Ecrit le 15 septembre 2004 :
Réduire les effectifs des classes défavorisées
(étude de Thomas Piketty)
Thomas Piketty est économiste, chercheur, directeur d’étude à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Dans une étude publiée en mai 2004, il s’est interrogé sur l’influence, en matière de réussite scolaire, de la diminution du nombre d’élèves dans les classes défavorisées.
Des constats :
Taille moyenne des classes
– .dans les ZEP (zones d’éducation prioritaire) : 21,9 élèves
– .hors ZEP : 23,3
Aux tests de connaissance en maths, en début de CE2
les réponses sont exactes pour :
– . 57,75 % des élèves des zones ZEP
– . 67,68 % des élèves hors ZEP
(ce qui fait un écart de 9,93 points)
Aux tests de connaissance en début de CP,
le score moyen de réussite est :
– . 65,18 % pour les enfants d’ouvriers
– . 75,68 % pour les enfants de cadres
(ce qui fait un écart de 10,5 points)
Dans la plupart des pays, et en particulier en France, la taille des classes a tendance à être plus faible dans les écoles socialement défavorisées qui ont le plus besoin de moyens supplémentaires. Mais ce léger ciblage des moyens est généralement beaucoup trop limité pour compenser le handicap initial de ces écoles.
On a donc vite fait de dire que, dans les classes à faible effectifs, les résultats scolaires sont moins bons que dans les autres.
Thomas Piketty a étudié la scolarité complète d’un échantillon national de 9639 élèves entrant au CP (Cours préparatoire) à la rentrée 1997, et répartis sur 1400 écoles.
Les indicateurs de réussite scolaire qu’il a utilisés sont les tests standardisés d’évaluation des compétences en français et en mathématiques auxquels ont été soumis ces élèves à la rentrée du CP (Cours préparatoire) et à la rentrée de CE2 (Cours élémentaire 2e année).
Inégalité de départ
Le score moyen obtenu par les 9639 élèves du panel primaire 1997 lors des évaluations de début de CP est de 68,99 (ce qui signifie qu’ils ont correctement répondu à 68,99% des questions en moyenne). Parmi les élèves de Zep, le score moyen est de seulement 62,02, contre 70,00 hors Zep, soit un écart de 8 points, ce qui est considérable.
On retrouve le même type d’écart quand on compare différents groupes d’élèves en fonction de la profession et catégorie socio-professionnelle (PCS) ou du niveau de formation de leurs parents, ou bien encore de leur nationalité.
Le score moyen des enfants d’ouvriers à l’entrée en CP est ainsi de 65,18, contre 75,68 pour les enfants de cadres, soit un écart de plus de 10 points. Le score moyen tombe même jusqu’Ã 58,44 pour les enfants de parents « sans profession », plus de 17 points au-dessous des enfants de cadres.
On retrouve également des inégalités scolaires entre garçons et filles. Un autre fait bien connu : les enfants nés plus tard dans l’année sont moins mûrs et obtiennent des résultats plus faibles aux épreuves d’évaluation, notamment en début de CP. Les inégalités de réussite scolaire liées au sexe ou au mois de naissance sont toutefois d’une ampleur sensiblement plus limitée que les inégalités liées au milieu social, qui sont quantitativement très impressionnantes à un si jeune âge.
Le ciblage des moyens
permet-il de réduire les inégalités scolaires ?
Les résultats obtenus par Thomas Piketty jusqu’ici peuvent se résumer de la façon suivante : toutes choses égales par ailleurs, si on diminue d’un seul élève l’effectif de la classe de CE1, cela conduit à une augmentation de l’ordre de 0,70 point du score obtenu par les élèves socialement défavorisés aux évaluations de mathématiques de début de CE2, et à une augmentation de l’ordre de 0,25 point du score obtenu par les élèves socialement favorisés aux évaluations de mathématiques de début de CE2.
Supposons maintenant que l’on renforce la politique de ciblage des moyens en faveur des Zep, et que l’on passe à 18 élèves par classe en Zep, ce qui exigerait (pour conserver le même nombre total d’enseignants) que l’on augmente la taille moyenne de classes à 24,16 hors Zep.
En appliquant les mêmes coefficients que précédemment, Thomas Piketty a calculé que le score moyen en Zep passerait à 61,36 (au lieu de 57,75) points et celui hors Zep à 67,43 points (au lieu de 67,68) soit un écart de 6,08 point, c’est-Ã -dire une réduction de l’ordre de 40 % par rapport à la situation de référence. Cette réduction de 40% de l’inégalité de réussite scolaire entre Zep et hors Zep est d’autant plus spectaculaire que, d’après les estimations de Thomas Piketty, elle pourrait être obtenue au prix d’une réduction minime du score moyen des élèves hors Zep, qui passerait de 67,68 à 67,43 point et sans changer le nombre d’enseignants.
Pour aboutir à une égalisation
complète des scores moyens
en Zep et dans le reste du pays
il faudrait 10,65 élèves par classe en Zep,
ce qui exigerait 27,68 élèves par classe hors Zep.
Finalement des réductions ciblées et relativement peu douloureuses des effectifs des classes pourraient réduire substantiellement les inégalités de réussite scolaire séparant les 10% les plus défavorisés et les 90% les plus favorisés.
Mais pour que la redistribution des moyens éducatifs ait des effets visibles sur les inégalités, il n’est pas nécessaire de descendre jusqu’Ã 10 ou 15 élèves par classe pour obtenir des résultats tangibles. On peut déjà obtenir une réduction substantielle des inégalités scolaires avec des classes réduites à 18 ou 20 élèves plutôt que 22-23, politique qui peut être appliquée à 10 ou 20% de la population.
ségrégation scolaire
Pour réduire les inégalités en améliorant la réussite scolaire des enfants défavorisés, on peut
– . soit donner plus de moyens aux écoles accueillant le plus grand nombre d’enfants défavorisés (ce qui s’apparente à une forme de « discrimination positive »),
– . soit lutter contre la ségrégation sociale et faire en sorte que les enfants défavorisés ne se retrouvent pas uniquement entre eux et partagent les mêmes classes que les enfants favorisés
Thomas Piketty répète ce que chacun sait : le fait de se retrouver en classe avec des élèves socialement favorisés conduit à de meilleurs scores aux évaluations de CE2 (ce qui peut s’expliquer par le fait que les élèves apprennent de leurs interactions avec leurs camarades de classe) : les enfants défavorisés bénéficient nettement plus de l’intégration sociale que les enfants favorisés n’en souffrent. Il s’agit maintenant de comparer l’ampleur de ces effets avec ceux des tailles de classes réduites.
Le pourcentage moyen d’enfants favorisés est de 44,8 % au niveau national (toutes écoles confondues), mais il n’est que de 23,1% dans les écoles défavorisées, et il atteint 66,5% dans les écoles favorisées (une école est dite « défavorisée » quand elle comporte plus de la moitié d’enfants défavorisés)
Il existe donc quatre groupes d’élèves :
– . les élèves défavorisés des écoles défavorisées,
– . les élèves défavorisés des écoles favorisées,
– . les élèves favorisés des écoles défavorisées,
– . et les élèves favorisés des écoles favorisées.
Si l’on maintenait en l’état la ségrégation sociale actuelle, et si toutes les classes avaient le même nombre d’élèves (23,16 élèves), alors le score de réussite en maths des élèves défavorisés serait de 62,91 point, et celui des élèves favorisés de 70,69 point, soit un écart de 7,78 point.
On peut alors considérer deux séries de réformes, l’une centrée sur la discrimination positive, et l’autre sur l’intégration sociale :
1°]. On maintient la ségrégation sociale au niveau élevé observé actuellement
(soit 23,1% d’élèves favorisés en zone défavorisée, et 66,5% en zone favorisée), mais on réduit progressivement la taille des classes défavorisées (avec pour contrepartie une augmentation de la taille des classes en zone favorisée, puisqu’on maintient constant le nombre total d’enseignants).
On constate sans surprise que le score moyen des élèves défavorisés augmente et que les inégalités diminuent .
En l’occurrence, l’optimum (Ã ségrégation sociale donnée) serait de 19,1 élèves dans les classes défavorisées,
2°]. Mais si on réduisait la ségrégation scolaire ?
On maintient les effectifs en vigueur actuellement (22,62 élèves par classe en zone défavorisée, 23,73 en zone favorisée), et on organise une plus grande intégration sociale, par exemple au moyen d’une vigoureuse politique du logement, de façon à rapprocher les pourcentages d’enfants favorisés présents dans les deux zones.
« LÃ encore, on constate sans surprise que les résultats des élèves défavorisés augmentent et que les inégalités diminuent quand on fait reculer la ségrégation sociale, par exemple en faisant passer le pourcentage d’enfants favorisés en zone défavorisée de 23,1% à 40 % » ce qui est pratiquement irréaliste.
Si l’on imaginait une moyenne de 21 élèves par classe en zone défavorisée (ce qui serait déjà très difficile à atteindre), l’idéal serait d’avoir près de 30 % d’enfants favorisés en zone défavorisée.
Autrement dit,
l’intégration sociale
et la discrimination positive
sont des outils complémentaires.
Réussir, pourquoi ?
Peut-on estimer le rendement économique de la réduction des effectifs des classes défavorisées ?
Il serait très intéressant de pouvoir comparer le coût de cette politique (notamment en termes de salaires pour les enseignants supplémentaires) et les bénéfices attendus. Les bénéfices attendus viennent notamment du fait que de meilleures compétences en mathématiques et en français à l’entrée en CE2 peuvent se traduire par de meilleurs diplômes lors des études ultérieures, de plus grandes capacités cognitives à l’âge adulte, et finalement des productivités et des salaires plus importants (et des taux de chômage plus faibles).
La difficulté est qu’il n’existe aucune donnée permettant de connaître avec précision l’impact des scores de début de CE2 sur la carrière professionnelle future !
« Par ailleurs, de tels calculs de rendement de l’investissement éducatif reviennent à supposer que l’objectif unique de l’éducation est d’augmenter la productivité des personnes concernées, ce qui n’est pas le cas (ce n’est peut-être même pas l’objectif principal) » dit Thomas Piketty.
Ce qu’il faut retenir
de l’étude de Thomas Piketty
c’est que, sans augmenter le coût de l’enseignement,
on pourrait légèrement diminuer
l’effectif des classes très défavorisées
(autour de 18-19 élèves)
et augmenter l’effectif des autres (moyenne 24 élèves),
et qu’on réduirait les inégalités scolaires, donc les inégalités sociales.
Encore faut-il le vouloir !
Reste à savoir ce que veut dire « réussir à l’école » et ensuite « réussir sa vie ».
Ce n’est pas forcément lié à de bons résultats en maths et à un salaire très important... Ni même à une notoriété. Vaste débat...! ?
B.Poiraud
Ecrit le 15 septembre 2004 :
Une petite école de campagne :
Ruffigné attend sa 3e classe
Dans nos campagnes, des regroupements pédagogiques ont été effectués entre les écoles de bourgs voisins.
C’est ainsi que l’école de Ruffigné n’accueille que les enfants de maternelle et de CP (Cours préparatoire).
La commune a fait depuis quelques années un gros effort de rénovation.
Son fleurissement lui mérite à présent la distinction « Deux fleurs ».
Les maisons ont été décapées, retapées au point qu’il reste moins de 10 maisons anciennes à reprendre.
Un lotissement social attire des familles.
Dans quelques jours des offres de location vont être rendues publiques.
Conséquences :
l’école accueille 54 enfants présents le jour de la rentrée. Un 55e est prévu pour octobre. Le total devrait atteindre 57 en janvier (sans compter les futurs habitants du lotissement.
Tout ces bambins se retrouvent en deux classes : 27 en maternelle, et 27 en CP, soit un total de 54 alors que le seuil d’ouverture d’une troisième classe est de 53.
Les parents d’élèves tiennent fortement à leur troisième classe.
Les locaux existent. Il serait possible de faire :
– . 22 élèves en petite et moyenne section de maternelle
– . 16 élèves et 16 élèves de grande section de maternelle et de cours préparatoire.
L’inspection académique n’a attribué qu’un demi-poste d’enseignant. Les parents en colère occupent l’école pour obtenir trois classes.
Ecrit le 22 septembre 2004 :
Ruffigné : en vain
En ce qui concerne l’école de Ruffigné, une délégation de parents a été reçue par l’Inspecteur d’Académie, M. Muller. Celui-ci a refusé d’ouvrir une 3e classe, remettant même en cause, pour l’avenir, le regroupement pédagogique avec St Aubin des Châteaux. Une « aide à la direction » et un demi-poste d’enseignant ont cependant été attribués. Les parents constatent que cela fait une personne et demi mais ... qu’ils n’ont pas le droit de répartir les élèves en trois classes, ce qui n’aurait pas coûté plus cher qu’un poste d’enseignant.
Comprenne qui pourra