Ecrit le 30 octobre 2019
Lors de Rendez-vous de l’Histoire en octobre 2019 une table ronde intitulée « le Brésil de Bolsonaro et Autres Brésils » s’est interrogée sur la situation actuelle du Brésil avec comme question centrale « Quelle continuité ou discontinuité pour l’expérience Bolsonaro ? »,
Tout d’abord, un rappel historique souligne deux faits distinguant le Brésil des autres états d’Amérique du Sud :
« ¢ Au 19e siècle, le Brésil, colonie portugaise, n’a pas connu de morcellement territorial ni de passage à la République, contrairement à l’empire colonial espagnol d’Amérique du Sud, qui se délite à la suite de l’invasion napoléonienne dans la péninsule ibérique. Le roi du Portugal fuit alors au Brésil qui conserve et son roi et sa situation coloniale, situation à laquelle il faut ajouter la conservation beaucoup plus tardive de l’esclavage, contrairement aux colonies espagnoles. Outre cet aspect tardif*, l’esclavage au Brésil a également un caractère massif, »¢ Au 20e siècle, la dictature brésilienne n’est pas tombée avec une rupture franche, comme en Argentine par exemple, mais a connu une transition incomplète liée à cette histoire particulière du Brésil.
En ce qui concerne les inégalités sociales et raciales du Brésil d’aujourd’hui : rappel est fait de la présence des peuples autochtones défendant leurs terres et leur droit à vivre : le racisme commence avec eux et continue avec l’esclavage. Les chiffres concernant les actes de violence montrent la persistance de ces inégalités : ainsi ce sont les femmes et en particulier les femmes noires qui les subissent majoritairement. Le Brésil n’a jamais résolu le problème de l’existence des différences raciales quand bien même on a vanté le métissage des années 70-80 ; il n’y a qu’une tolérance relative des populations noires et autochtones.
La question se pose alors de savoir si Bolsonaro, (avec le glissement autoritaire et conservateur que connait le pays depuis un an ou deux) n’est que le révélateur d’une société profondément autoritaire et raciste qu’on avait cachée sous la notion de métissage ou bien s’il existait auparavant une démocratie pacifiée en train de résoudre ses problèmes ? Cette interrogation questionne toute l’histoire du pays.
La crise actuelle commence en 2013 avec les grandes manifestations de revendications d’un juste accès aux services publics, (protestations contre le coût des transports), de la dénonciation de la corruption de la classe politique, des dépenses monumentales liées à la coupe du monde de football et des JO de 2016 qui fragilisent le camp au pouvoir. On voit également à cette époque apparaitre un discours très radical au Brésil qui récuse les revendications des minorités (femmes, migrants, communautés indigènes) considérées comme une sorte de renouvellement du marxisme. Ce phénomène a accompagné la perte d’influence du PT (parti des travailleurs de Lula et Dilma Rousself) dans une société travaillée par une crise de la représentation et une extrême droite très radicale.
Que reste-t-il aujourd’hui de la période Lula ?
Les premières choses qui ont été démantelées sont l’investissement sur l’éducation primaire et le supérieur, deux espaces attaqués par Bolsonaro ; également on note les attaques sur le service public de l’information confié à un évangéliste après la destitution de Lula.
Si le PT a changé beaucoup de choses au Brésil et notamment la fin des famines en sortant de la misère 30 à 35 millions de Brésiliens, ça a été un gouvernement de conciliation qui n’a affronté ni les militaires de la dictature, ni les lobbys économiques aux intérêts puissants, qui n’a fait ni réforme agraire ni réforme fiscale.
On peut alors se poser la question : a-t-on eu affaire à un PT trop centriste qui a trop peu transformé un pays inégalitaire ou bien est-ce que les petits progrès réalisés par le PT ont contrarié cette société conservatrice et abouti au renversement de Dilma Rousself destituée** sans arguments constitutionnels ?
Peut-on parler alors d’un coup d’Etat dont l’aboutissement actuel est la présidence Bolsonaro ?
Les intervenants s’accordent pour parler d’un véritable coup d’Etat adoubé par le parlement et la cour suprême, le dernier acte de cette offensive étant l’arrestation de Lula.
Comment expliquer la victoire de Bolsonaro aux présidentielles de 2018 ?
Au Brésil le vote est obligatoire (il permet notamment d’être employable) ; c’est la constitution de 1988 qui marque le passage au suffrage universel car auparavant, les analphabètes n’avaient pas le droit de vote (et ceux-ci étaient encore très nombreux en 1988). Si Bolsonaro arrive au pouvoir, c’est d’abord parce que Lula n’a pas pu être candidat à cause de son incarcération***.
Une partie possible de l’électorat de Lula s’est reportée sur Bolsonaro. Pourquoi ? Parce que tous deux, bien qu’aux antipodes, sont identifiés comme différents de la classe politique traditionnelle. Bolsonaro a été élu pour cette raison et aussi parce qu’une grande partie de la population a adhéré à des problématiques avancées par le candidat lors de la campagne présidentielle :
« ¢ le rejet de l’homosexualité, de la liberté de choix du genre, la place des femmes dans la société, un discours concernant au départ la population catholique, repris par les évangélistes, toujours plus nombreux. »¢ Bolsonaro a été identifié comme l’unique candidat chrétien, l’unique élu de Dieu.
"¢ Le lien avec armée, la violence urbaine, le rétablissement de l’ordre.
Le parlement élu en 2014 a été destructeur de l’ordre précédent en favorisant les liens avec les lobbys de l’agrobusiness et la libéralisation de l’armement. En outre la vague évangéliste, importante en Amérique du nord mais aussi dans toute l’amérique latine a donné lieu à un populisme religieux avec un ancrage dans les classes populaires.
Une partie des classes moyennes et populaires ont-elles alors abandonné le PT ? où en sont les forces de progrès au Brésil aujourd’hui ?
L’évangélisme est un puissant moteur de dépolitisation ; de plus le lieu essentiel de la campagne a été celui des réseaux sociaux, alors même que ceux-ci représentent un outil de diffraction de l’espace public favorisant des sociétés bipolarisées.
Parallèlement la logique du collectif (ex les syndicats) en sort collectivement discréditée. Le camp du progrès est aujourd’hui très déstructuré : les mouvements autochtones, lycéens, femmes. représentent des noyaux éclatés et il n’existe pas de traduction politique forte pouvant opposer une organisation forte à Bolsonaro. Il y a nécessité de reconstruire un véritable camp du progrès.
« ¢ *aboli en 1888. »¢ ** destituée en aout 2016
"¢ *** incarcéré en avril 2018, alors que les sondages le donnaient comme favori.
Notes :
Luiz Inácio Lula da Silva plus connu sous le nom de Lula, ouvrier métallurgiste de profession, participe à la fondation du Parti des travailleurs (PT), mouvement d’inspiration socialiste. Il se présente sans succès aux élections présidentielles de 1989, 1994 et 1998. Élu président de la République fin 2002, il met en place des programmes sociaux d’importance et améliore sensiblement la situation économique. Après avoir été réélu en 2006, il ne peut se représenter pour un troisième mandat consécutif et voit sa chef de cabinet, Dilma Rousseff, lui succéder en 2011.
Si l’action de Lula a permis de sortir des millions de personnes de la pauvreté, ses opposants font valoir qu’il a pour ce faire massivement augmenté les dépenses publiques, ce qui pénalisera les finances du Brésil après son départ de la présidence. Il quitte la présidence avec un taux de popularité atteignant 87 %. Malgré une satisfaction générale quant à son action, une majorité de la population se déclare insatisfaite de sa politique en matière de santé et de sa politique fiscale.
Ayant fait l’objet de poursuites judiciaires, Lula ne peut se présenter aux présidentielles de 2014 et c’est Bolsonaro, candidat d’extrême-droite, qui a été élu.