Ecrit le 19 novembre 2014
Au Houx, Andrée Rovere avait une classe de 27 élèves, de deux ans et demi jusqu’Ã 14 ans. « Ils étaient bien sages, les plus grands s’occupaient des petits ». A Châteaubriant, à l’école Marcel Viaud, Yvette a eu jusqu’Ã 36 enfants en maternelle.
Les garçons venaient de bonne heure le matin pour allumer le feu. Les institutrices aussi, dès 7 heures souvent. Dans les écoles rurales, mal isolées, avec de hauts plafonds, il était difficile de chauffer la classe. Souvent l’hiver l’encre gelait dans les encriers. Car bien entendu, les enfants écrivaient au porte-plume (qui ne se souvient de la plume ’’sergent-major’’ et des belles écritures en cursive ?). Pour protéger les encriers on les fermait avec des billes ou des cerises selon la saison ou on plaçait un couvercle de boite de cirage. Des filles décoraient ce couvercle avec le papier alu enveloppant du chocolat. Il fallait lisser avec l’ongle pour avoir un rendu bien brillant.
Yvette Mainguet : « Mais dans nos campagnes, on n’avait guère de chocolat Les enfants venaient souvent de très loin le matin, ils avaient froid, des guenilles autour des mains tenaient lieu de gants. Une école de Nantes nous offrait des fournitures scolaires car nous n’avions rien... »
Parmi les souvenirs, il reste « le repas du certif ». Le certificat d’études se passait à Mosdon-la-Rivière. Très tôt le matin, il fallait vérifier qu’il y avait des crayons et de l’encre dans les encriers. Le midi, les instituteurs/trices étaient invités par l’inspecteur, mais chacunE payait son repas. A l’examen, les enfants devaient, au choix, chanter une chanson ou réciter une poésie. La Marseillaise était au programme, ainsi que le Chant du départ et ’’En passant par la Lorraine’’. Les poésies étaient empruntées à Victor Hugo « Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, je partirai », Paul Fort « le petit cheval », René Guy Cadou « Odeur des pluies de mon enfance, derniers soleils de la saison. »
Les parents d’élèves étaient fort gentils ces années-là et point aussi soupçonneux que maintenant. Pour eux, l’école était importante.
« A Guémené-Penfao, raconte Yannick, au fond de la cour, se trouvait un vieux tronc d’arbre. La femme de service disait aux enfants : allez, on va faire une pissette. On voyait alors les filles assises sur le tronc et les garçons à qui pisserait le plus loin. Personne n’y voyait à mal. Ce ne serait pas la même chose maintenant ».
A Nozay, il y avait un ancien instituteur, Gaston Herrouin, qui assurait désormais l’enseignement agricole. Toujours chaussé de sabots, il formait de bons ouvriers agricoles. « J’assurais le relais, dit Andrée. Les enfants qui avaient quitté l’école, mais suivaient les cours agricoles, venaient m’apporter leurs devoirs et Gaston Herrouin passait régulièrement les chercher ». [Nb : Gaston Herrouin, très populaire, est devenu Conseiller Général du Canton de Guémené mais n’a jamais pu se faire accepter dans cette assemblée de notables. Il s’est suicidé quelques années plus tard, à la mort-aux-rats].
L’école, c’était l’éducation populaire. « Nous passions des films pour les familles. Il fallait d’abord trouver quelqu’un pour aller chercher le projecteur, et souhaiter que la bobine soit avec (un jour on s’est rendu compte que la bobine avait été montée à l’envers). Il fallait installer un drap sur le mur, assurer la projection et ensuite faire le commentaire à la population, puis trouver quelqu’un pour ramener le projecteur » Les institutrices étaient vraiment ’’bonnes’’ à tout faire et bien intégrées dans la population. Les enfants les aimaient et c’était souvent les garçons qui se relayaient pour avoir l’honneur de tirer l’eau du puits pour la soupe et la lessive de la maîtresse. Souvent les gamins apportaient des fleurs à leur maîtresse quitte à les cueillir chez un voisin ou à prendre celles qu’ils trouvaient, en chemin, au moment des Rogations ! Un jour un gamin a apporté un canard à la maîtresse. Un canard vivant. Sur le billot, il lui a coupé la tête mais le reste du corps a couru encore un temps dans la cour. Emotion.
Pou et compendium
Les enfants étaient un peu sales, il n’y avait pas de salle d’eau dans les maisons. Quelques uns d’entre eux devaient aider le matin à l’étable ou à la bergerie, et quand il n’y avait pas de lait, ils avaient droit au Calva dans leur café. Dans les classes c’était la hantise des poux, un véritable casse-tête pour les parents même pour ceux qui étaient attentifs à l’hygiène. Le pou pique le cuir chevelu pour se nourrir de sang, ce qui provoque des démangeaisons. Animal très coriace, le pou résiste presque à tout : à l’eau chlorée, aux shampoings classiques, aux variations de température. Si l’air est toxique, il peut même boucher les quatorze orifices qui lui permettent de respirer ! C’est pourquoi il est si difficile de s’en débarrasser. Alors il restait la ’’Marie-Rose’’. En ces périodes-là la classe sentait bon l’abricot.
A Soulvache et Blain, il y avait une personne chargée de la cantine. A Guénouvry, une cuisinière avait été embauchée : la grand-mère d’Yvette Mainguet, âgée de plus de 70 ans. Elle faisait ses 4 km à pieds pour venir à l’école le matin et s’en retournait de même le soir. « Nous avons eu des repas, ragoûts et soupes, mieux préparés ! ».
Dans les écoles de campagne, le mobilier était rudimentaire. Pour les élèves, il y avait des pupitres à deux places, avec banc attenant, encrier et rainure pour empêcher la chute des crayons. Pour la maîtresse : une estrade (indispensable à la solennité de l’exercice), un tableau de bois peint en noir, un coffre avec toutes les cartes, et un ’’compendium métrique’’ c’est à dire, dans une vitrine, une collection plus ou moins importante d’instruments de mesure représentatifs du système métrique. Par exemple, le mètre pliant et la chaîne d’arpenteur, quelques mesures de capacité en bois et en fer, le décimètre cube démontable ainsi que la balance de Roberval accompagnée de ses masses en fonte et en laiton. « Il fallait être vigilant pour que l’adorable petit poids d’un gramme, en laiton, ne disparaisse pas dans quelque poche »..
Les livres étaient rares : un livre de mathématiques en fin d’études, et un livre de lecture le « Malou, Perlin et Pinpin ». Chacun savait qu’une institutrice de Châteaubriant avait servi de modèle pour Malou ! Les livres, toujours couverts de papier bleu, restaient en classe et les enfants en prenaient soin.
L’enseignement était complété par les fameux tableaux ’’Rossignol’’ qui abordaient de nombreux thèmes : le marché, la gare, le salon de coiffure, l’entretien de la maison, les muscles, la germination, panneaux d’histoire, cartes de géographie, cela mettait de la couleur dans la classe et suscitait la curiosité.
Image : Tableau d’élocution ’’Rossignol’’ : Une salle de classe
En revanche, chaque élève avait son cahier (sauf à Châteaubriant, il n’y avait pas de fournitures scolaires gratuites) et en prenait grand soin. Le buvard était un accessoire indispensable. L’irruption du stylo à bille a conduit à sa disparition.
Ecole à Châteaubriant. A droite : Marthe Beloeil
C’était l’époque des « bons points ». « Nous n’étions pas riches, rappelle Yannick. Moi je découpais des bons-points dans des couvertures de cahier et je les tamponnais avec une coccinelle. Les enfants obtenaient des bons points pour un devoir bien fait, une récitation parfaite, une attitude exemplaire et, en échange, ils recevaient des images. J’ai, moi-même, le souvenir d’avoir gagné dix bons points d’un coup, quand j’étais gosse, pour avoir été la seule à répondre qu’un kilogramme de plumes et un kilogramme de plomb, c’est la même chose ».
Les relations avec l’école privée n’étaient pas simples. Souvent il y avait partage : les garçons à l’école publique, les filles à l’école privée. A La Chevallerais la cantine était commune aux deux écoles mais, pour s’y rendre, le couple d’instituteurs de l’école publique devait passer devant l’école privée : las des insultes, il a fini par s’en aller.
A Moisdon-la-Rivière, la municipalité était hostile à l’école publique. « Mon logement n’avait pas de vitre aux fenêtres, pas de chauffage, les cheminées avaient été enlevées (il ne restait que les orifices, non obturés), l’eau se trouvait au fond de la cour, les toilettes aussi. Pleines à ras bord ! Quand le Conseil Municipal est venu voir, il a vite compris que tout était compact et qu’il serait impossible de vidanger. Alors j’avais un ’’seau hygié-nique’’ que j’allais vider régulièrement dans un abri de jardin, sans porte, que la municipalité m’a fait construire. Plus tard, j’ai eu de la chance : l’eau à la maison et une douche aménagée dans un placard » dit Andrée. Même chose à Vay : WC bouchés, compacts. « La mairie a construit quelques cabanons dans la jardin, sans porte évidemment » dit Yvette. A Moisdon il y avait seulement 27 élèves à l’école publique, presque tous ’’enfants de l’Assistance’’. Tous les autres, bien plus nombreux, étaient à l’école catholique. L’école publique était particulièrement mal vue. Elle a dû fermer et ce n’est qu’avec difficultés qu’elle a été réouverte en 2006.
A l’école de Béré à Châteaubriant, les classes étaient installées dans un vieux bâtiment préfabriqué, néanmoins très propre. Le chauffage était déficient, comme partout. Pour réchauffer les élèves, la maîtresse leur faisait faire parfois des exercices à leur place : mouvements de bras, sauts en écartant les jambes. Elle donnait l’exemple elle-même mais, un jour, le plancher a cédé sous elle : les élèves ne parvenaient même pas à la sortir ! C’est arrivé à Yannick Ferré !
En 1962 a ouvert la première classe d’enseignement individuel à Châteaubriant, à l’école de Béré. « En attente de titularisation, j’avais fait deux ans dans un institut médico-pédagogique à Gesvres, là j’ai découvert les enfants en grandes difficultés. Par chance, nous avions une réunion tous les soirs entre institutrices, éducatrices, psychologue. Alors, quand j’ai été recrutée par M. Dupart, inspecteur primaire, j’ai été appelée à faire passer aux enfants le test Binet-Simon, pour déterminer le développement intellectuel et psychologique des enfants ». Tout naturellement, Yannick Ferré est chargée d’une classe d’enseignement individuel (CEI) « C’était dans un bâtiment préfabriqué, conçu à l’origine pour des classes de 30 élèves. Il avait été séparé pour faire deux classes, les cloisons n’arrivaient même pas jusqu’au plafond ! ». L’année suivante, Yannick s’occupe d’une classe analogue aux Terrasses mais, n’étant pas titulaire de son poste, elle est nommée à Issé en maternelle à la rentrée de 1964. Enfin, en 1965, elle a un poste à Châteaubriant, en CEI, dans les bâtiments ’’Aristide Briand’’ (devenus, par la suite, école de musique, et maintenant quasiment désaffectés). Elle y restera jusqu’en juin 1970.
« A ces enfants, je leur ai appris à lire. Il fallait beaucoup de patience. Dans une classe ordinaire, il faut deux jours pour repérer une lettre à l’écrit et l’entendre lors de la prononciation d’un mot. LÃ il fallait une semaine ! J’utilisais les spécimens des livres de lecture pour varier les textes et les difficultés. Même avec 15 élèves seulement, en classe de CP, cours préparatoire, il y avait trois niveaux, et chaque enfant avançait à son rythme. Je me souviens d’un petit garçon qui transpirait très fort quand il fallait lire, tant l’effort était intense. Je me souviens d’une fillette qui parlait avec aisance, écrivait bien, mais à qui je n’ai jamais pu apprendre à compter même en utilisant des bouchons et des jetons. J’avais fabriqué un jeu de tickets permettant d’interroger tous les enfants, de manière aléatoire. Et quand la fatigue et l’énervement montaient, je sortais avec les enfants dans la cour, pour des mouvements de défoulement »
Pour le code de la route, Yannick disposaient les tables pour ménager des routes et faire comprendre qu’il fallait de l’ordre dans la circulation. Des boules rouges ou vertes représentaient les feux de signalisation. Il fallait faire attention et veiller à ce qu’ils ne comprennent pas de travers. « Un jour j’ai croisé une de mes élèves, à bicyclette, qui roulait soigneusement sur une ligne jaune continue. Surprise, je l’ai interrogée. ’’Mais, maîtresse, vous avez dit que les voitures n’ont pas le droit de mordre sur une ligne jaune’’ ». Eh oui !
« Quand les rapatriés d’Algérie sont arrivés, il a fallu leur faire de la place. J’étais à Vay, j’ai dû quitter mon poste. Même chose à La Meilleraye » dit Yvette. Les quatre amies ont néanmoins fait leur chemin après avoir passé tous les examens nécessaires. « Ces examens étaient plus sévères pour nous car, en fin de guerre d’Algérie, les réfugiés Pieds-Noirs étaient prioritaires sur les postes disponibles ».
Marthe, Andrée, Yannick, Yvette ont aimé passionnément leur métier et s’en souviennent avec bonheur. Les élèves qu’elles ont formés. aussi !