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écrit le 30 septembre 2001
La crise de la viande bovine, dénoncée par les éleveurs lors de la dernière foire de Béré, ne paraît pas être en voie de solution, si l’on en juge par les commentaires qui accompagnent les transactions sur les marchés de bovins vifs ces dernières semaines.
dépression et marasme
« Activité de plus en plus dépressive » dit-on à Châteaubriant (marché du 19 septembre), « il n’y a plus beaucoup de termes pour qualifier le désarroi dans lequel se trouve l’activité commerciale du bétail maigre » (marché du 26 septembre) - « commerce extrêmement difficile » dit-on à Parthenay où l’on explique que les mêmes vaches de qualité moyenne qui se négociaient à 20,50 F le kilogramme il y a un an, se négocient maintenant autour de 15-16 F. Le plus étonnant c’est que la viande « industrielle » ne se vend pas trop mal et que ce sont les génisses et vaches de qualité bouchère qui sont le plus touchées par la chute des prix, au point qu’on peut se demander si les éleveurs ne vont pas cesser de s’investir dans la qualité, et dans les pratiques d’élevage respectueuses de l’environnement. Les consommateurs auront alors tout à y perdre : baisse de qualité de la viande, dégradation de l’environnement.
Un autre phénomène joue à la baisse : les achats spéciaux destinés à l’origine pour dégager et soutenir le marché, sont en train de tirer les cours vers le bas dans tout le cheptel allaitant.
En ce qui concerne les bovins achetés en vue de l’élevage et de l’embouche, c’est le marasme complet. Les vendeurs en sont réduits à brader leurs bêtes dès qu’un acheteur semble intéressé. Le commerce est mauvais aussi pour les broutards et les génissons. Quant aux veaux, c’est la demande pour le marché espagnol qui évite l’effondrement des cours. Pour combien de temps ?
L’attentat du 11 septembre à New-York a même eu des répercussions sur la filière bovine : d’une part les consommateurs ont réduit leurs achats, comme à chaque période d’incertitude, d’autre part l’émotion (justifiée) liée à cet attentat a monopolisé les médias, masquant ainsi la colère paysanne.
- 30 % est-ce voulu ?
Les professionnels font remarquer que les cours des bêtes de réforme allaitantes ont chuté de 30 % en un an, et que cette crise est tellement grave qu’elle risque de faire disparaître un certain nombre de producteurs spécialisés, et de négociants, voire de certains marchés. " Qui sait ? Peut-être y a-t-il une volonté derrière cela ? La commission européenne prévoyait en 1998 une baisse de 30 % du prix de la viande bovine pour se rapprocher du prix mondial .
Propositions
Les élus de gauche du Conseil Régional et du Conseil Général ont écrit à Jean Glavany, ministre de l’agriculture, pour contribuer à organiser l’avenir « sur la base de propositions réalistes et innovantes »
C’est pourquoi, ils proposent que soient explorées, au plus vite et en concertation étroite avec l’ensemble des responsables du développement agricole (l’Union Européenne, la Filière Viande Bovine, les représentants des professionnels), les trois pistes d’action suivantes :
1) Favoriser la maîtrise de la production...
« ... par une mesure forte concernant les vaches allaitantes non primées, le plus souvent produites en coût marginal dans des exploitations intensives. Celles-ci apportent, sur le marché de la viande, un volume préjudiciable aux éleveurs et aux régions spécialisées ». (NDLR : ceci est du langage de spécialistes. Expliquons un peu, au risque de trop simplifier les choses : il y a des agriculteurs qui n’ont pas le droit aux « primes à la vache allaitante » mais qui ont quand même quelques vaches, non primées. On pense qu’il pourrait en exister 10 000 dans les Pays de Loire. Ces vaches font des veaux, de qualité d’ailleurs, mais qui contribuent à la surproduction de viande bovine)
2) Diminuer le volume de viande rouge
« En affectant le même montant des primes versées pour les taurillons laitiers aux veaux mâles de ces races transformées en veaux de boucherie, on obtiendrait une réduction de 200 kg de viande par carcasse. Cette viande jeune primée de qualité deviendrait compétitive pour l’ensemble des filières de restauration » (NDLR : un taurillon laitier, c’est un animal de race laitière, de 14 à 18 mois, qui fait environ 310 kg — un veau mâle, c’est un animal de 4 mois qui fait environ 120 kg. En donnant des primes pour les veaux, les agriculteurs auraient moins de coûts et de risques qu’en élevant des taurillons, et cela diminuerait de 200 kg de viande par carcasse)
3) Protéger l’installation et réorienter les surfaces
« Un nombre significatif de producteurs de viande bovine, notamment parmi les plus âgés, envisagent de cesser leur activité. Il faut accompagner leur cessation d’activité par des mesures financières favorisant la transmission de leurs exploitations. Cet encouragement financier, ainsi que les Contrats Territoriaux d’Exploitation (CTE.), devraient accompagner l’installation de jeunes agriculteurs reprenant des exploitations, et les producteurs de viande acceptant de réorienter une partie de leurs surfaces, sous deux conditions : diminuer le cheptel bovin, et réaffecter les surfaces concernées vers d’autres productions, en particulier les protéagineux dont la France est fortement importatrice. »
« Nous apprécions, Monsieur le Ministre, les mesures d’urgence que vous venez de prendre. Il nous apparaît nécessaire de préparer les mesures (1) déterminantes à moyen terme afin de pérenniser l’espace rural, afin de garantir l’avenir de notre agriculture, et afin de réconcilier les citoyens avec leurs agriculteurs ».
écrit le 10 octobre 2001)
Rompre l’isolement
La Maison Régionale de l’Agriculture a tenu une réunion, mardi 2 octobre 2001 avec les syndicats agricoles (toutes tendances réunies), les élus de la Chambre d’Agriculture, les représentants de la Mutualité Sociale Agricole, du Crédit Agricole, du groupement de défense sanitaire, etc, pour débattre de la crise bovine actuelle et des moyens d’aider les éleveurs en détresse. « Nous avons des remontées des identificateurs qui disent que 30 % des éleveurs sont démoralisés, qu’ils ne remplissent même plus les formulaires de demande d’aide à la vache allaitante ». Cette déprime peut aller très loin : délaissement du troupeau, non-entretien des bâtiments, des clôtures, etc.
« Mais d’autres éleveurs veulent continuer car c’est leur métier, leur vie. Nous sommes réunis pour voir comment aider les éleveurs à traverser cette crise qui est l’une des plus graves de ces dernières années » a dit la présidente Marie Noêlle Orain. « Nous souhaitons, au cours de réunions dans tous les cantons, présenter les dispositifs existants, tout en sachant que ce ne sont que des palliatifs et que cela ne remplace pas la juste rémunération de nos produits »
De 2,70 F à 5,50 F
La crise actuelle se manifeste par une baisse des cours sur les vaches, qui peut aller de 2,70 F à 5,50 F du kilogramme. « Pour les veaux c’est la même chose, on les vendait 1000 F les années passées. Ces derniers temps on les brade à 300 F ».
Pour expliquer la situation, Hubert Filatre a étudié la situation de six types d’exploitations. Voici par exemple ce que cela donne pour un « naisseur intensif » qui fait 9 % de maïs, 14 % de céréales et 77 % d’herbe, avec 70 vêlages par an :
– EBE* 1999 : 198 200 F
– EBE 2000 : 194 000 F
– Pertes liées à la viande : - 67 400 F
– Aides directes : + 3 800 F
– Aides FAC (fonds allègement + 7 800 F
des charges)
– Variation PAC (politique
agricole européenne) + 17 000 F
L’impact de la crise est donc de - 38 800 F ce qui donne un EBE* théorique de 155 200 F pour 2001 (soit une perte de 20 %)
A l’impact de la crise s’ajoute l’impact climatique : la nécessité d’acheter des céréales et de la paille (10 à 20 000 F), d’acheter du fourrage grossier (foin) pour 5 à 15 000 F. Et comme les bêtes ne se vendent pas, il faut les stocker, donc les nourrir et cela peut aller jusqu’Ã 10 000 F.
Cet exemple, théorique, concerne l’économie générale de l’exploitation, mais pas la situation de trésorerie, qui peut être très mauvaise du fait que les primes diverses ne sont pas encore versées. On comprend donc la détresse des éleveurs.
Sous ou sur ?
Comment s’explique cette situation : les uns parlent de sous-consommation, les autres de surproduction. Le graphique ci-contre montre que la consommation de viande baisse régulièrement. La consommation de viande de bœuf reste inférieure de 10 % à celle de 2000. La baisse est encore plus importante à l’étranger : moins 25 % en Espagne, moins 40 % en Grèce. La crise de la vache folle, puis la fièvre aphteuse n’ont rien arrangé. Les prix payés aux producteurs ont baissé de 14,6 % en moyenne en France depuis le début de l’année avec de fortes variations selon les catégories de viande bovine.
En même temps, il est vrai que depuis deux ans, il y a surproduction. D’une part en raison des bêtes non vendues, et d’autre part en raison de vaches « au noir » si on peut dire. Il y a 618 exploitations de viande bovine dans la région de Châteaubriant, les droits à produire concernent 12 700 vaches (pour lesquelles l’agriculteur perçoit une prime) alors qu’il y a réellement 17 000 vaches. Ces 5000 vaches « de trop » font des veaux qui augmentent la quantité de viande mise sur le marché.
Isolement
Y a-t-il des solutions ? Les responsables agricoles parlent de palliatifs et estiment pouvoir jouer sur deux leviers :
- les CTE (contrats territoriaux d’exploitation) qui peuvent apporter des subventions de l’Etat pour une gestion extensive des prairies (augmentation de la surface fourragère par exemple)
- une meilleure utilisation des possibilités offertes par la PAC (politique agricole commune)
(d’autres mesures sont possibles, )
« Il n’y a pas de solution générale, tout est à voir cas par cas. Nous organisons des réunions d’information pour proposer à chaque éleveur d’aller le voir gratuitement et de l’orienter au mieux ». « Avant tout, il nous faut écouter ce qu’ils ont à dire, aider chacun à passer le mauvais cap, et à prendre des solutions d’avenir car les aides actuelles, qui freinent un peu la chute, ne sont pas garanties pour toujours ».
Maison Régionale de l’Agriculture,
Rue des Vauzelles, tél 02 40 55 68 08
Une autre consommation
La consommation de viande bovine remontera-t-elle ? Nul n’en sait rien. Les spécialistes constatent une baisse générale de consommation de toutes les viandes : moins 22 % pour le veau, moins 34 % pour la viande ovine, moins 7 % pour le porc frais, , moins 8 % pour les volailles. Seul le jambon progresse : + 2 %.
Selon l’OFIVAL, cette évolution préoccupante est due aux hausses de prix : les viandes de porc et de charcuterie ont augmenté de 12 % en un an, et les viandes de volaille de 11,9 %. Cette évolution peut faire craindre un changement dans les habitudes alimentaires des Français
Vaches et bio-diversité : http://vimeo.com/5629970
NOTES:
(1) parmi ces mesures, le renforcement du fonds d’aide aux agriculteurs en difficulté, ce qui conduit à la réorientation de ces agriculteurs — et la prise en charge du test ESB (pour dépister la vache folle), par l’OFIVAL (office des viandes)
(*) EBE : excédent brut d’exploitation