. Ça fait 7 ans déjà que je n’étudie plus. »
Ma petite soeur
« J’ai commencé à traîner dans des affaires louches à l’âge de treize ans et à m’impliquer vraiment dans les pandillas à 14 ans. On me surnommait » Le Piruca « (le buveur) J’aimais que les gars me disent : » Regardez, le Piruca est malin, il se dégonfle pas ! « . Plus ils disaient ça, plus je m’investissais à fond. Je me sentais alors comme un symbole et un bouclier pour eux. ».
« Après j’ai monté une pandilla qu’on appelait Les Soyeros. Dans ma pandilla on est tous restés invaincus. Invaincus ça veut dire qu’il n’y a pas eu de morts, seulement des blessés. La lutte entre pandillas fut terrible car on ne respectait même pas les policiers. On leur rentrait dedans avec ce qu’on avait sous la main : des bouteilles ou n’importe quoi d’autre ».
Et puis la pandilla s’est divisée. Camilo a commencé à avoir peur pour sa sécurité et pour l’avenir de sa soeur : « J’ai poignardé mon beau-père, je l’ai frappé à coups de bâtons et je lui ai causé une grande blessure. Et tout ça, ma petite soeur le voyait, et ça la traumatisait pas mal. Alors je me suis mis à penser qu’il pourrait lui arriver quelque chose plus tard. J’ai surtout changé pour me sauver moi et pour que ma soeur ne tourne pas mal plus tard. c’est pour ça que j’ai changé. Parce que ma mère, elle a la vie qu’elle a, mon beau-père, il a la vie qu’il a, mais ma soeur elle est petite. Ok ? Et je n’aimerais pas que plus tard elle fasse partie de ces filles qui tombent dans ce genre de choses. Ma petite soeur est comme un ange. Je m’appuie sur elle, et aussi sur moi-même. Ça m’aide à penser que je vaux quelque chose aussi »
Peu à peu, à cause de sa soeur, Camilo a été poussé à assumer un autre rôle social et il le perçoit ainsi : « Maintenant je me sens comme un leader de la paix. Parce que je leur explique comment ils peuvent aussi changer. Alors ils m’ont appelé comme ça et je me sens aussi comme ça. ».
« Les gars m’appuient et quand ils ont des problèmes, ils viennent chez moi. Ils me disent : Piruca : ce mauvais surnom m’est resté, mais c’est affectueux :, écoute, j’ai tel problème. Ne t’inquiète pas, viens demain je leur dis. Même ceux qui me prenaient la tête viennent. Ils me disent : Regarde, Piruca, je ne bois que du guaro, je prends plus de drogue, aie confiance en moi, je te donne ma parole. Ok mecs : je leur dis :, ne prends pas de cette merde, tu sais bien qu’après tu te lances dans le vol et il t’arrive que des mauvaises choses. Et si je les vois avec des drogues je commence à leur parler. Je leur raconte mon histoire. Tu te rappelles quand je consommais du guaro avec du diazepán et toute cette merde ? J’ai failli mourir, ça m’a filé de la tachycardie. Je sais que vous aussi vous avez ces symptômes. Et vous savez pourquoi ? Quand vous courrez vous vous étouffez. Faire ça peut entraîner un arrêt pulmonaire. Alors les gars ont la trouille. Comme je sais comment ça marche la drogue, je parle de ce que j’ai senti. ».
Parvenir à assumer cette position, qui fait de lui le sujet de sa propre réinsertion, est un long processus, qui requiert un travail lent et obstiné de la part des psychologues du CEPREV. Camilo a transmué son rôle social : de leader violent en leader de la paix.
prévention de la violence
Comment est-ce possible ? Le problème de la violence juvénile déborde la capacité des institutions existantes.
Mais voici une expérience intéressante : le CEPREV (le Centre de prévention de la violence). sent à ouvrir une réflexion sur
Extrait d’un article de José Luis Rocha, chercheur et membre du conseil éditorial de la revue Envio.
Source française : Dial
http://enligne.dial-infos.org
Dial : Diffusion d’information sur l’amérique latine : D 2986. Traduction d’Émilie Ronflard. Source (espagnol) : revue EnvÃo, n° 303, juin 2007.