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Ecrit le 15 septembre 2010
La garde à vue à la française : condamnée
Vendredi 30 juillet 2010, une décision du Conseil constitutionnel est quasiment passée inaperçue au milieu du délire sécuritaire sarkozien : la garde à vue à la française est condamnée.
La garde à vue (gav pour les habitués) est le pouvoir donné par la loi à un officier de police judiciaire de priver de liberté une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction. Cette privation de liberté peut durer 24 heures, renouvelables une fois, soit 48 heures. Cette privation de liberté se double d’une mise au secret : le gardé à vue peut seulement faire prévenir par la police son employeur ou un membre de son entourage proche (parents, conjoint), demander à être examiné par un médecin, et à avoir un entretien avec un avocat (mais pas plus d’une demi-heure).
c’est que le système judiciaire français repose sur la culpabilité a priori (tout en parlant de présomption d’innocence) pour laquelle il est nécessaire d’obtenir des aveux, même sous la contrainte. [et même quand ce sont de faux aveux !].
Dans sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les articles 62 (audition des personnes convoquées sans avocat), 63 (principe et modalités de la garde à vue), 63-1 (notification des droits), 63-4 (entretien limité avec un avocat : 30 min max, pas d’accès à la procédure) et 77 (application de la garde à vue aux enquêtes préliminaires) du Code de procédure pénale. Et il a demandé au gouvernement de modifier la loi, c’est pourquoi Mme Alliot-Marie a présenté au Conseil d’Etat un avant-projet de loi comportant les dispositions suivantes :
Moins de gardes à vue. Ne pourront être placées en garde à vue que les personnes soupçonnées d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement. On pourrait passer comme cela de 800 000 gardes à vue par an, à 300 000.
Audition libre : l’avant-projet de loi prévoit la possibilité d’entendre une personne suspectée sous un régime d’audition libre plutôt que de garde à vue, à partir du moment où elle accepte de demeurer dans les locaux de police pendant le temps strictement nécessaire à son audition. [ndlr : mais de ce fait la personne perd les garanties de la garde à vue !]
Prolongation : elle ne sera plus possible pour les délits punis de moins d’un an d’emprisonnement.
Fouilles à corps : l’avant-projet interdit les fouilles à corps intégrales et il prévoit la notification du droit au silence.
Avocat : l’avant projet affirme le droit à la présence d’un avocat durant toute la garde à vue, pour toutes les gardes à vue de droit commun.[Ndlr : sauf que cette présence aura un coût considérable : seuls les accusés fortunés comme d’habitude !]
Zone grise
Sur certains points le projet de loi satisfait magistrats et avocats sauf l’audition libre, c’est-Ã -dire la possibilité d’entendre une personne sans mesure de contrainte, mais aussi sans limite de durée et sans avocat.
« On nous accorde de nouveaux droits et on crée un moyen de les contourner ! », s’indigne un avocat, évoquant une nouvelle « zone grise », tandis qu’un autre dit qu’il va se passer la chose suivante : « les mis en cause vont être incités à choisir l’audition libre car ils préfèreront éviter la cellule de garde à vue, sans forcément réaliser qu’ils abandonnent leurs droits ».
Les policiers, eux, sont hostiles à cette réforme, prétextant le manque de moyens budgétaires, matériels et humains et les locaux inadaptés. Un des syndicats déclare même que cette réforme viendra « annihiler tous les efforts entrepris pour juguler l’explosion criminelle (...) dans notre pays ».
Comment ça ? Sarkozy est aux commandes depuis si longtemps comme ministre de l’Intérieur et président de la République, et nous avons une explosion criminelle ? En tout cas, selon une étude du sénat, en Angleterre, Allemagne, Danemark, Espagne, Italie et USA, les personnes placées en garde à vue peuvent bénéficier de l’assistance effective d’un avocat dès qu’elles sont privées de liberté.
Peut-être ce sont des pays trop laxistes...
(1) 530 994 gardes à vue en 2006
Environ 800 000 en 2009
Ecrit le 15 septembre 2010
Acquitté !
Il s’appelle Vamara KAMAGATE. Il est ivoirien, SDF, sans papiers, mais en France depuis 20 ans, il traîne à Paris. Il se fait remarquer quand il est ivre en insultant les femmes qui passent.
Elle s’appelle Alexandra G, étudiante en médecine. Son petit ami est policier à Paris, et ne s’intéresse pas assez à elle à son goût.
Un soir de février 2008, elle lui raconte qu’elle a été agressée dans la rue, par un homme noir d’une soixantaine d’années pourtant un bob sur la tête.
L’enquête est rondement menée. La police fait passer l’info qu’on recherche « un SDF africain d’âge mûr ». Muni de cette description détaillée, le bureau de coordination des opérations signale qu’il a ça en magasin (). On présente la photo de Monsieur KAMAGATE au milieu de huit autres à Alexandra G., qui l’identifie en précisant être « pas absolument formelle » mais précisant reconnaître sa casquette rasta, « très caractéristique ». Vamara Kamagaté nie absolument les faits.
Le Parquet estime en avoir assez pour une comparution immédiate, et notre ivoirien est jugé le 8 mars 2008, déclaré coupable et condamné à 18 mois d’emprisonnement. La victime ne se présente pas à l’audience mais est représentée par un avocat. Elle obtient 3000 euros de provision sur dommages-intérêts.
Mal conseillé, Monsieur Kagamaté ne fait pas appel. Justice est faite. Sauf que
Sauf que voilà , Alexandra G. a tout inventé. Tout. Et le 14 mai 2008, rongée par le remord (elle croyait, naïve, que M. Kamagaté ne pouvait se faire condamner sur une accusation fantaisiste), elle écrit une lettre que son avocat transmet au tribunal exposant qu’elle avait bien été victime d’une telle agression, mais à l’âge de 13 ans, agression dont elle avait le sentiment qu’elle n’avait pas été suffisamment prise en compte par ses parents, puis à la fin de ses études secondaires, elle avait été victime d’un viol qu’elle avait gardé secret, et que, « fréquentant un policier, elle avait été touchée de sa réaction face à l’agression dont avait été victime une de ses amies » et du coup que, traversant une crise d’angoisse, elle lui avait déclaré qu’elle s’était fait agresser et lui avait en réalité décrit ses agressions antérieures.
Le parquet fait diligenter une enquête qui établit qu’en effet, tout le récit était inventé. Merveilleuse police qui à la demande, établit dans la même affaire, la culpabilité puis l’innocence.
l’affaire remonte à la chancellerie, puisque seule la garde des sceaux : à l’époque Rachida Dati : peut lancer la révision d’une condamnation devenue définitive. Après six mois de détention, Vamara Kamagaté est remis en liberté, sans comprendre tout de suite ce qui lui arrive. Le 24 juin 2009, la Cour de cassation annule son jugement et le renvoie devant le tribunal correctionnel.
Lundi 6 septembre, Vamara Kamagate a écouté le procureur François Lecat expliquer qu’il n’y avait, dans cette affaire, aucune raison d’entrer en voie de condamnation. « Ce qui est terrible, au fond, c’est que cette procédure n’a pas été irrégulière. Enquête de routine, jugement de routine. Nous sommes face à une authentique erreur judiciaire. Je demande évidemment la relaxe du prévenu », a-t-il déclaré.
L’homme a été relaxé, Alexandra G. n’est pas poursuivie pour fausse dénonciation. Las, les malheurs de M. Kamagate ne sont pas finis, puisqu’il a fait l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière en avril dernier. Même libre, il encombre. La légalité de cette reconduite est aussi douteuse que sa culpabilité, puisqu’il est en France depuis 20 ans, même s’il n’a de preuves que pour les 12 dernières années.
Alors, que va-t-il se passer ?
(d’après les écrits de Maître Eolas : http://www.maitre-eolas.fr/post/2010/09/07/Vamara-Kamagate-relax%C3%A9)