Ecrit le 8 septembre 2004 :
Le secteur des services soumis aux « disciplines »
Pendant que, cet été, votre esprit était en vacances (normal !) ou occupé par des tas de choses passionnantes comme le Tour de France et les Jeux Olympiques d’Athènes, des décisions se sont prises dans votre dos, qui vont conditionner toute votre vie. La grande presse n’en a guère parlé : il faut éviter d’inquiéter les citoyens, des fois qu’ils se révolteraient. Voici donc ce qui se trame dans le secteur des « services »
Lors de la 4e conférence ministérielle de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), à Doha, en novembre 2001, l’Union européenne a proposé et obtenu la mise en place d’un mécanisme de demandes et d’offres :
. chaque pays adresse à chacun des autres Etats la liste des services qu’il veut voir libéraliser chez eux (ce sont les demandes)
. et chaque pays annonce la liste des services qu’il est disposé à libéraliser chez lui (ce sont les offres).
En quelque sorte, c’est le jeu des sept familles. « Dans la famille Energie, je voudrais Dame Electricité ... »
Ce mécanisme met fin à la pleine liberté des Etats de protéger tel ou tel secteur. Il introduit une dose de bilatéralisme puisque après le dépôt des demandes et des offres, des négociations bilatérales doivent se tenir avant de « multi-latéraliser » les résultats. Autrement dit on joue deux par deux au lieu de jouer tous ensemble.
La grande majorité des pays en développement ont refusé d’entrer dans cette mécanique des demandes-offres. A ce jour, après bien des pressions américaines et européennes, seulement 60 pays ont formulé des demandes et 42 des offres (sur 147 Etats membres).
Cartes sur table ...
Les gouvernements occidentaux ont insisté...........
Le monde des affaires (European Services Forum, US Coalition of Services Industries, Australian Services Roundtable, Japan Services Network, etc....) a fait pression.........
Finalement l’Union Européenne, en déc. 2003, a proposé trois choses :
1) forcer les pays qui n’ont pas présenté d’offres à le faire et certains autres dont les offres sont limitées à les augmenter.
2) adopter rapidement des “disciplines” dans le domaine des subventions et des réglementations intérieures . Les subventions sont désormais considérées comme des distorsions à la concurrence commerciale, ainsi que toutes les normes en matière de droits humains fondamentaux, les normes sociales, les normes environnementales, les critères de qualification professionnelle, etc. ;
3) affirmer que les négociations doivent “obtenir une élévation progressive des niveaux de libéralisation sans qu’aucun secteur de service ou mode de fourniture ne soit exclu a priori.”
Le 31 juillet 2004, après la réunion de l’OMC (organisation mondiale du Commerce), les trois points ci-dessus ont été adoptés. Les offres de libéralisation doivent être présentées « aussi vite que possible » avant mai 2005. La négociation sur les disciplines est relancée. Une référence explicite au mode 4 est insérée dans le texte (1), ce qui va entraîner la suppression de 150 ans d’acquis sociaux.
Libérez les services !
Quatre questions se posent alors :
1) quelles sont les activités de services auxquelles cet accord va s’appliquer ? Le texte du 31 juillet n’exclut a priori aucun secteur, ni aucun mode de fourniture et il appelle à « une haute qualité d’offre » et un « niveau élevé de libéralisation ».
Il ne fait aucun doute que l’Union Européenne et les Etats-Unis vont pousser à la libéralisation du plus grand nombre possible de secteurs avec, de la part de l’Union Européenne, une attention toute particulière pour le service de l’eau.
2) que vont devenir les exemptions de 1994 ? Certains services restent protégés comme l’enseignement, la santé et les services sociaux. Mais les exemptions ne sont pas éternelles. Certaines ne durent que dix ans. D’autres peuvent être soumises à tout instant aux aléas de la négociation. Et la règle du « traitement national » conduira à la privatisation (2)
3) quelle sera la portée des décisions sur les disciplines, les mesures de sauvegarde et les marchés publics ?
L’opacité la plus totale existe sur les négociations en cours sur ces questions. Il est impossible aux citoyens ou aux élus de disposer de la moindre information sur les choix et les positions de la Commission Européenne (négociateur unique au nom des 25 Etats de l’Union) en la matière.
Quatre articles sont concernés :
a) article VI, 4 : il s’agit des réglementations intérieures, c’est-à-dire des lois, décrets, règlements, arrêtés pris par les autorités au niveau national, régional ou local. Quelles sont les réglementations qui vont être « disci-plinées » ? Nul ne le sait. Les pouvoirs publics vont-ils être obligés de renoncer au profit des firmes privées, par exemple, au droit de déterminer les normes de sécurité sur les lieux de travail, la définition de la potabilité de l’eau ? Des propositions en ce sens sont sur la table des négociations.
b) article X : les mesures de sauvegarde d’urgence : il s’agit des dispositions qu’un gouvernement adopte pour protéger un secteur de services soudainement mena-cé par un fournisseur étranger. Cet article prévoit des négociations « fondées sur le principe de non discrimination ».
c) article XIII : les marchés publics : les procédures d’achat de services par les gouvernements devraient répondre à des règles identiques, transparentes et non discriminatoires afin d’ouvrir les marchés publics de services à la concurrence inter-nationale privant ainsi les gouvernements d’un outil de politique économique.
d) article XV : les subventions : des disciplines vont être arrêtées, c’est-à-dire des listes de subventions considérées comme inacceptables. Quelles sont les subventions que la Commission Européenne propose d’interdire ; quelles sont celles qu’elle protège ? Nul ne le sait.
C’est cela la démocratie européenne. La future Constitution ne modifiera pas les pouvoirs de la Commission en ce domaine pas plus que son opacité.
Une chose est sûre : une fois les disciplines adoptées, les firmes privées seront en mesure d’introduire des plaintes contre les pouvoirs publics (Etat, Régions, Départements/Provinces, Communes) qui ne s’y conformeraient pas.
4) que faire ?
a) il est indispensable d’interpeller les élus nationaux et européens ainsi que les gouvernements sur les négociations en cours, sur leur portée et sur les positions défendues par la Commission européenne .
b) il est nécessaire d’exiger une révision du mandat extrêmement néolibéral de la Commission européenne, négociateur unique, d’autant que celle qui va entrer en fonction le 1er novembre sera encore plus marquée idéologiquement que l’actuelle.
c) une mobilisation européenne des associations, des ONG, des syndicats et des partis politiques effectivement attachés aux valeurs de solidarité, au principe de l’égalité des chances et à la notion de service public, s’impose.
Il y a urgence.
D’après Raoul Marc JENNAR
Chercheur auprès d’Oxfam Solidarité (Belgique) et de l’Unité de Recherche, de Formation et d’Information sur la Globalisation (France)
Les milieux d’affaires se réjouissent.
Selon le mouvement ATTAC, l’accord-cadre signé le 31 juillet 2004 à l’OMC à Genève, a réjoui les lobbies d’affaires
LA CHAMBRE DE COMMERCE AMERICAINE a déclaré : Les bénéfices potentiels (de l’Accord) pour l’économie amé-ricaine sont signi-ficatifs. L’accès aux marchés étrangers pour les biens et services US sera grandement amélioré.
L’AMERICAN FARM BUREAU FEDERATION (comparable à la FNSEA) : Les engagements pris par les pays développées et en développement de réduire les droits de douane mèneront à un meilleur accès aux marchés pour les agriculteurs et éleveurs... [américains]
Le NATIONAL ASSOCIATION OF MANUFACTURERS (comparable au MEDEF) : Il s’agit d’une immense réussite, une victoire pour l’OMC, pour les Etats-Unis et pour l’économie du monde...
La COALITION OF SERVICE INDUSTRIES : Un pas en avant très important pour les services, pour la prospérité du monde, pour l’OMC elle-même... C’est le secteur des services qui devrait bénéficier le plus d’un accord de commerce global...
GROCERY MANUFACTURERS OF AMERICA (entreprises fabricants de produits alimentaires) : Nous sommes très contents de la nouvelle orientation des négociations à l’OMC....ce cadre incorpore notre objectif principal qui est de faire baisser significativement les droits de douane qui entravent le commerce des produits alimentaires manufacturés.
Si donc il y a eu une grande victoire à Genève, le 31 juillet 2004, comment se fait-il que les journaux et les gouvernements n’aient pas appelé à faire la fête ?
C’est que, en réalité, le bonheur des grands patrons, ne fait pas le bonheur des salariés : tous ceux qui défendent le droit des peuples à se développer et à se nourrir eux-mêmes, et veulent préserver l’environnement et les services publics, sont perdants.
(1) Le Mode 4
Les gouvernements sont malins. Ils ne parlent pas de remise en cause des acquis sociaux. Ils parlent de « mode 4 », comme ça, personne n’y comprend rien.
Le mode 4 est un des quatre modes de fourniture d’un service. Il concerne le mouvement des personnes physiques. Il devrait permettre, à terme, à un employeur de faire appel à du personnel d’un autre pays membre de l’OMC pour une période déterminée et de lui appliquer les dispositions salariales et sociales de son pays d’origine. Ce qui permettra de contourner légalement 150 ans de conquêtes sociales dans la plupart des pays européens.
En 2003, sans la résistance de certains gouvernements européens, la Commission européenne proposait l’application du mode 4 pour 21 métiers et la garantie du respect des lois en vigueur en France ne figurait que dans une note de bas de page « susceptible d’être abandonnée dans la négociation », selon les experts de la Commission...
- Dessin de Eliby 02 40 95 3
(2) La règle du traitement national (art. XVII)
C’est l’obligation faite à tout Etat de traiter les fournisseurs de services étrangers de la même manière qu’il traite ses propres fournisseurs de services. Ainsi, par exemple, si cela s’applique aux universités, les pouvoirs publics de tous les pays de l’Union devront traiter les universités non européennes qui s’installeraient dans leurs pays de la même manière qu’ils traitent leurs propres universités (frais de construction, d’entretien, d’équipement et salaires).
Si on multiplie les secteurs de services auxquels s’applique l’accord de l’OMC, les pouvoirs publics ne pourront pas faire face à de telles contraintes financières et seront obligés de privatiser leurs services.
Ecrit le 15 juin 2005 :
Les services au secret
L’OMC continue
Une offre de libéralisation des services, notamment publics, a été présentée par la Commission Européenne, sans qu’on en connaisse le contenu.
Cette proposition de privatisation des services, a été présentée, au mois de mai aux 25 pays membres de l’Union européenne par la Commission de Bruxelles.
Elle émane de négociations en cours à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dans le cadre de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS).
[1]
... en douce ...
Le contenu de cette proposition restera pourtant un mystère pour les parlementaires français.
En effet, avant le référendum du 29 mai, un courrier électronique de François Loos, qui était alors ministre délégué au Commerce extérieur, a informé les parlementaires qu’une liste, était consultable du 18 au 25 mai : « Nous n’avons eu que cinq jours pour en prendre connaissance » s’est exclamé René Balme, Maire de Grigny (1). « Cinq jours pour décrypter 200 pages de listes d’engagement d’une complexité redoutable ».
Et le pire, c’est qu’une partie des documents est classée « confidentiel » . « Je suis allé en prendre connaissance au bureau indiqué » dit le député Jean-Claude Lefort. « J’ai été reçu dans une petite pièce ». Le document qui m’a été présenté est écrit un anglais illisible, puisque écrit dans la langue très « ésotérique » de l’OMC ! Comment voulez-vous dans ces conditions que je puisse me forger mon opinion sur ce texte ? Cette consultation relève de la mauvaise farce ! »
D’autant plus que le document présenté aux parlementaires n’a aucun caractère définitif : il est encore en cours d’examen par le Conseil des ministres de l’Union.
« Ce document, qui doit être revisité par les vingt-cinq pays membres de l’Union européenne, ne sera pas discuté par les Parlements nationaux. Et nous ne connaîtrons pas plus les propositions du gouvernement français dans cette discussion », dit Jean Claude Lefort.
Ainsi tout continue de se dérouler dans la plus grande opacité, dans le dos des citoyens, dans le dos des députés, sous la forme de réunions informelles dites « mini-ministérielles ».
En matière d’éducation, l’Union Européenne veut ouvrir à la concurrence quatre secteurs ; primaire, secondaire, supérieur et la formation pour adultes) tout en évoquant deux restrictions :
tenir compte de la législation nationale (seuls des professeurs français peuvent enseigner en France)
et ne pas faire entrer dans l’AGCS que les services d’enseignement privé. Dès qu’une partie, si petite soit-elle, est financée par un acteur privé, l’activité tombe le coup de cet accord.
Les États-Unis ont, en particulier, adressé à l’Union des demandes de libéralisation dans le domaine de l’éducation.
D’ici à la fin juillet, dans le secret des bureaux de Genève, les négociations de l’OMC devront peaufiner le document de l’AGCS qui servira de base à la prochaine réunion ministérielle à Hong-Kong, en décembre .2005.
Bolkestein et l’OMC
Le document confidentiel transmis à quelques parlementaires par l’ex-ministre délégué au Commerce extérieur, François Loos, résume un point majeur :
le « mouvement temporaire de personnes physiques », ce que le langage des technocrates de Genève dénomme aussi le « mode 4 ».
Il a inspiré le contenu de la directive Bolkestein.
Les dispositions du mode 4 permettent en effet de mettre en concurrence les salariés des pays dont les services ont été engagés par l’AGCS. Une proposition de la Commission européenne a spécifié que les salariés extra communautaires sont censés respecter la législation du pays d’accueil, mais cette proposition a été reléguée dans une note de bas de page et n’aura aucun caractère contraignant .
Une vingtaine de secteurs sont concernés (les services juridiques, les services comptables, les conseils en fiscalité, les services informatiques, l’architecture, etc.).
L’European Services Forum, (organisme de lobbying regroupant les grandes multinationales, comme Axa) soutient fortement l’ouverture des marchés par le mode 4 avec le double intérêt pour les entreprises qui le composent de disposer d’une main-d’œuvre moins coûteuse et d’accéder aux marchés étrangers pour y proposer leurs propres services.
(source : Politis du 2 juin 2005)
Lendemains qui déraillent
Selon le Canard Enchaîné du 1er juin 2005 : le lundi 30 mai, au lendemain du référendum, « une locomotive de la société privée CFTA Cargo, a circulé entre les aciéries allemandes de la Sarre et la Moselle. Une première dans l’histoire du rail, rendue possible par une directive de Bruxelles »...
CFTA Cargo est une filiale de la Connex, elle-même filiale du groupe Vivendi
Les dirigeants de la société, à l’origine de ce trajet à haut risque social, n’ont pas choisi cette date au hasard : « Pas question, naturellement, de lancer ce train de fret avant le référendum du 29 mai, le gouvernement Raffarin nous l’a fait clairement comprendre ». Décidée de longue date (1991) cette libéralisation du service du fret conduira à la suppression de 1700 emplois par an dans le fret.
Selon l’Humanité du 2 juin, en 20 ans, le nombre de cheminots en Lorraine est passé de 15 000 à 8000. La mise en place du fret privé va se faire à partir du 13 juin et sera définitivement lancée en janvier 2006. Le marché du fret lorrain est estimé à 2 milliards d’euros et cinq entreprises privées ont déjà entamé les démarches administratives pour rouler sur les rails français.
Ecrit le 30 octobre 2019
Adieu à Pierre
Il était le dernier maquisard survivant du Maquis de Saffré. Passionné de la France … et de La Mine de Rougé. Pierre Gaultier nous a quittés à 94 ans. La Mée a raconté ses souvenirs en 2010 – Journal La Mée article 2329