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Le cas de MILKa - voir plus loin
TRIPS
Breveter le vivant
Les brevets qui tuent
Qu’est-ce que le TRIPS ?
Le TRIPS c’est l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle liés au commerce (on dit aussi : ADPIC)
Cet accord est, selon l’O.M.C. (organisation mondiale du commerce), « le plus large accord existant sur la propriété intellectuelle ». ll dépasse de loin les Conventions de Paris (sur la protection de la propriété industrielle) ou de Berne (sur la protection des œuvres littéraires et artistiques). Le TRIPS couvre le copyright, les artistes, les producteurs de disques et les émissions de radio et de télévision, les marques et les brevets, les indications géographiques et les appellations d’origine, les dessins industriels, y compris les circuits intégrés et les « informations non communiquées », secrets de fabrication et données de recherche.
C’est cet accord qui protège aussi les droits de propriété des firmes pharmaceutiques sur les médicaments et qui interdit aux gouvernements du Sud d’en faire fabriquer et distribuer chez eux des copies, y compris en période d’urgence médicale (la pandémie du sida en Afrique, par exemple).
D’autres aspects controversés du TRIPS concernent la durée de protection accordée par les brevets (vingt ans, ce qui généralise le système américain à la planète entière) et surtout la possibilité du brevetage du vivant. Les semences, les micro-organismes et les processus micro-biologiques sont explicitement brevetables ; les pays membres « peuvent » exclure du droit de brevet les plantes et les animaux - ce qui veut dire en clair qu’ils peuvent aussi ne pas les exclure. Les plantes et les animaux deviennent ainsi brevetables partout, sauf si le pays propose un autre système pour protéger les variétés végétales (article 27,3, b).
Le redoutable article 27,3, b sert aussi à protéger les OGM (organismes génétiquement modifiés) et les semences obtenues par les transnationales de l’agribusiness. Plus injuste encore pour les pays du Sud, où se trouvent les grandes réserves de la biodiversité, est la « biopiraterie »(1). De nombreuses entreprises transnationales pharmaceutiques ou chimiques y envoient des équipes de recherche qui prélèvent des échantillons servant ultérieurement à leurs spécialités sans que le pays d’origine reçoive quelque compensation que ce soit.
Avant la réunion de Seattle, le Groupe africain de l’Organisation mondiale du commerce a proposé de sérieuses modifications de cet accord. Il souhaitait : 1. exclure de la brevetabilité les plantes, animaux, micro-organismes, processus microbiologiques et « tous autres organismes vivants et leurs parties ». 2. protéger les « innovations des communautés autochtones » et 3. « préserver les pratiques agricoles traditionnelles y compris le droit de conserver et d’échanger les semences ». D’une manière générale, les Africains proposaient d’aligner le TRIPS sur la Convention sur la biodiversité adoptée à la Conférence de Rio en 1992. Ils n’ont pas été entendus mais les questions sou-levées demeurent totalement d’actualité
Susan George
(dans son livre : remettre l’OMC à sa place)
Ecrit le 22 décembre 2004 :
Milka la modiste qui fait peur aux vaches
A Bourg-lès-Valence (Drôme), Milka Budmir, 58 ans, originaire de Croatie, a créé une petite boutique « Milka couture » pour vêtements et rideaux sur mesure, retouches et transformations. Pour Noë l 2001, son fils lui a offert un site internet :
http:// www.milka.fr.
Milka veut dire « petite reine » en croate.
Un site internet tout simple, une seule page, avec un dessin assez naïf et les heures d’ouverture de la boutique.
C’est alors que les choses se gâtent. Le géant agro-alimentaire américain Kraft Foods qui vend les tablettes de chocolat « Milka », abandonnant ses opérations publicitaires « tendresse » se lance dans une opération « menace » contre Milka la petite modiste.
Lettres d’avocats, constats d’huissier à l’appui, le chocolatier mauve assène que « Milka » est une marque protégée, entre autres, par le Code de la propriété intellectuelle, et que tout emploi non autorisé de Milka porte atteinte à son succès commercial et économique.
Le géant agro-alimentaire accuse alors Mme Budmir de « dilution de notoriété » car, par son activité de couture, elle affaiblirait « le caractère distinctif de la marque en lui conférant un caractère banal ».
Kraft réclame 3.500 euros de dommages et intérêts à la couturière et surtout l’abandon de son adresse sur le Web. La couturière résiste, ce qui lui coûte 7000 € en frais de procédure. Elle doit passer au tribunal de Nanterre le 31 janvier 2005. Mais Kraft Foods vient de lui faire une nouvelle proposition : il offre 2.000 euros pour acheter le nom de domaine Milka.fr.
Ecrivez à Milka, cela lui fera plaisir. ( 19 avenue Jean Jaurès, 26500 Bourg-les-Valence)
Et un conseil, n’appelez pas votre chien « Milka » : il serait capable, lui aussi, de faire peur aux vaches.
Milka a perdui, face à la grosse vache violette
Note du 5 septembre 2005 :
Milka Budimir écrit : Madame, Monsieur, Vous m’avez apporté votre soutien dans l’affaire qui m’oppose à la société : KRAFT FOODS SCHWEIZ HOLDING AG qui appartient elle-même à ALTRIA (ex Philip Morris Co). Je vous en remercie. Aujourd’hui le Tribunal a donné raison à cette multinationale ce qui empêche à toute personne d’utiliser Cette décision me paraît injuste c’est pourquoi j’ai décidé de faire appel devant la cour de Paris. Les pressions que j’ai subies depuis plus de trois ans sont insupportables, je ne demande qu’Ã pouvoir exister ! La démarche dans laquelle je me suis lancée est très onéreuse pour moi, aussi je me permets de vous solliciter pour m’aider à financer cette opération. Un compte spécifique a été ouvert pour un éventuel virement ou l’autre possibilité serait d’envoyer un chèque à l’ordre de « Milka Budimir compte frais de justice » Adresse : Budimir Milka, 19, avenue Jean Jaurès, 26500 Bourg les Valence, France. Je m’engage à reverser tout excédant pour une action similaire à la mienne ou encore a une œuvre caritative. Merci encore de tout votre soutien et de votre amitié. Milka. milka-budimir@hotmail.fr /td> |
Note de mai 2006 : la vache a gagné
Milka Budmir ne pourra plus utiliser l’adresse internet milka.fr. Le nom de domaine est désormais la propriété exclusive du géant agro-alimentaire Kraft Foods.
Le géant américain accusait cette couturière de la Drôme de « cyber-squattage » avec ce site sur lequel figurent les adresses de ses deux boutiques et leurs horaires d’ouverture. Les conseils du chocolatier faisaient valoir que « Milka » est une marque « de renommée » protégée, entre autres, par le Code de la propriété intellectuelle.
« Cette vache m’a poursuivi depuis cinq ans »
Le 14 mars 2005, le tribunal de grande instance de Nanterre avait déjà tranché en faveur de l’entreprise estimant qu’en « utilisant le nom Milka.fr, Mme Milka Budmir a fait un emploi injustifié des marques dénominatives Milka dont la société Kraft Foods est propriétaire ».
« Je suis en colère, même très en colère » a réagi la couturière. « Cette vache m’a poursuivi depuis cinq ans. Ils ont pris cinq ans de ma vie, pourquoi ? », s’est-elle indignée, en référence à la vache qui symbolise la marque de chocolat. Elle a ajouté qu’elle pourrait se pourvoir en cassation « s’il y a une petite possibilité » pour elle d’obtenir satisfaction.
Les brevets qui tuent
médicaments génériques : Plus le droit
Depuis le début de cette année, des pays comme l’Afrique du Sud, l’Inde, le Kenya ou la Thaïlande n’ont plus le droit de fabriquer des médicaments génériques libres de droits. Ces pays ne peuvent plus copier librement les médicaments mis au point après 1995. En effet, le 31 décembre 2004, se terminait une période de 10 ans, considérée comme transitoire, pour l’application aux pays en développement de l’Accord ADPIC (accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle en rapport avec le Commerce).
Selon l’ADPIC, pendant vingt ans, il est interdit à toute entreprise pharmaceutique de fabriquer des versions génériques de molécules nouvelles. Ce qui exclut les revenus modestes de tout accès aux nouveautés thérapeutiques. La santé est réservée à ceux qui peuvent payer.
L’ADPIC est un des accords négociés dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce. Certaines de ses dispositions concernent explicitement les produits pharmaceutiques. Comme si un médicament était une marchandise ; comme si un médicament devait d’abord servir la rentabilité des firmes pharmaceutiques ; comme si un médicament ne devait pas échapper aux règles du marché.
Les prix flambent
L’ADPIC a eu une conséquence immédiate : la flambée des prix des médicaments.
Or, plus que le commerce, la santé est un indice du niveau réel de développement.
Onze millions de personnes meurent chaque année de maladies infectieuses faute d’avoir accès aux médicaments essentiels, soit un peu plus de 30.000 par jour.
Deux milliards d’êtres humains n’ont pas accès aux soins de santé de base, parce que ceux-ci sont trop coûteux. Le droit à la santé du plus grand nombre passe après les profits de quelques-uns.
Comme le souligne le Dr Karim Laouabdia, un des responsables de médecin Sans Frontières International, « en ce qui concerne les besoins des pays en développement, les promesses n’ont pas été tenues. Le système des brevets est censé stimuler l’innovation, mais il n’y a aucun mécanisme pour orienter cette innovation. Le système est animé par la recherche du profit. ».
Quelques pays (Afrique du Sud, Inde, Brésil ...) peuvent profiter du système de la « licence obligatoire » qui leur permet de produire des médicaments génériques sans le consentement du détenteur de brevet et de fabriquer ainsi des médicaments de qualité fabriqués à bas prix
Plus de dérogation
Mais d’autres pays ne sont pas en mesure de produire ces médicaments génériques. Théoriquement, ils peuvent en importer depuis l’accord de 2003 sous forme d’une dérogation provisoire aux dispositions de l’ADPIC. Mais en réalité aucune dérogation n’a été mise en place depuis deux ans. Ce qui signifie, en clair, qu’aucune solution n’a été apportée au problème de l’accès aux médicaments essentiels.
Face à cette tragédie (30 000 morts par jour), les pays africains ne veulent plus d’une solution provisoire qui ne fonctionne pas. Ils demandent que soit adoptée, à Hong Kong lors de la prochaine conférence ministérielle, une réforme de l’ADPIC qui apportera une solution permanente rendant aisées l’exportation et l’importation de médicaments génériques.
Le 25 octobre 2005, lors d’une réunion du Conseil de l’ADPIC, les USA ont objecté qu’une modification de l’ADPIC ne pouvait aller au-delà d’une transposition technique de l’accord impraticable de 2003. L’Union européenne a adopté le même point de vue ainsi que l’Australie, le Japon, la Nouvelle Zélande et la Suisse.
« La Commission ne voit pas la nécessité d’une réunion spéciale à l’OMC pour examiner si les règles de l’OMC existantes en matière de brevets sont suffisantes pour rencontrer les besoins des pays en développement en ce qui concerne la santé publique. L’Accord ADPIC, la déclaration de Doha et la décision du 30 août 2003 fournissent les flexibilités suffisantes pour permettre aux membres de l’OMC de protéger la santé publique et de promouvoir l’accès aux médicaments. » Une fin totale de non recevoir à la demande des pays les plus concernés.
Une fois de plus, l’OMC ne peut
cacher ce qu’elle est en réalité :
l’enceinte où les pays les plus riches s’efforcent de dicter leur loi à
l’ensemble de la planète.
Une fois de plus, l’Union européenne, à l’inverse d’une rhétorique généreuse qui ne trompe plus personne, n’est pas aux côtés des plus faibles. Nos 25 gouvernements soutiennent une Commission européenne qui ne sert que les intérêts des firmes pharmaceutiques. Peu importent les millions de vies sacrifiées sur l’autel du profit.
Sans une décision de modifier l’ADPIC afin que puissent accéder aux médicaments ceux qui en ont besoin, il vaut mieux qu’il n’y ait aucune décision à Hong Kong. C’est plus important que tout le reste. C’est de la vie ou de la mort qu’il s’agit.
par Raoul Marc JENNAR, chercheur auprès de l’URFIG et de la Fondation Copernic - http://www.urfig.org
NOTES:
(1) Par exemple, Sciences et Avenir d’Octobre 2000 signale que des sociétés américaines ont multiplié les brevets pour exploiter un arbre miracle, le neem, utilisé depuis des milliers d’années en Asie pour ses propriétés insecticides, médicinales ou cosmétiques.
d’autres Américains ont réussi à contrôler une plante connue au Gabon et appelée « j’oublie » qui donne une protéine 1000 fois plus sucrée que le sucre et moins riche en calories.
Les indiens d’Amazonie utilisent l’ayahuasca pour traiter les cancers et les troubles mentaux.
Ce sont des « innovations des communautés autochtones » pour lesquelles les entreprises transnationales voudraient déposer un brevet avec interdiction aux autochtones de continuer à utiliser leurs pratiques ancestrales.
(2) ADPIC : accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle en rapport avec le Commerce
OMC : organisation mondiale du commerce