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Ecrit le 24 février 2002
Effrayante campagne
La droite et la gauche jouent à criminaliser
une grande partie de la jeunesse
parce qu’elles ne se sentent pas capables d’agir sur les
causes de la délinquance.
Par François DUBET, sociologue.
Journal Libération du Mercredi 20 février 2002
Bien des élus et des candidats répètent bêtement le slogan de la tolérance zéro. Ils pensent que le problème de la délinquance juvénile est une simple affaire de police.
D’accord, la sécurité est un problème. D’accord, le sentiment d’insécurité n’est pas un simple fantasme, une peur irrationnelle des individus et des groupes les plus fragiles, les plus faciles à effrayer. Pour imparfaites qu’elles soient, les statistiques des délits ne doivent pas être prises à la légère. Certains quartiers sont devenus invivables et bien des écoles ont du mal à contrôler les conduites des adolescents. Il ne s’agit pas de nier l’existence d’un problème de délinquance juvénile et de sécurité.
répétez !
Mais cela justifie-t-il que la campagne électorale qui s’engage en fasse le seul problème, le cœur de tous les débats, de tous les affrontements et de toutes les démagogies ?
1) De toutes les démagogies d’abord, parce que l’insécurité apparaît moins comme un problème que comme un fait.
Et pour transformer la myriade des délits et des peurs en enjeu politique, il faut un certain travail : il faut que la presse et la télévision martèlent les faits divers afin que chacun finisse par croire que ça s’est passé près de chez lui.
Il faut construire des stéréotypes :
– toutes les grandes cités de banlieue sont dangereuses,
– tous les jeunes qui y habitent sont délinquants,
– tous les trains sont des coupe-gorge,
– tous les adultes sont des pédophiles potentiels,
– toutes les insultes entre les jeunes sont des menaces de mort...
Il y a suffisamment de faits divers pour alimenter la peur et convaincre les gens que là est leur véritable problème. Plus la police et la justice seront efficaces, plus les individus porteront plainte, et plus les statistiques démontreront que l’on a raison d’avoir peur.
Dire que le sentiment d’insécurité est manipulé ne veut pas dire que la délinquance n’existe pas, mais si l’on compte le vol de trousse à l’école pour un délit grave, il n’y a pas de raison pour que les peurs se calment.
Manipulation
2) démagogie et manipulation de la peur parce que la mise en scène de l’insécurité appelle toujours la seule solution qui pa-raît raisonnable : la répression, le renforcement des pouvoirs de police, la prison pour les mineurs, la mise en accusation des parents et, pourquoi pas, la peine de mort.
Si je résiste à cette politique, ce n’est pas parce que la répression serait moralement condamnable, mais plus simplement parce qu’elle est largement inefficace.
Chacun sait que la prison enferme la plupart des jeunes détenus dans des carrières criminelles. On sait que les régimes les plus répressifs n’ont pas rétabli la sécurité, ils ont simplement criminalisé une partie de la population. On oublie aussi volontiers que les jeunes coupables sont très largement des victimes et que, en les transformant en figures du mal, on les enfoncera dans les conduites que l’on veut combattre.
Mais les temps électoraux ne sont pas faits pour les idées trop compliquées...
Maltraités
3) Quitte à faire vieux jeu, quitte à paraître vaguement gauchiste et sentimental, il faut rappeler que la sociologie nous apprend que les jeunes délinquants sont issus des milieux les plus mal traités de notre société.
Ces coupables sont aussi nos enfants,
– c’est nous qui les avons logés dans des cités invivables ;
– c’est nous qui leur offrons une télévision débilitante, celle qui les condamne d’ailleurs ;
– c’est nous qui les mettons dans une école qui leur interdit de croire qu’ils ont un avenir ;
– c’est nous qui laissons se développer des ghettos et qui admettons, de fait, la ségrégation à l’emploi...
– bref, c’est nous qui fabriquons les conditions de la délinquance et de la rage des jeunes et qui fédérons nos solidarités sur la haine de ceux qui sont tout autant des victimes que des coupables.
– D’une certaine manière, avec l’obsession de la sécurité, nous nous laissons aller à la haine de soi puisque c’est nous qui fabriquons les classes dangereuses qui nous effraient tant.
4) Avec la peur, la droite a trouvé un thème de campagne aussi traditionnel que nécessaire puisqu’elle semble muette sur tous les autres points, sinon pour affirmer sans rougir qu’elle peut augmenter sensiblement le prix de la consultation médicale tout en diminuant, tout aussi nettement, les charges sociales. Quant à la gauche, elle semble tétanisée, elle laisse croire que les peines de prison se sont allégées, ce qui est faux, elle n’a pas plus d’idées que la droite et se lance sans conviction sur un terrain où elle apparaîtra toujours moins crédible. Parfois même, quand elle se veut républicaine, elle fait plus.
Au fond, tous jouent à criminaliser une grande partie de la population et de la jeunesse parce que ni les uns ni les autres ne se sentent capables d’agir sur les causes de la délinquance. Tout se passe comme si le seul enjeu était de fédérer la peur des « autres », de ceux qui paraissent définitivement chassés des murs de la cité.
5) Actuellement, on se met à imiter, sans même le savoir, ce que les Etats-Unis ont de pire :
Bien des élus et des candidats répètent bêtement le slogan de la tolérance zéro, ils pensent que le problème de la délinquance juvénile est une simple affaire de police, ils croient que l’on peut, sans être une société d’apartheid, réserver le couvre-feu aux enfants de certains quartiers et pas des autres.
Et puis, nous n’avons plus de mémoire : la délinquance a diminué en France dans les années 50 et 60, après les ordonnances de 1945 sur la délinquance des mineurs, quand il y a eu du plein-emploi, quand l’école s’est ouverte, quand on a fermé les maisons de redressement, quand elle a fait le contraire de ce qui nous est proposé.
6) Ainsi s’engage cette campagne électorale. A moins de deux mois de l’élection, personne n’y parle clairement de la politique de la ville et des politiques d’immigration. Personne ne s’aventure à dire ce qu’il fera de l’école et de la formation. Personne n’ose parler de l’avenir des systèmes de retraite et du système de santé... Personne ne parle de ce qui pourrait fâcher, c’est-Ã -dire de ce qui pourrait froisser des électorats qui se sentent unis tant qu’ils n’ont pour point commun que la peur des délinquants et des gosses de banlieue. La démocratie mérite plus que cela, y compris dans le traitement des problèmes de délinquance et de sécurité.
François Dubet est sociologue
Article emprunté au journal Libération du 20 février 2002
Ecrit en juillet 2002 :
Le tout-répressif : Une année de prison coûte le salaire de trois éducateurs
Jacques Chirac avait fait de la sécurité dans les banlieues l’axe majeur de sa campagne. Qu’il veuille aujourd’hui se donner les moyens de police et de justice pour tenir ses engagements est légitime. L’est également le recours à une politique plus répressive ; la gauche avait, sur ce terrain, rallié cette philosophie. Mais, pour autant, le projet de loi d’orientation et de programmation de la justice du garde des sceaux, Dominique Perben, accumule de tels défauts qu’on doute qu’il parvienne à cet objectif.
Le projet est en premier lieu condamnable sur la forme. Il n’a fait l’objet d’aucune concertation avec les magistrats, les avocats et les éducateurs. Il utilise une procédure législative d’urgence, au mois de juillet, pour un texte qui, touchant aux libertés publiques, eût mérité un débat de fond. Comme si le « faire vite » et l’esprit commando étaient la clé de la réussite.
Il est aussi condamnable sur le fond. La réforme de la procédure pénale, l’un des volets du projet, propose d’abandonner certaines dispositions de la loi sur la présomption d’innocence du 15 juin 2000 qui limitaient le délai de détention provisoire. La durée des incarcérations risque d’augmenter à nouveau alors que la France détient déjà de tristes records : elle a été condamnée sur ce sujet par la Cour européenne des droits de l’homme.
L’instauration d’une justice de proximité donne à des juges non professionnels des compétences en matière civile, mais aussi pénale, pour régler les petits délits. Le Conseil d’Etat s’est ému de cette confusion des genres et des statuts, et les syndicats y voient une « sous-justice ».
Mais que ces juges de proximité aient pouvoir sur les mineurs de 13 à 18 ans est inquiétant, en ce que cela dénature l’ordonnance de 1945, qui avait instauré la spécialisation des juridictions de mineurs. Bien juger un enfant impose une relation personnalisée entre lui et le magistrat si l’on veut croire à son insertion sociale future. C’est une des principales critiques que l’on peut faire envers ce projet qui revient sur cinquante ans d’efforts pour traiter de la délinquance des mineurs et qui menace, comme l’a dit la Commission nationale consultative des droits de l’homme, « de démanteler le rôle du juge des enfants et de désarticuler le travail global des acteurs de la protection de l’enfance ».
Il en est de même du projet de « centres éducatifs fermés » où seront placés des mineurs de 13 à 18 ans. Le gouvernement, qui veut faire croire à la résurrection des maisons de correction, se paie de mots. Il ne s’agit que de foyers, non clos, qui ressemblent fort aux actuels centres éducatifs renforcés. Mais à cette différence que les fugueurs risquent d’être expédiés en prison, où les conditions de détention, criminogènes, sont unanimement dénoncées.
Une année de prison coûte le salaire de trois éducateurs. En ne donnant qu’une réponse sécuritaire à un dysfonctionnement social majeur dont les causes sont multiples et anciennes, le gouvernement espère engranger le bénéfice de l’action rapide. Aux dépens d’une certaine idée des libertés et de l’éducation.
ARTICLE PARU DANS L’EDITION DU JOURNAL LE MONDE du 18.07.02
21 juillet 2002 :
Les « centres éducatifs fermés » ne seront pas fermés
(extraits d’un article de cécile Prieur,
dans Le Monde du 18 juillet 2002)
Les « centres éducatifs fermés », lancés par le gouvernement Chirac-Raffarin évoquent les maisons de correction. En réalité, de tels centres, s’ils étaient réellement « fermés » rentreraient dans un cadre pénitentiaire. Or, l’enfermement dans un établissement pénitentiaire répond à des conditions juridiques strictes : il doit être prononcé à l’issue d’un procès, en présence d’un avocat, et doit pouvoir faire l’objet d’un appel. La durée de l’enfermement doit être précisée, et pour un mineur, être la plus brève possible. Autant de conditions qui ne figurent pas dans le texte du gouvernement puisqu’il n’implique pas un réel enfermement.
En fait le garde des sceaux Dominique Perben a expliqué le 4 juillet que ces structures ne seront pas des établissements pénitentiaires et que « les éducateurs n’y auront pas un rôle de gardiennage ». Le centre éducatif fermé sera ainsi « un centre de très petite taille, destiné à accueillir 6 à 10 jeunes seulement, qui seront très encadrés et suivront un programme à très fort contenu éducatif dirigé vers leur réinsertion ». Ce programme pourra comporter des activités - sportives ou de formation - « suivies à l’extérieur du centre, dûment autorisées par l’équipe éducative ». Cette définition est très proche du fonctionnement des Centres éducatifs renforcés (CER) de l’ancien garde des sceaux (RPR) Jacques Toubon, développés par le gouvernement Jospin.
La prison pour tout horizon
En réalité « les centres fermés ne seront pas des prisons, ce seront des centres où l’on prendra les moyens d’éviter que les fugues soient trop systématiques », a expliqué Jacques Chirac, le 14 juillet. Avec, pour unique clôture, l’assurance de quitter le centre pour la prison.
On a donc d’un côté un coup de bluff destiné à alimenter le réflexe « sécuritaire » de l’électorat de droite, et d’autre côté, ce qui est plus grave, la perspective d’envoyer en prison des jeunes dès l’âge de 13 ans.
Philippe Chaillou, président de la Chambre Spéciale des mineurs, à la Cour d’Appel de Paris, estime, lui que le projet de Dominique Perben « propose une réponse uniquement judiciaire à un dysfonctionnement social majeur » . Depuis le XVIIIe siècle, la question de la délinquance des mineurs est aussi celle de l’urbanisation, de l’industrialisation et de la pauvreté.J’ai le sentiment que la France cherche à copier l’Angleterre où l’incarcération de 3500 mineurs n’a pas enrayé le processus ".
Il ne faut pas oublier, en outre, le caractère « criminogène » des prisons, et le fait que la plupart de celles-ci sont, selon un rapport du sénat, « indignes de la France du XXIe siècle »
21 juillet 2002 :
Les principales mesures envisagées
Le projet de loi d’orientation et de programmation sur la justice, qui prévoit un budget de 3,65 milliards d’euros de 2003 à 2007, comporte trois volets.
Justice de proximité. 3 300 « juges de proximité », magistrats non professionnels, devraient être recrutés. Ils seront compétents pour régler, au civil, « les litiges de la vie quotidienne » et, au pénal, les petits délits, commis par les majeurs mais aussi les mineurs. Il faudra au gouvernement une loi organique pour régler leur statut.
Justice des mineurs. Le projet crée des « centres éducatifs fermés »où seront placés des mineurs de 13 à 18 ans, dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou d’un sursis avec mise à l’épreuve. En cas de non-respect du contrôle judiciaire, le mineur pourra être placé en détention provisoire, et ce dès 13 ans. Le projet prévoit des « sanctions éducatives » pour les 10-13 ans et « le jugement à délai rapproché » des mineurs multirécidivistes.
Procédure pénale. Le projet modifie les conditions de placement et de durée de la détention provisoire, en revenant sur certaines des dispositions de la loi sur la présomption d’innocence du 15 juin 2000. Il étend également la comparution immédiate aux délits encourant jusqu’Ã dix ans d’emprisonnement.
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(écrit le 7 août 2002) :
Enfermez-le !
La mode est à la répression des actes délictueux des sales garnements, dès l’âge de 10 ans. Le problème n’est pas nouveau ! L’histoire a retenu le comportement d’un jeune prince, « bagarreur, violent, débauché, qui n’hésite pas à abuser du prestige dû à sa naissance et à sa condition pour satisfaire ses instincts les plus vils. Il s’entoure d’une troupe de garnements peu recommandables, complices de ses pires forfaits. Tenter de dresser ce fainéant est une préoccupation constante pour sa mère et ses conseillers. Cette tâche infernale aurait, dit-on, épuisé le duc Ega et précipité sa fin ».
Ce sale garnement est le jeune Clovis, de la dynastie des mérovingiens, né en 634 et qui devint un roi tout à fait responsable, sous le nom de Clovis II, succédant au roi Dagobert...
Ecrit le 28 septembre 2005 :
Fils de .......
Monsieur Galouzeau de Villepin a un fils, Arthur. Normal.
Ce fils s’amuse avec des copains. Normal.
Sauf qu’ils s’amusent avec de l’alcool, qu’ils font du bruit, que ça gène, que les voisins appellent la police. Normal, jusque là (enfin, pour l’appel à la police).
Et quand le policier demande normalement son identité au fils de Villepin, que fait l’héritier ? S’écraser ? Non, il appelle son père.
Que fait celui-ci ? Il engueule son fils, car celui-ci fait preuve d’un sacré culot et va lui pourrir sa future présidence-de-tous-les-Français ?
Non, il demande au gendarme de faire comme s’il n’avait rien vu rien entendu, parce qu’il faut quand même pas confondre sauvageon du 9-3 et rejeton du XIV°.
Le jour où les pères de Momo, M’ba ou Mohamed pourront faire pareil sans se prendre un car de flics sur la tronche, on sera vraiment en démocratie !
PMB et Canard Enchaïné du 22.09.2005