Ecrit le 14 janvier 2015
Le 9 décembre 2014, à l’invitation du Conseil de développement de Loire-Atlantique, Michel Briand est venu parler de la République Numérique. Membre du Conseil National du Numérique (CNN), animateur de réseaux coopératifs, il sait de quoi il parle.
Pour lui, il y a de multiples raisons de changer d’ambition pour transformer la société.
1 - Le numérique concourt à l’émergence de nouveaux modes de fonctionnement. Il y a 3000 ans, l’avènement de l’écriture a peu à peu modifié les rapports humains et l’invention de l’imprimerie a conduit au développement de l’instruction. ’’Nous sommes actuellement à une période de modifications très rapides : le numérique, par exemple, modifie la façon de vendre, de passer une petite annonce, de prévoir un transport (co-voiturage, blablacar). La santé, l’éducation sont aussi impactés’’.
2 - Le client, s’il le souhaite, peut devenir consom’acteur : ’’c’est vous qui choisissez votre information, vous pouvez apporter un commentaire, publier un article. Ce n’est plus l’exclusivité des organes de presse. La publicité n’est plus imposée : vous pouvez couper les messages publicitaires de votre ordinateur, vous pouvez noter la qualité d’un restaurant, d’un hôtel’’.
3 - Le numérique favorise le dévelop-pement de nouvelles formes d’intelligence collective. L’Encyclopédie Universalis en 30 volumes, d’un prix très élevé (3000 €) n’existe pratiquement plus, victime de la concurrence de Wikipedia où chacun peut mettre en ligne ses connaissances et corriger les infos apportées par d’autres. On l’a bien vu au moment du crime perpétré contre Charlie-Hebdo : le premier article a été créé trois quarts d’heure après les meurtres. En une journée il a été modifié près de 900 fois par 221 auteurs distincts et vu 638 000 fois. Il est publié en 45 langues.
De même les cartes OpenStreetMap sont plus à jour que les cartes de l’Institut géographique National.
« Le numérique n’est plus une option, c’est une obligation » dit Michel Briand, pensant à l’emploi, aux transports, aux messageries, etc. Et cela concerne tout le monde. « C’est une condition indispensable du plein épanouissement de l’individu, mu par le désir d’apprendre et d’entreprendre, et comme la condition d’émergence d’un nouveau »vivre ensemble« ».
4 - Le numérique favorise l’acquisition de connaissances : les cours ne sont plus la propriété de l’enseignant. Il existe maintenant des MOOC (Massive Open Online Course), c’est à dire des cours en ligne : certains d’entre eux peuvent rassembler 100 000 élèves, Les participants aux cours, enseignants et élèves, sont dispersés géographiquement et communiquent uniquement par Internet. Il existerait 123 MOOC actuellement. Le numérique permet l’abondance (beaucoup d’informations) et la confrontation, la réflexion. Il favorise aussi la démocratie dans la mesure où les instances de décision (les collectivités territoriales par exemple), mettent en ligne la totalité de leurs décisions.
5 - Le numérique favorise la coopération et l’innovation sociale : « apprenez à réutiliser, à travailler avec d’autres » dit Michel Briand qui plaide pour une société plus contributive : « faire avec, relier, donner à voir, mettre en commun... ».
Un trousseau numérique
6 - Fracture, exclusion. Le temps de la fracture numérique est passé : de plus en plus de familles ont ordinateur, tablette ou smartphone. Mais le numérique crée de nouvelles formes d’exclusion, accroît les inégalités sociales. La France se situe au 8e rang européen, avec 82 % des ménages connectés à l’internet à domicile en 2013. Mais les trois-quarts seulement ont un accès à haut-débit.
Selon Michel Briand, il y aurait de gros efforts à faire pour développer des tarifs sociaux ciblés sur internet et sur les mobiles, en direction des publics en difficultés. « Il faut créer un ’’trousseau numérique’’ à disposition de tous les Français. Ce trousseau contiendrait, gratuitement si nécessaire, des éléments tels qu’une domiciliation numérique, un espace de stockage en ligne des prin-cipaux documents administratifs numé-risés, un numéro de téléphone, une messagerie, etc » dit le CNN.
Dans l’Union Européenne, plus de six particuliers sur dix utilisent internet quotidiennement. En pointe, on trouve le Danemark, les Pays-Bas, la Suède et la Finlande avec plus de huit particuliers sur dix se connectant quotidiennement à l’internet. La France se situe au 9e rang.
Mais ces chiffres ne tiennent pas compte des habitants de la planète qui ne peuvent accéder à internet.
« La pauvreté, le chômage, l’isolement et la précarité, le manque de diplôme et de formation sont aujourd’hui aggravés et parfois provoqués par le manque d’expérience et de culture numériques. Les handicaps temporaires et durables » le grand âge, la détention, le fait d’être étranger en attente de régularisation « induisent également des empêchements qui combinés au numérique limitent la participation à la société et l’exercice des droits » dit encore le CNN qui estime que « une société numérique n’est pas seulement plus ou moins excluante, elle complexifie les conditions même de l’inclusion »
Littératie
Ah pôvre de nous ! V’la un mot nouveau !
Littératie est un mot français fabriqué à partir de literacy (mot anglais pour « alphabétisme »). C’est « l’aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités. ». Le calcul, l’écriture et la lecture font partie de la littératie car ce sont les apprentissages de base permettant aux élèves d’évoluer dans la société et de traiter les infor-mations. Et Dieu sait que, par internet, il arrive des informations (au point qu’on a pu parler d’infobésité !). En matière d’informatique, la littératie comprend :
– des compétences instrumentales (manipulation des équipements et des interfaces)
– des compétences créatives et productives (concevoir, réaliser, modifier, réparer, etc.)
– des compétences d’environnement (trouver et comprendre des informations, analyser une situation ou un processus)
Michel Briand estime qu’il faudrait faire bouger les décideurs pour qu’ils puissent accompagner le changement, il faudrait mailler le territoire de ’’médiateurs numériques’’ au plus près des habitants (une personne dans chaque Com’Com’ par exemple), il faudrait donner une formation spécifique aux élus et aux cadres administratifs pour qu’ils puissent se mettre en situation de coopérer. et pour qu’ils sachent, aussi, couper leur internet de temps en temps, pour pouvoir réfléchir sans être noyés sous le flot du numérique !
Vaste programme que l’on peut retrouver sur le rapport : Citoyens d’une société numérique
Pharmakon
Mais pas d’optimisme béat : le numérique n’est pas neutre. Internet est un Pharmakon (mot grec désignant à la fois le remède et le poison !). « Les technologies de la communication ne sont pas neutres. La télévision peut véhiculer des messages contradictoires, mais elle ne le fait pas de la même manière que la radio. Internet peut véhiculer des messages contradictoires, mais il ne le fait pas de la même manière que la télévision. Internet, c’est le pharmakon de la parole minoritaire, de la parole contestatrice, de la parole qui n’a pas accès aux autres médias. En cela, et dans une logique qui s’inscrit dans » liberté d’expression « à l’américaine, il est le lieu où peut s’épanouir une parole qui va contre les dogmes, il est aussi le lieu où peut s’épanouir une parole qui va contre la vérité. Il est le lieu où peuvent se diffuser ces régimes de paroles qui sont contradictoires dans leur rapport à la vérité mais qui partagent la qualité de contester un ordre établi ». (Source : émission de France Inter 14.01.2014 article à lire sur France Inter de 14.01.2014