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(Ecrit le 5 août 2001)
COMMUNIQUÉ DU BUREAU D’ATTAC
Le sommet du G8 de Gênes, en juillet 2001, aura sa place spécifique dans l’histoire à deux titres : une mascarade tragique quant au contenu des décisions qui y ont été prises, et une escalade de la plus inquiétante gravité dans la tentative de criminalisation des opposants à la mondialisation libérale, prenant la forme d’une machination policière de grande envergure.
Une mascarade
1.- La déclaration finale du G 8 est un monument d’autisme, confinant à la provocation, et d’hypocrisie.
Autisme d’abord.
Tout en prétendant souhaiter un « partenariat avec la société civile », elle prend l’exact contre-pied des aspirations des quelque 200 000 manifestants pacifiques qui ont défilé dans les rues de Gênes malgré les provocations et harcèlements constants de la police : elle préconise le « lancement d’un nouveau et ambitieux cycle de négociations commerciales mondiales », c’est-Ã -dire de reprendre à Qatar ce qui a piteusement échoué à Seattle. Par ailleurs, au mépris de toute évidence, elle réaffirme les vertus de la mondialisation libérale comme panacée pour répondre aux aspirations fondamentales de l’humanité. Les citoyens français, eux, ne s’y trompent pas qui, dans un récent sondage (Le Monde, 19 juillet 2001) considèrent, pour 55 % d’entre eux, que la mondialisation sert prioritairement les intérêts des multinationales, pour 47 % ceux des marchés financiers et, pour seulement 1 % d’entre eux, les intérêts de « tout le monde ». Enfin elle se prononce pour le recours accru aux OGM, alors que tous les scientifiques non liés aux firmes de l’agro-chimie sont unanimes pour considérer qu’aucun des bienfaits annoncés n’a été vérifié et qu’aucun des dangers potentiels n’a été évalué.
Hypocrisie ensuite.
Les deux initiatives annoncées à grand fracas sont totalement vides de contenu :
– l’allègement de la dette des pays pauvres très endettés (PPTE), présenté comme « une contribution appréciable dans la lutte contre la pauvreté », n’a, à ce jour, concerné que 5 pays, et pour un montant de 5 milliards de dollars, sur un total de la dette publique du tiers-monde s’élevant à 2 500 milliards de dollars, soit 0, 2 % des sommes en jeu.
– Le « Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose » est doté d’un budget ridicule de 1,3 milliard de dollars, d’ailleurs pour partie déjà engagés sous d’autres appellations. Cette somme représente le tiers environ des dividendes versés en 2001 aux seuls actionnaires de Marks and Spencers qui ont imposé de massifs licenciements de convenance boursière.
Criminaliser les opposants
2.- La machination policière de Gênes fait franchir plusieurs degrés pour tenter de criminaliser les opposants pacifiques à la mondialisation libérale. Les chiffres et les témoignages parlent d’eux-mêmes : un mort, 600 blessés, des centaines d’arrestations, des sévices, voire des tortures, systématiquement infligés aux personnes arrêtées.
L’objectif poursuivi était évident : déplacer, pour les opinions publiques, les enjeux de Gênes ; ne pas parler du fond, mais de la « violence », en s’efforçant de présenter les manifestants comme autant de trublions et de « casseurs » . Le Genoa Social Forum (GSF) qui regroupait plusieurs centaines d’organisations appelant au contre-sommet (dont Attac Italie), avait pris toutes les dispositions pour que ses composantes manifestent sans violence sur les biens et les personnes. Cet engagement a été tenu. Mais la police ne l’entendait pas ainsi : d’une part, elle a sciemment laissé commettre de multiples destructions par des groupes provocateurs extérieurs au GSF ; d’autre part, elle a infiltré ces derniers pour se livrer à des agressions permanentes contre les manifestants, voire contre la police, de manière à « justifier » la violence inouïe de la répression. (lire aussi : méedisances)
Les témoignages de personnes arrêtées et d’autres qui ont été incarcérées sous les motifs les plus fantaisistes, attestent la sauvagerie des méthodes employées. La machination policière du gouvernement Berlusconi, visant à diaboliser les opposants à l’ordre libéral et à discréditer leurs revendications, en même temps qu’Ã les terroriser pour l’avenir, ne fait plus de doute. Elle est étayée par des témoignages personnels (comme celui d’un ecclésiastique, publié dans La Reppublica du 22 juillet), ainsi que par des vidéos où l’on voit des éléments du « Black Block » sortir de fourgons de carabiniers et deviser tranquillement avec eux.
Tout porte à croire qu’il ne s’agit pas d’une initiative isolée du gouvernement Berlusconi. A Barcelone, lors de la manifestation contre la Banque mondiale du 24 juin dernier, les mêmes méthodes avaient été employées par la police nationale espagnole. Une « Internationale noire » des « services » semble bien s’être mise en place contre les opposants à la mondialisation libérale. Il nous appartient de la démasquer et de la dénoncer comme un très grave danger pour la démocratie.
Nous n’en resterons pas là La première préoccupation d’Attac France a été d’œuvrer à la libération de ses membres et sympathisants incarcérés, ainsi qu’à celle des autres Français se trouvant dans ce cas. C’est chose faite depuis le mardi 24 juillet. Nous devons, à cet égard, souligner l’excellente coopération dont le ministère des affaires étrangères et ses représentants en Italie ont fait preuve, ce qui n’exonère en rien le gouvernement français de sa responsabilité conjointe avec celle des autres membres du G 8 dans la tenue d’un sommet aussi indigne. La simple décence aurait voulu qu’ils en exigent la suspension immédiate.
Nous affirmons notre solidarité militante avec tous les manifestants d’autres nationalités victimes d’exactions. Nous exigeons du gouvernement italien la mise en liberté de toutes les autres personnes encore incarcérées.
Attac France, tant par la formation et l’information que par l’action, va continuer son combat contre la mondialisation libérale et pour des politiques alternatives.
Ecrit en septembre 2001 :
Les Sans-Gènes : témoignage
Lundi 20 août, Paris, je me rends au rassemblement organisé à Beaubourg par le collectif « Sang Gênes », pour la journée internationale d’action contre les violences policières. Il y a peu de monde - moins d’une cinquantaine - éparpillés. Les gens discutent - Seuls éléments de visibilité, les bandeaux marqués VERGOGNA (Honte) comme à Gênes ! Il y a des « journalistes alternatifs » de Zaléa TV et Indymédia.
Et puis un groupe d’une cinquantaine de CRS se forme à l’écart. Un type avec qui je discute me dit : « ils ne vont pas être méchants, ils n’ont pas de bouclier ni de casque ». Tout à coup, ils mettent leurs gants noirs puis courent vers le parvis. A l’endroit où ils vont, il n’y a qu’une poignée de militants dont les journalistes alternatifs. Du coup je me dis, ce n’est pas pour nous qu’ils sont là , ils cherchent autre chose ! Alors ils forment un grand cercle autour de la poignée de militants, de musiciens de rue, de touristes. Que veulent-t-ils ? On s’approche en nombre pour voir ce qui se passe. Un chef en civil désigne un copain qui a le tort d’avoir un journal militant à la main, puis les gens de Zaléa TV qui ont le tort de ne pas être des journalistes « officiels ». Des CRS foncent sur le copain, lui passent les menottes et l’entraînent vers l’extérieur. A quelques-uns, on commence à gueuler. « Pourquoi l’arrêtez -vous ? » , « C’est une atteinte à la démocratie », « où l’emmenez-vous ? », pas de réponse. Maintenant ils passent les menottes aux animateurs de Zaléa TV qui crient : « Nous sommes journalistes, laissez-nous travailler ». Ils ne leur demandent pas leurs papiers d’identité !
Ils nous palpent
Il y a beaucoup de monde autour, on commence à chanter des slogans classiques « Libérez nos camarades », « Police partout, justice nulle part ». On crie que c’est une atteinte à la liberté d’expression, aux droits démocratiques. Le commissariat est à dix mètres, on les suit . Devant le cordon on continue de chanter en tapant dans les mains. Les gens s’arrêtent de plus en plus nombreux, on leur explique ce qui se passe, on leur demande de rester, de chanter. Une jeune femme abasourdie arrive portant un casque et un sac ; c’est à son copain : « On était assis en terrasse d’un café devant le parvis. Quand les flics sont arrivés, il s’est levé. Un militant lui a tendu un journal d’AC !, il l’a feuilleté et à ce moment là , les flics l’ont embarqué » !
De nouveau, les CRS forment un large cercle autour de nous et commencent à nous pousser très fermement vers le commissariat . Ils nous « palpent » et nous poussent dans la salle du fond - plusieurs sont toujours menottés. Nous nous regardons, abasourdis ! Une Italienne crie et sanglote, ils lui maintiennent la main dans le dos, elle a mal. Et puis elle ne comprend pas, c’est une touriste. « Pourquoi nous a-t-on arrêtés ? », pas de réponse. Ils nous font sortir un par un. Un bus attend. Et ils nous « repalpent » devant le commissariat, plus fermement : « C’est quoi dans ta poche, une arme ? » « Non, mes clefs ! » ; « C’est quoi dans ton sac une bombe (de peinture) » - « Non, ça s’appelle un livre », « Ah ,vous ne chantez plus maintenant ! »
On se compte dans le bus, on est 26. Il y a deux italiens, un polonais, deux allemandes : des touristes ; le jeune qui avait osé feuilleter le journal d’AC, un autre qui avait fait l’erreur de coller un autocollant qu’on venait de lui donner : ils n’étaient même pas venus pour le rassemblement . Autour du bus, la foule a grossi, les gens sont aussi abasourdis que nous. Quelques copains, arrivés en retard au rassemblement, font des gestes d’incompréhension. On part, direction : le commissariat du 4e. Dehors on nous applaudit. Au commissariat on redemande « pourquoi est-on là », « on a reçu des ordres », « de qui ? ».
Papiers ... musclés
Un chef arrive « mesdames et messieurs bonjour » , nous réitérons « pourquoi nous a-t-on arrêtés » « mais ... vous n’êtes pas arrêtés », « alors qu’est-ce qu’on fait là ? », « eh bien, on va vérifier vos identités et vous pourrez partir ». Tout ça pour relever nos identités ? Pour ça les menottes ? Pour ça les arrestations arbitraires et musclées de touristes, de passants aussi bien que de militants ? Ils ne nous ont donné aucune justification. Finalement, ils nous ont tous relâchés vers 8 heures.
Une copine qui est sortie après moi raconte ce qu’elle a entendu dans le commissariat : L’un des flics qui nous gardait s’est retourné vers un autre en disant « il paraît que tu as tué quelqu’un, c’est vrai ? ». Alors ils se sont tous mis à rire !! Que voulaient-ils ? Nous faire peur ? Nous ficher pour nous empêcher de traverser la frontière lors de la prochaine grande manifestation ? Un avant-goût de la police anti-émeute européenne dont rêvent tous les ministres de l’intérieur ? Fini le droit de manifester, d’avoir un journal ou un tract à la main.
L’arbitraire, ça me rappelle Gênes. où va-t-on ? En tous cas, du coté flic ils ont l’air de le savoir et ils s’entraînent.
Nicolas Verdon ATTAC Paris
Arrêté et menotté
(NDLR : le journal Le Monde daté du 22 août raconte à peu près la même chose en ajoutant que « le jeune stagiaire étudiant dépêché par Le Monde afin d’effectuer un reportage sur ce rassemblement est également arrêté et menotté. Il invoque sa qualité de journaliste mais les policiers ne veulent rien entendre ». Interrogé par Le Monde le 21 août la préfecture de police a indiqué que les policiers avaient été amenés à intervenir car il s’agissait d’un rassemblement sauvage qui n’avait fait l’objet d’aucune demande d’autorisation, et qu’il y avait de ce fait un trouble à l’ordre public.
Trouble à l’ordre public pour moins de 50 personnes pacifiques ? Alors que les députés ont renoncé à faire quoi que ce soit pour encadrer les « rave-parties » et les « free-parties » ? Alors que les rassemblements de chasseurs, souvent avec fusils, ne provoquent aucune réaction policière ?
Heureusement que le ministre de l’Intérieur est socialiste ! Quoique des fois, on se demande ........
B.Poiraud
Fallait pas paniquer !
Le 16 août dernier, à Courcelles-lès-Lens (Pas-de-Calais), un jeune homme, âgé de dix-neuf ans, a été mis en examen par une juge d’instruction de Béthune. On lui reproche un refus d’obtempérer, la dégradation de trois véhicules de police et les blessures d’un policier. Mais lui vient à son tour de porter plainte, avec constitution de partie civile, en dénonçant les violences qu’il a subies à la suite de l’erreur commise par les policiers.
Ce 16 août en effet, le jeune homme s’était rendu dans une agence de la Caisse d’épargne du centre-ville pour retirer 9 000 francs. « Cet argent était destiné à rembourser un prêt » qui lui avait servi à acheter un véhicule d’occasion un mois plus tôt, explique-t-il. C’est cette voiture, une Peugeot 306 bleue, qui serait la cause de la méprise.
Opérant sur commission rogatoire d’une juge d’instruction de Douai, une équipe du service d’investigation et de recherche de Douai devait interpeller, le même jour, dans la même ville, un homme recherché pour vol à main armée et pour recel. Selon le parquet, les policiers avaient d’abord été orientés vers une autre adresse, mais ils auraient repéré le véhicule du jeune homme, le confondant avec celui de la personne recherchée.
Le jeune homme, lui, raconte : « Lorsque je suis sorti de l’établissement, je suis monté dans ma voiture et j’ai eu le temps de rouler 50 mètres. Un véhicule m’a alors coupé la route, et quatre personnes en sont sorties. L’une d’elles, armée d’une matraque, a frappé mon pare-brise, qui a volé en éclats ».
Se croyant agressé, le jeune homme a enclenché la marche arrière et percuté le véhicule qui le suivait. Il a ensuite essayé de se dégager, lorsqu’un coup de feu a retenti et a atteint sa voiture. « Paniquant de plus belle, j’ai tout lâché et j’ai perdu le contrôle, dit-il. J’ai percuté d’autres véhicules ». C’est alors qu’il dit avoir vu qu’un des hommes portait un brassard de police. Il a donc levé les mains, se demandant ce qu’on lui voulait.
Un riverain a vu les policiers sortir le jeune homme de sa voiture et le plaquer au sol. « Au total, ils étaient une quinzaine, raconte-t-il. J’ai moi-même cru à une agression. Tandis qu’il était maintenu au sol, l’un des hommes le frappait à la tête, et d’autres lui appuyaient une matraque au travers de la gorge et une autre sur les pieds. Un policier a sorti son arme, et m’a ordonné de dégager ». Un certificat médical fourni par un médecin légiste atteste des marques sur la gorge du jeune homme qui dit avoir compris qu’il y avait erreur sur la personne lorsque les policiers se sont adressés à lui. Il a cependant été emmené au commissariat de Courcelles-lès-Lens, où il a été gardé à vue vingt-quatre heures, avant d’être déféré devant le parquet.
Violence injustifiée
Selon son avocat, les faits sont d’autant plus inadmissibles qu’aucune excuse n’a été faite à son client et que la plupart des témoins n’ont pas été entendus. « Pire, même si les policiers avaient eu affaire au voyou qu’ils recherchaient, rien ne justifiait une telle violence dans l’interpellation, argumente-t-il. On a tout fait pour renverser la situation et faire de mon client un coupable quand même ».
La police se borne à dire que, si ses véhicules étaient banalisés, les insignes, quant à eux, étaient apparents, et que « le conducteur n’aurait pas dû paniquer ». La juge d’instruction, Mme cécile Ramonatxo, a confié l’enquête à l’Inspection générale des services.
(Source : Le Monde du 24 août 2001)
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G8 : le témoignage, tardif mais accablants, d’un polcier présent à Gênes