Ecrit le 19 octobre 2016
France-stratégie est un organisme créé par un décret du 23 avril 2013, il remplace le Centre d’analyse stratégique (qui avait lui-même remplacé le Commissariat général du Plan), ainsi que le Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC). Cette création fait suite à un rapport de Yannick Moreau, remis le 4 décembre 2012 à Jean-Marc Ayrault.
France-Stratégie vient de publier une analyse des transitions professionnelles des salariés en France. L’intensification de ces transitions depuis trente ans met en évidence une dualisation du marché du travail. Lire ici :
l’analyse des transitions de l’emploi vers le chômage par métiers et par types de contrat montre que le marché du travail français fonctionne à deux vitesses : une partie des actifs se trouve en situation d’instabilité récurrente, aux premiers rangs desquels les jeunes et les moins qualifiés. Dans ce contexte d’instabilité accrue, les chances d’obtenir un CDI à horizon d’un an sont en baisse et elles restent plus faibles pour un chômeur que pour un salarié en CDD ou en mission d’intérim. Davantage de chômeurs choisissent désormais le statut de non-salariés, mais la majorité des emplois qu’ils retrouvent restent des emplois salariés à durée limitée. Ils sont en outre plus souvent à temps partiel.
Ce diagnostic conforte l’importance du débat autour de la flexisécurité : il conduit à s’interroger sur la manière dont les politiques de l’emploi peuvent favoriser l’insertion et le maintien dans l’emploi des plus fragiles, et plus généralement la construction des carrières professionnelles.
En 2015, plus de huit salariés sur dix (85,5 %) ont un contrat à durée indéterminée (CDI) mais plus de huit embauches sur dix se font en contrat à durée déterminée (CDD). Ces deux chiffres illustrent deux réalités du marché du travail : une apparente stabilité en stock mais des flux importants de contrats de plus en plus courts et une intensification des transitions professionnelles. Analyser la situation des salariés à travers deux photographies prises à un an d’intervalle permet de ce point de vue de rendre compte plus finement des dynamiques à l’œuvre sur le marché du travail.
Chaque année, environ 17 % des actifs sont dans une situation sur le marché du travail différente de celle qu’ils avaient un an plus tôt. Ils ont pu changer d’entreprise, perdre leur emploi ou en retrouver un. Depuis la crise, ce sont les transitions avec passages par le chômage qui ont le plus augmenté.
Le risque d’être au chômage à horizon d’un an dépend sans surprise du type de contrat de travail : il est six fois plus important pour les salariés en CDD qu’en CDI et dix fois plus élevé pour les salariés en intérim.
Cette situation révèle un marché du travail à deux vitesses au sein duquel une partie de la population active est davantage exposée à l’instabilité professionnelle. Les salariés des métiers de services, les salariés peu qualifiés et les jeunes sont les plus concernés.
En parallèle, les actifs ont moins de chances d’accéder à un CDI depuis la crise et les retours en emploi des chômeurs semblent de moins bonne qualité : aujourd’hui, ces derniers sont un peu plus d’un tiers à retrouver un emploi en CDI alors qu’ils étaient près de six sur dix au début des années 1990. Ce diagnostic illustre la segmentation du marché du travail français.
Huit ans après le début de la crise financière, 1,2 million de personnes sont au chômage depuis plus d’un an. Le taux de chômage de longue durée a ainsi fortement progressé, passant de 2,5 % à 4,3 % de la population active entre 2008 et 2015. Cette montée de la persistance dans le chômage au fil du temps s’explique par le fait que les sorties vers l’emploi bénéficient en priorité à ceux qui sont au chômage depuis peu.
Cette montée du chômage durable s’est également accompagnée d’une progression du « halo autour du chômage » : en France métropolitaine, le nombre d’inactifs souhaitant travailler a en effet progressé de 230 000 depuis 2008, passant de 1,1 million à 1,4 million en 2015. Mais ce phénomène est beaucoup moins prononcé qu’aux États-Unis où la baisse du taux de chômage sur ces dernières années est due pour partie au découragement de chômeurs qui ne cherchent plus d’emploi. En effet, fin 2015, le taux d’emploi aux États-Unis n’a pas retrouvé son niveau d’avant la crise (69 % contre 71 % en 2008), alors même que le taux de chômage a fortement baissé (5,4 % contre 9,4 % en 2009). En conséquence, le taux d’activité y est en forte baisse et les inactifs occupent une part de plus en plus importante dans la population en âge de travailler.
l’augmentation des changements de situation sur le marché du travail renvoie pour partie à l’évolution dans les modes de gestion de la main-d’œuvre sur la dernière décennie. Les contrats à durée limitée constituent des « variables d’ajustement » pour les entreprises, leur permettant d’amortir les aléas de la conjoncture économique et de gérer les effectifs de manière plus souple.
La multiplication et le raccourcissement des contrats courts durant la dernière décennie sont les symptômes les plus visibles d’une fragilisation du lien existant entre un salarié et son employeur.
La difficulté d’accès à l’emploi stable est particulièrement forte en début de vie active et dépend principalement du niveau de qualification.
Les chômeurs, lorsqu’ils retrouvent un emploi, celui-ci est de moindre qualité. Sur la période 2008-2014, les CDD et l’intérim représentent près de six emplois retrouvés sur dix. En outre, au-delà du statut d’emploi retrouvé, cet emploi est souvent à temps partiel : dans un quart des cas, la durée de travail hebdomadaire moyenne est de moins de trente heures, et même dans un cinquième de moins de vingt-quatre heures.
Emploi des jeunes
Mais qui donc a la solution ? L’emploi dépend des décisions du gouvernement et, surtout, de celles des employeurs. Les mesures prises pour doper l’emploi des jeunes coûtent cher pour une efficacité limitée. c’est la principale conclusion du rapport de la Cour des comptes sur « l’accès des jeunes à l’emploi », publié mercredi 5 octobre.
En tout, les politiques déployées"‰pour favoriser l’emploi des jeunes se montent à 10,45 milliards d’euros en 2015. Il faut rajouter 8,4 milliards d’euros d’allégements de charges sur les bas salaires, qui concernent 79 % des moins de 30 ans.
Hors allégement de charges, le premier poste de dépenses est l’apprentissage, qui mobilise 5,953 milliards. Ensuite, viennent les contrats aidés, qui concernent 6 % des jeunes actifs et se déclinent à 80 % dans le public, pour un montant de 2,024 milliards d’euros. A eux seuls, mesure phare du mandat Hollande, les emplois d’avenir coûtent 1,3 milliard pour un coût très important (11 000 € par an).
Les mesures dites « d’accompagnement » nécessitent 1,448 milliard d’euros, dont 600 millions d’euros pour le suivi effectué par Pôle emploi, 500 millions pour les missions locales, et un peu moins de 100 millions d’euros pour la Garantie Jeunes, que le gouvernement a étendue depuis. 150 000 jeunes devraient être concernés par la Garantie jeunes en 2017.
Enfin, la formation continue coûte 1,009 milliard d’euros.
Toutes ces mesures ne se valent pas. « Les solutions les plus intensives et courtes : la Garantie jeunes et les dispositifs de la deuxième chance : s’avèrent relativement plus efficaces en termes d’accès à l’emploi que l’accompagnement de longue durée mis en œuvre par Pôle emploi ou les missions locales » écrit par exemple la Cour en reprochant à ces dispositifs de ne pas suffisamment déboucher sur une formation.