Ecrit le 5 octobre 2016
Le Cnesco (Conseil National d’Evaluation du Système Scolaire) a mobilisé 40 chercheurs français et étrangers (sociologues, économistes, didacticiens, psychologues) pour mesurer et comprendre l’ampleur et les formes réelles des inégalités sociales et migratoires et comment l’école française fabrique de l’injustice scolaire.
Le rapport du Cnesco tend à montrer que les inégalités sociales à l’école empruntent des formes multiples : inégalités de traitement dans les ressources d’apprentissage dont les élèves disposent réellement à l’école, inégalités dans leurs résultats scolaires, inégalités sociales dans les orientations, dans les diplômes et même dans le rendement des diplômes sur le marché du travail.
L’école hérite d’inégalités familiales mais produit, en son sein, à chaque étape de la scolarité, des inégalités sociales de natures différentes qui se cumulent et se renforcent.
Le rapport se présente en trois parties : tout d’abord, une définition des inégalités sociales à l’école et des approches de la justice scolaire ; ensuite, un état des lieux quantitatif présentant ces inégalités scolaires ; enfin, une présentation des politiques scolaires entreprises depuis quatre décennies dans l’objectif de combattre les injustices sociales à l’école tant au primaire qu’au secondaire , ainsi qu’un bilan sur leur efficacité.
Des inégalités amplifiées
On constate en effet des inégalités de moyens : par exemple, en éducation prioritaire, le temps d’enseignement effectif est plus court que dans les établissements situés en secteur ordinaire, les enseignants, principalement des débutants, ne restent pas longtemps dans leur établissement d’affectation, leurs absences sont plus fréquentes et liées à leurs conditions d’exercice. Or la recherche a montré que le sentiment d’efficacité personnelle d’un enseignant exerce une influence importante sur un grand nombre de variables intervenant dans la réussite des élèves et que ce sentiment est associé à son expérience professionnelle.
On constate aussi des inégalités liées à l’environnement : ségrégations inter - et intra - établissements et inégalités en termes de climat scolaire . Les élèves bénéficient également d’un traitement différent en termes de soutien extrascolaire, et notamment de leur accès aux cours privés, en fonction de leur milieu socio - économique. Constat plus connu depuis la publication de l’enquête PISA : les résultats scolaires aussi varient selon l’origine sociale et migratoire. Etudes françaises et internationales montrent un accroissement de ces écarts entre élèves favorisés et défavorisés depuis 2000 alors que dans le même temps les pays de l’OCDE progressent dans la lutte contre les inégalités à l’école.
Les inégalités existent aussi dans les aspirations des élèves et de leurs familles, dans les processus d’orientation, de diplômation, dans les poursuites d’études engagées , et même dans le rendement des diplômes, de l’enseignement obligatoire, sur le marché du travail.
Ne pas assurer la réussite !
Pour comprendre comment l’école peut transformer des inégalités sociales en inégalités scolaires, il est nécessaire de s’intéresser aux pratiques pédagogiques. Quatre contributions s’attachent ainsi à analyser les pratiques contribuant à ne pas assurer la réussite des élèves les plus défavorisés socialement. Un exemple : les mathématiques où les élèves des milieux les plus modestes sont confrontés aux modalités d’apprentissage les moins efficaces. La recherche a ainsi mis en évidence qu’une part importante, dans l’enseignement proposé aux élèves, de « mathématiques formelles » (algèbre, géométrie), par opposition aux mathématiques de la vie courante, permet d’acquérir un haut niveau de conceptualisation et de performance globale dans cette discipline. En France, l’exposition des élèves à ce type d’enseignement est très marquée socialement. Les élèves les plus défavorisés déclarent être moins exposés à l’enseignement des « mathématiques formelles » que les élèves favorisés. Cette différence de traitement est plus importante en France qu’ailleurs dans l’OCDE.
méritocratie, égalité des acquis
L’enseignement en France s’est structuré autour du principe d’égalité des chances et de méritocratie : les élèves sont censés recevoir la même éducation, quelles que soient leurs caractéristiques individuelles et familiales, et leur réussite ne doit être due qu’au mérite individuel (travail, compétences,...) ; il s’agit de l’idée phare de l’école républicaine, dont le collège unique a hérité à sa création. Cependant, l’existence d’inégalités de réussite à l’école : entre des groupes d’élèves : révèle les limites de ce principe : des inégalités initiales, hors de l’école, se reflètent au sein du milieu scolaire et un enseignement unique engendre et amplifie ces inégalités ; le concept de méritocratie néglige alors le fait que le mérite est intrinsèquement lié aux conditions socio-économiques des élèves.
« L’objectif de l’enseignement obligatoire devrait donc être » l’égalité des acquis « : il ne s’agit pas seulement de garantir l’égalité formelle entre élèves, mais de tendre vers une plus grande égalité réelle des acquis, en instituant la période de scolarité obligatoire comme moyen de faire acquérir par tous un ensemble à partager socialement de savoirs, de savoir-faire, de savoir-être et de savoir-devenir, pour reprendre des termes un peu anciens, ou encore un socle commun de connaissances, de compétences et de comportements ».
ségrégation
Les recherches internationales mettent en évidence les effets très négatifs de la ségrégation sur les apprentissages des élèves en difficulté. l’absence de mixité sociale est aussi particulièrement nocive pour le climat scolaire et la construction des futurs citoyens, qu’ils soient issus de milieux socialement défavorisés ou plus aisés. Au « bon bout » de l’échelle sociale, l’entre-soi est de mise dans les milieux très aisés. un élève issu de milieu favorisé aura dans sa classe en moyenne deux fois plus d’élèves favorisés qu’un autre élève. De la même manière, un bon élève aura deux fois plus de bons élèves dans sa classe qu’un autre élève.
Deux logiques sont à l’œuvre. d’abord, une logique de ségrégation inter-établissements : les établissements accueillent des publics qui sont socialement et scolairement différents, ce qui traduit notamment la ségrégation résidentielle. Ensuite une logique de ségrégation intra-établissements : au sein d’un même établissement, avec une ségrégation entre les classes. Les concentrations d’élèves en difficulté sociale et scolaire ne sont pas sans incidence sur le climat scolaire des établissements qui les accueillent.
Les cours particuliers
Les analyses du Cenesco n’ont pas démontré un effet puissant des cours sur les compétences ou les carrières scolaires, mais elles observent que les cours privés payants sont marqués socialement et ce d’autant plus que la politique fiscale a bénéficié en priorité aux familles les plus favorisées. Il existe aussi des activités de soutien gratuits, en dehors de l’école, comme peuvent en dispenser en France des associations ou des collectivités territoriales [par exemple, chez nous, les associations Rencontres et RAP -relais-accueil-proximité]
Diplômes
Le collège accentue les inégalités : « alors que 66% des enfants de cadres, d’enseignants, de chefs d’entreprise et de professions libérales entrés en sixième en 2007 et ayant obtenu une note comprise entre 8 et 10 au contrôle continu du brevet des collèges demandent une seconde générale et technologique, les enfants d’ouvriers sont environ deux fois moins nombreux, avec les mêmes résultats ». Les aspirations des familles et des élèves sont importantes, parce qu’elles définissent les parcours que les élèves « oseront » envisager pour leur avenir scolaire, universitaire ou professionnel. Elles sont aussi déterminantes car, quand elles sont élevées, elles sont porteuses de détermination et motivation dans son travail pour l’élève.
[Il y a encore beaucoup de choses dans ce rapport que nous vous invitons à lire pour pouvoir mieux lutter contre les inégalités !]