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(écrit le 10 septembre 2003)
AGCS : accord général sur le commerce et les services.
« La construction européenne est pour l’instant une destruction sociale » ainsi parlait Pierre Bourdieu. Innocents que nous sommes, nous avons toujours du mal à y croire, convaincus que nos gouvernants, quels qu’ils soient, travaillent pour le bien public. Illusion que dément le contenu de l’AGCS (ACCORD GENERAL SUR LE COMMERCE DES SERVICES)Le sigle est barbare ! (c’est fait exprès). La réalité est pire.
Le double jeu
« L’Europe, c’est Janus, le dieu aux deux visages. Une face est plaisante. Elle nous parle d’humanisme et de démocratie, de partenariat et de solidarité. L’autre face, tournée vers l’Atlantique, partage la même vision néo-libérale, marchande, individualiste et arrogante que nous imposent les Etats-Unis. C’est ce visage-là que je veux dévoiler » dit Raoul Jennar. *
A la conférence de Doha, en novembre 2001, ces grands donneurs de leçons de démocratie que sont les Européens ont eu des comportements odieux : chaque délégation des pays en développement et en particulier des pays africains, a été tenue de se présenter devant Pascal Lamy (commissaire français, nommé par les socialistes !) pour entendre promesses et menaces.
Juste après les attentats du 11 septembre 2001, Pascal Lamy et son collègue américain culpabilisent les délégations en déclarant qu’un succès à Doha « contribuera à la lutte contre le terrorisme » ce qui est lourd d’implications pour ceux qui résistent aux propositions américano-européennes.
Celles-ci exigent de réduire ou supprimer non seulement les tarifs douaniers mais aussi les lois et règlements qui ont trait aux services environnementaux, par exemple le service de l’eau, la gestion des déchets, les parcs naturels, les parcs touristiques et tous les services qui interviennent dans la politique d’aménagement du territoire.
En fait, l’Union européenne entend donner un formidable coup d’accélérateur à la privatisation des services
Procédure agressive
La procédure est terriblement agressive :
– elle impose une négociation, même aux pays qui n’en veulent pas ;
– elle soumet des pays qui ne sont pas industrialisés à la pression des pays riches qui disposent d’atouts majeurs pour imposer leur choix : ce sont toujours les mêmes qui disposent de la pression politique, économique et financière et de tous les experts nécessaires dans tous les domaines.
– les pays en développement ne possèdent pas sur les pays riches les informations nécessaires pour formuler eux aussi des demandes pertinentes et faire ainsi jeu égal avec ces pays.
Aussitôt après la conférence de Doha, les services de Pascal Lamy se mettent au travail, privilégiant une intense collaboration avec les milieux d’affaires et en l’occurrence le Forum Européen des Services, ce groupement patronal des fournisseurs de services privés. Pascal Lamy leur demande d’établir, pays par pays, les services que les patrons européens veulent voir libéraliser, les législations qu’ils veulent voir démantelées, tout ce qu’ils considèrent comme des obstacles à la concurrence commerciale.
En revanche, aucun des quinze parlements nationaux n’est consulté, et pas davantage le Parlement européen.
Le 30 juin 2002, en notre nom à tous, la Commission européenne demande à 109 pays de libéraliser une série de services et d’abolir des lois et de règlements.
Secret absolu
De plus la Commission exige et obtient des 15 gouvernements de l’Union Européenne le secret absolu sur ces demandes, tout en endormant l’opinion publique. Pascal Lamy déclare : on n’a pas touché aux services publics, on n’a pas touché à l’éducation, on n’a rien demandé aux pays les plus pauvres, le droit de chaque pays de protéger ses services est respecté.
Misant sur la complexité des textes, l’ignorance ou l’indifférence des décideurs politiques et d’un grand nombre de journalistes, il affirme même que les demandes « ne concernent pas la régulation des services comme tels » .
Heureusement, grâce à d’authentiques et courageux démocrates, il y a eu des fuites : nous connaissons aujourd’hui le contenu des 3000 pages de demandes. On peut mesurer ainsi à quel point on nous a menti. La Commission européenne a demandé à 72 pays de libéraliser des services publics, en particulier dans le domaine de l’eau. Elle a adressé des demandes aux 94 pays en développement dont les 30 pays qu’on appelle PMA, Pays les Moins Avancés
Voici quelques unes des demandes adressées par l’Europe :
– au Brésil : supprimer la loi qui limite le volume des fonds transférés à l’étranger lorsqu’ils proviennent des bénéfices réalisés sur place ;
– au Cameroun : supprimer la loi obligeant un investisseur étranger à créer un emploi chaque fois qu’il investit au moins 10.000 €
– au Chili : supprimer la loi qui oblige un investisseur étranger à engager 85 % de personnel chilien ; supprimer la loi obligeant un investisseur étranger à maintenir dans le pays le capital investi pendant 3 ans ;
– à l’Egypte : supprimer le monopole de service public sur l’eau, l’énergie, les transports ;
– à l’Indonésie ainsi qu’Ã beaucoup d’autres pays qui ont la même législation : supprimer la loi limitant à 49 % les participations étrangères dans le capital d’une firme nationale ;
– à la Malaisie : supprimer la loi qui impose des critères éthiques dans la publicité télé ;
– à Taïwan : supprimer la loi qui interdit à un étranger ou à une firme étrangère de posséder des terres dans lesquelles il y a des sources d’eau ;
Il y en a ainsi sur 3000 pages. Voici des statistiques au sujet des demandes adressées aux 94 pays en développement :
– à 91 d’entre eux dont les 30 Pays les moins avancés (PMA) , l’Europe demande de libéraliser les télécommunications, y compris dans les services publics
– à 23 d’entre eux, la poste et le service du courrier
– à 62 d’entre eux dont 7 PMA : les services environnementaux dont l’eau
– à 48 d’entre eux dont 5 PMA, le tourisme
– à 77 d’entre eux dont 18 PMA, les transports. et la liste n’est pas épuisée. Il y a de quoi être effrayé et scandalisé quand on voit l’ampleur des dérégulations exigées.
Devant l’émotion provoquée par la découverte de ces demandes et par l’opacité qu’elle imposait en toute illégalité, la Commission a lâché un peu de lest. Elle a envoyé les demandes au Parlement européen. Un exemplaire. Un seul. Un exemplaire unique qu’un seul parlementaire par groupe politique pouvait venir consulter dans une pièce isolée et sous la surveillance d’un gardien, sans avoir le droit de prendre des notes, et encore moins de faire des photocopies. Ceci vous donne une petite idée de la conception qu’on se fait, à la Commission européenne, de la démocratie et du pouvoir de contrôle des parlementaires.
Cancun
Le 21 juillet 2003, le Conseil des Ministres européens a adopté un texte en vue de la conférence ministérielle de l’OMC (organisation mondiale du commerce) à Cancun (10-14 septembre 2003)
En ce qui concerne les services, le point 3 du texte dit que « le Conseil confirme l’importance d’établir un calendrier précis pour la négociation sur les services soulignant qu’une ouverture future des marchés dans ce domaine est d’une importance particulière pour l’économie européenne. » (et pour les travailleurs ?)
En ces termes élégants est ainsi annoncée la fin de la souveraineté des citoyens et des peuples. L’Union européenne indique « aucun secteur ne sera exclu a priori ».
Dans dix mois, le 13 juin 2004, ce seront les élections européennes. Si vous ne l’avez fait avant ... vous aurez alors l’occasion de demander des comptes à ceux qui ont adopté cette résolution. Demandez leur : qu’avez-vous fait avec l’AGCS ? Qu’avez-vous fait des protections sur l’eau, la santé, l’éducation et la culture ?
En attendant, rendez-vous à Cancun pour voir ce qui va s’y passer. (lire la suite ci-dessous)
(*) Raoul Marc JENNAR
est chercheur européen
Ecrit le 17 septembre 2003 :
Echec à Cancun
L’organisation mondiale du commerce s’est réunie à Cancun, Mexique, du 10 au 14 septembre 2003. Elle a échoué. Les pays du Tiers Monde se sont enfin organisés pour résister au rouleau compresseur des pays développés. Voici quelques éléments :
Cancun. Une cité balnéaire construite pour les riches dans la presqu’île de la pauvreté, un « paradis » recomposé pour ceux qui achètent le bonheur comme on achète une voiture : des hôtels plus luxueux les uns que les autres alignés sur une bande de terre d’une vingtaine de kilomètres de long en forme de U qui enferme une lagune et est entourée par la mer. Un site facile à isoler. Tout un message de la part de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) que le choix d’un tel endroit pour tenir sa conférence !
Selon les petits pays, l’OMC est une organisation où « chantage » et « menaces » sont le lot quotidien.
Piranhas
« Supposé être le chemin vers le jardin d’Eden, en réalité, ce n’est qu’un sentier dans la jungle, bourré de mines, d’embuscades, de guérillas, de tigres et de piranhas. » dit au Monde le ministre cambodgien du commerce, Cham Pradisha, tandis qu’un délégué, sous anonymat, complète : « ici, les membres permanents de l’OMC sont impitoyables, coupe-gorge, c’est la loi de la jungle, chacun pour soi. »
A la tête de la liste des coupables désignés se trouvent, comme partout, les Etats-Unis, « dont l’énorme déficit commercial démontre l’inefficacité en matière de commerce, mais qui restent le plus grand marché et nous avons tous quelque chose à leur vendre ». C’est normal, répond sans état d’âme un interlocuteur américain, « il n’y a pas de cœur dans le commerce, et nous avons nos propres piranhas sous forme de lobbies puissants qu’il faut nourrir chaque jour. »
Un brûlot
Le 4 septembre 2003, quatre ambassadeurs auprès de l’OMC ont participé à une conférence de presse pour soutenir la publication d’un brûlot sur l’Organisation (Derrière les portes à l’OMC, Zed Books). Ces délégués - ougandais, tanzanien, kenyan et dominicain - sont venus assurer que « tout ce qui est dans le livre est vrai ». A tour de rôle, ils ont décrit : « Les pressions, les menaces et les chantages politiques économiques, voire physiques, qui sont le lot quasi quotidien de certains ambassadeurs de petits pays à l’OMC. »
« Tout ce que disent les ONG sur les grandes puissances à l’OMC est vrai, mais il est aussi vrai que nous, les pays en voie de développement, nous n’avons pas le leadership politique capable de faire face aux pressions des grands, on s’écrase ».
L’ambassadeur de la Tanzanie accuse l’OMC d’avoir été « détournée pour faire avancer les intérêts des puissants ». « LÃ où les riches établissent les règles du jeu, ce sont toujours les pauvres qui perdent ». (C’est la même chose en France lors des négociations entre patrons et salariés].
Bouche bée, les journalistes n’ont guère posé de questions, sauf un, qui a dit : « Vous n’avez pas peur de dénoncer ainsi ? » « Apparemment non », a répondu le délégué kenyan. « Cela dit, si vous ne me voyez plus après Cancun, vous saurez pourquoi ! », a-t-il ajouté.
Avez-vous lu de tels propos dans la presse à grand tirage ? Non, il vaut mieux parler de la couleur bleue de la lagune et des moeurs policées des négociateurs. Vous avez dit « policées » ?
Faire payer ce qu’on ne donne jamais
Sous la pression des pays pauvres, qui ont commencé à regimber de manière organisée, la discussion s’est envenimée, en particulier au sujet de l’agriculture. Selon Raoul Jennar (qui a envoyé un message de Caucun) : A Doha, les Américano-Européens s’étaient engagés à ouvrir leurs marchés aux produits agricoles du Sud, à réduire toutes les formes de subventions à l’exportation et à réduire les soutiens internes à la production agricole. A Cancun, les USA et l’Union Européenne ont présenté un document commun, devenu en quelques jours le document officiel présenté à la négociation (on voit qui fait la pluie et le beau temps à l’OMC). Ce document, n’est que la répétition des promesses non tenues depuis deux ans. On y trouve des engagements sans substance : pas de calendrier, pas de données chiffrées sur le niveau des réductions à nouveau promises. Les mêmes promesses chaque fois formulées, chaque fois oubliées, mais chaque fois avancées en échange, de la part des pays du Sud, d’engagements précis.
A l’OMC, les pays industrialisés excellent à faire payer plusieurs fois ce qu’ils ne donnent jamais.
Des insultes
Devant ce cynisme absolu, 21 pays (puis 22), conduits par le Brésil, la Chine et l’Inde ont introduit leur propre proposition provoquant la colère du représentant de l’Union européenne (Pascal Lamy « notre » représentant !) qui a été jusqu’Ã insulter les ambassadeurs des trois pays. Résister à l’Europe est devenu insupportable pour ces technocrates fascinés par l’arrogance américaine. Des diplomates européens ont été chargés d’entreprendre des contacts bilatéraux avec les représentants des 21 pays (qui représentent plus de la moitié de la population mondiale) dans l’espoir de créer des divisions entre eux... C’est ça l’Europe humaniste, généreuse, solidaire !
Pour la première fois les pays en voie de développement ont résisté aux pressions.