Ecrit le 1er septembre 2010
Très chers parents : la prison pour vous !
L’été a été riche en propositions de toutes sortes. En voici une : envoyer en prison les parents qui ne « tiennent » pas leurs enfants. Voilà un beau sujet de méditation pour la rentrée scolaire. qu’en pense un juge pour enfants ? (extraits).
« Cool Papa, ! J’t’apporterai des oranges .! »
Rien ne justifie de nouvelles dispositions durcissant les règles du jeu pénal concernant les mineurs : la délinquance des plus jeunes continue de diminuer en proportion. Cette décroissance a été engagée en 2000 faut-il le préciser ? Il est inexact de dire, comme le fait M. Ciotti dans le JDD du 1er août que 164 000 mineurs ont été condamnés en 2008 : le député confond le nombre d’affaires poursuivables avec le nombre de mineurs condamnés qui ne s’élève qu’Ã 70 000 (voir Les chiffres de la justice 2009, Ministère de la justice).
Première remarque : ceux qui nous gouvernent paraissent être à un tel point d’ignorance que l’on peut se demander s’ils ne sont pas de mauvaise foi. Comment peuvent-ils ignorer que depuis 1984 une disposition condamne sévèrement les manquements aux obligations parentales. Article 227-17 CP modifié le 4 juillet 2005 - « Le fait, par le père ou la mère, de se soustraire, sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »
Tous les parents sont visés quelle que soit la nature de la filiation. Tous les enfants sont protégés : pas seulement les enfants de moins de 15 ans. Ce texte permet de répondre au souci posé par M. Ciotti de mobiliser des parents sous la menace de sanctions pénales. Et il est appliqué. Chaque année 150 à 200 parents sont condamnés à des peines souvent symboliques, mais qui dans 10% des cas sont des incarcérations fermes.
Deuxième remarque : le projet de texte développé dans le JDD frise la responsabilité pénale du fait d’autrui en laissant entendre que les parents seraient responsables pénalement du non-respect par l’enfant des obligations qui lui sont imposées. En violant les termes du contrat judiciaire signé entre ses parents et le juge, l’enfant rendrait ses parents incarcérables !
Concrètement, actuellement, en ne respectant pas le contrôle judiciaire qui peut lui être imposé, l’enfant prend le risque d’être incarcéré ; désormais il entrainera ses parents dans sa chute.
Mesure-t-on le pouvoir que l’on donne ainsi à des enfants : par définition pas nécessairement très équilibrés - dans des situations familiales sensiblement délicates ? Meilleure hypothèse : « T’inquiète pas Papa je t’apporterai des oranges en prison ! ». Hypothèse plus préoccupante sur fond de profond conflit familial « Je vous avais dit que je vous le ferais payer en vous envoyant en taule ! Nous y sommes ». En ignorant les réalités humaines, sociales et judiciaires on joue avec le feu !
Et les Grands Parents ?
Et pourquoi s’en tenir aux parents ? Ils ne sont pas les seuls à avoir des responsabilités sur l’enfant « délinquant ». déjà eux-mêmes n’en sont-ils pas là du fait de leurs propres parents ? Pourquoi laisser les aïeux en paix ?
Et pourquoi ne pas rendre pénalement responsables l’éducateur qui ne sait pas surveiller un jeune qui lui est confié ? le juge des enfants qui n’a pas su se faire respecter dans son autorité ? Et même le procureur de la République pour n’avoir pas su prendre ou faire prendre les bonnes mesures afin d’empêcher de nouveaux passages à l’acte ?
La prison pour tous !
Ces dérives du raisonnement prouvent combien on est sur une erreur d’analyse : si les parents ont une part de responsabilité, variable selon les cas, les punir pénalement peut être injuste ; les menacer de punition peut être totalement inefficient.
Troisième remarque : évidemment il ne faut pas nier la responsabilité parentale dans le comportement asocial persistant d’un enfant, en sachant que par définition un enfant réellement inscrit dans la délinquance ne commet pas un délit, mais 10 : il est « par nature » réitérant. Il faudra du temps pour transformer ses conditions de vie et le sortir de son mode de vie.
Reste qu’il est toute une gamme de situations très différentes entre les parents qui démissionnent totalement de leur autorité en ne sachant pas imposer leur loi et ceux qui vont jusqu’Ã inciter leurs enfants à commettre des délits, en passant par les cas les plus fréquents de parents eux-mêmes en grande difficulté dépassés par le comportement d’un enfant sous l’influence de la rue et des copains, crise d’adolescence ou pas de surcroit. Il est évident qu’il faut rappeler les règles du jeu social aux parents et aux enfants : par exemple, les parents sont en droit, voire en devoir, d’interdire à leurs enfants de sortir à certaines heures ou de fréquenter certains endroits ou certaines personnes.
La proposition d’Eric Ciotti rappelle la démarche des arrêtés dits couvre-feux. On rappelle les règles sociales par des interdits et la menace de sanction plus que par une campagne de sensibilisation positive. On connait les limites de cette démarche.
Les professionnels estiment qu’il faut mobiliser les compétences parentales, car les parents sont une référence majeure et les enfants sont destinés qu’on le veuille ou pas à demeurer dans le giron familial. Contrairement à ce qui est avancé, les parents sont le plus souvent présents dans l’enceinte judiciaire et auprès des travailleurs sociaux. Fréquemment désarçonnés, ils sont très demandeurs à l’égard du juge et des éducateurs ; ils sont en attente d’une aide qui leur sera fréquemment promise mais qui n’interviendra pas avant longtemps, faute de moyens matériels et humains ! On peut entendre le souci du parlementaire de systématiser un plan de mobilisation parentale. Mais il ne suffit pas de dire « il faut », il est encore nécessaire de dégager les moyens pour ce faire. Or quelque 4000 mesures éducatives sont régulièrement en attente d’attribution au sein des services de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) et il faut régulièrement 2-3 mois, voire plus, pour que ces mesures soient effectives.
Incarcérera-t-on aussi le directeur de la PJJ pour non-respect de la décision de justice ? Le juge a donné un mandat à l’administration de la justice qui ne l’exécute pas ! En prison le ministre ?
Quatrième remarque et pas des moindres : quand on vise les parents, de qui parle-t-on ? Très souvent les pères sont absents, partis de longue date, quand ils ont une existence légale, ce qui n’est pas toujours le cas. Au point où personne ne s’étonne plus qu’une femme soit seule en charge de son enfant. Les pouvoirs publics envisagent-ils de rechercher les pères et de les forcer à exercer leurs responsabilités ? Ce sont souvent des beaux -parents qui font office de parents avec les grands-parents qui fréquemment n’en peuvent mais.
détail : qui va s’occuper de l’enfant dont les parents sont incarcérés ? Le plus simple ne serait-il pas mieux de faire en sorte qu’un maximum d’enfants ait réellement la possibilité d’être élevé par ses deux parents même si ceux-ci sont séparés ? d’avoir le souci de venir en soutien aux familles en difficulté éducative le plus tôt possible ? De rappeler publiquement les règles du jeu social, spécialement les termes de l’autorité parentale, des droits et devoirs des parents à l’égard de leurs enfants ? Bref de développer une réelle démarche de prévention.
Au lieu de cela on agite des menaces à un moment où les parents sont déjà dépassés par les événements. On n’est pas loin dans cette attitude de se défausser des responsabilités publiques sur ces parents. On a tout faux.
Extraits de : http://jprosen.blog.lemonde.fr/
Jean-Pierre Rosenczveig, juge