Accueil > Pays (international) > Pays divers > Burkina Faso (02) - Frédéric Nanema
Ecrit le 28 avril 2010
Frédéric Nanema, de Lâ-Toden à Rougé
Frédéric Nanema a 40 ans, il est venu du Burkina-Faso pour deux mois d’études en France. Parlant un français impeccable et même châtié, il fait partie d’une délégation de 10 Burkinabés, 5 hommes et 5 femmes répartis dans les Pays de Loire. La parité, chez eux, n’est donc pas un vain mot.
Frédéric est du village de Lâ-Toden, province du Passoré, région au nord du pays, la plus pauvre du Burkina-Faso. Il y pleut trois mois par an (juillet, août, septembre). Les autres mois la sécheresse s’installe. En mai-juin, en pénurie quasiment totale, l’eau est restreinte à tout moment, y compris pour boire. La sécheresse et l’exploitation excessive des terres ont entraîné la dégradation des terres cultivables.
Les Burkinabés présents en France sont envoyés par la FNGN : fédération Nationale des Groupements Naam, une des plus importantes organisations paysannes de l’Afrique de l’Ouest. Créée en 1978, elle compte 5 260 groupements de base et 660 000 membres dans 1800 villages du Burkina-Faso. Frédéric Nanema est responsable d’un groupement inter-régional et Conseiller Municipal de sa commune (30 000 habitants)
Les principes du groupement Naam :
– développer sans abimer, en s’appuyant sur les valeurs et pratiques connues et acceptées par la société et non en rupture avec elles.
– Responsabiliser : rendre le groupe auteur et acteur de ses projets : par exemple des communautés villageoises ont pu initier et réaliser de grandes retenues d’eau, récupérer des centaines d’hectares de terrain dégradé en construisant des diguettes. Elles ont su mettre en place des structures leur permettant de se mobiliser en permanence.
– Animer : la méthode d’animation appuie le groupe en utilisant son langage, sa perception des choses, ses croyances, ses technologies, sa compréhension de l’environnement humain et physique
(Source :
http://naam.free.fr/ADSL/index1.html
Ces initiatives ont déjà donné des résultats intéressants :
– 400 ha de diguettes anti érosion
– Production de plants dans les pépinières pour les bosquets (collectifs et individuels) et la végétalisation des diguettes etc.
– Construction de fosses fumières dans les villages.
La formation est la pierre angulaire des ces initiatives/activités de développement, pour donner au milieu lui-même les compétences nécessaires pour faire face à ses propres problèmes et se prendre efficacement en charge. La formation privilégiée est « la formation demandée ».
c’est dans cet objectif que les 10 Burkinabés sont en stage dans les Pays de Loire, en échange avec l’aFDI (agriculture française et développement international). Recherche : la restauration des sols, la conservation des eaux, la découverte d’autres pratiques agricoles. Mais aussi « partage des idées, connaissance réciproque » comme dit Frédéric.
Premier stage pour Frédéric Nanema : au GAEC de la Tour à Rougé. Ce sera ensuite Varades et Campbon et un temps de formation théorique à Angers.
Le froid et l’eau
Première impression : le choc thermique ! Frédéric était déjà venu en France, il y a 10 ans, dans le cadre de JMJ (Journées mondiales de la jeunesse). C’était en Charentes, en juillet. Il faisait chaud. Mais cette fois, à la mi-avril, il a quitté Lâ-Toden avec 40°C à l’ombre, pour trouver les 3°C d’un week-end pascal bien gris à Rougé. Il a eu froid. Il lui a fallu aussi découvrir une autre façon de dormir : un lit avec matelas, couvertures et couette !
Deuxième découverte : une maison en dur, avec l’eau au robinet, le bouton qu’il suffit de pousser pour laver le linge, et l’ordinateur où ses doigts se sont aventurés pour la première fois. « Chez moi, il faut aller chercher l’eau au puits, dès 3 heures du matin. c’est le travail des femmes » dit-il sans aucune jalousie.
La région de Passoré connaît une forte émigration vers la Côte d’Ivoire, pourtant distante d’un millier de kilomètres. « Parce que là -bas, il pleut ». L’eau, toujours l’eau.
Troisième découverte : la grande distribution. « La région de Passoré est fréquentée le week-end par les habitants de la ville de Ouagadougou, venus faire leur marché. Mais ici vous avez tout au même endroit : le lait, la viande, l’eau en bouteille, les vêtements, les pneus de bicyclette ». La carte bancaire l’a intéressé. La vente de cuisses de poulet l’a fait rire !
Le bœuf et le tracteur
Dans l’exploitation agricole, Frédéric a remarqué la salle de traite, mécanisée, alors que, lui, il fait toujours la traite à la main. Et toute cette eau utilisée pour laver l’installation alors que, chez lui, on restreint même l’eau de la boisson !
Et ne parlons pas du tracteur que Frédéric a conduit pour la première fois. Lui, simple paysan, cultive avec son unique bœuf et l’aide de son épouse et de ses cinq enfants. « Quand on est plus riche, on peut avoir plusieurs bœufs. Quand on est plus pauvre, on achète un âne. Quand on est encore plus pauvre, on cultive sans aide animale. La terre est dure chez nous, caillouteuse ». A Rougé cette année, la terre est plus souple que les années précédentes : le gel a émietté les mottes.
Autre découverte : l’agriculture associative (CUMA, GAEC), idée nouvelle pour un pays où tout est basé sur la cellule familiale (élargie aux grands parents, cousins et autres).
Les vieux
Frédéric a eu l’occasion de visiter une maison de retraite et n’a pas compris ! « Chez nous, quand on dit »le vieux« , »la vieille« , ce sont des termes de respect », comme « le patriarche ». « Nous n’aurions pas l’idée de nous séparer de nos anciens » - « Que diras-tu, de nous, quand tu seras retourné dans ton pays ? » interroge Maryse. « Dans notre civilisation, cela ne se fait pas de critiquer » dit-il.
découvertes alimentaires : Frédéric n’a pas apprécié la galette de blé noir. Quand il retournera chez lui, il sera ravi de retrouver un plat traditionnel : le tot (bouillie de farine de maïs ou de petit mil cuit par les femmes et mangé avec légumes et sauce et un peu de viande)
Femmes et Micro-crédit
Dans la région de Passoré, le micro-crédit permet de financer des réalisations nouvelles. Souvent les femmes en ont l’initiative . Depuis janvier 2007, par exemple, à l’initiative du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), fonctionne une plateforme multifonctionnelle (PTF), libèrant les femmes de certaines corvées longues et pénibles puisqu’elle permet de faire fonctionner à Lâ-Toden une décortiqueuse multicéréales, un moulin à meules métalliques, un moulin à meules en pierres. Un alternateur produit l’électricité distribuée en réseau local pour les besoins d’éclairage, l’alimentation de chargeur de batteries et d’un petit poste à souder. La plate-forme est gérée par des structures féminines.
Visites
Dans la région de Fercé, Frédéric a pu visiter un atelier de production d’œufs bio, de volailles, de cultures maraîchères, il a pu découvrir les structures de gîte rural et d’accueil à la ferme. Il a rencontré aussi « les vieux » comme Henri Baron, André et Madeleine lépicier : ceux qui ont assez vécu pour apporter des réflexions intéressantes.
Ce séjour à Rougé a été très riche en échanges. « Pour nous aussi, dit Christian, car il interroge notre façon de vivre, le gaspillage que nous faisons, il nous oblige à réfléchir sur les valeurs qui sont les nôtres et à nous demander pourquoi, en France, nous allons à la catastrophe pour avoir perdu le sens des valeurs collectives ».