(écrit le 20 février 2002)
AGRICULTURE RAISONNEE
« Avant on cultivait, on produisait, on ne se posait pas de question. La mode était au » produire beaucoup « quel que soit le coût de cette production » explique François Langlais, agriculteur à Châteaubriant. « Nous avons commencé à réfléchir, au vu des résultats de 1999 quand nous avons réalisé que notre production de céréales ne gagnait pas d’argent » dit Emmanuel Auffray. (1)
La région de Châteaubriant est une région d’élevage. Pour les agriculteurs locaux la production de céréales n’est qu’un complément (30 % du chiffre d’affaires), d’abord pour nourrir les bêtes, et puis pour vendre s’il y a des excédents (un quart de la production est auto-consommé, le reste est vendu). Les agriculteurs locaux sont de bons éleveurs, mais n’ont commencé à s’interroger sur leur production de céréales, que le jour où ils ont compris qu’ils travaillaient pour rien (1). « Restait à savoir sur quels postes on pouvait jouer : pas sur le prix du blé, pas sur les subventions européennes, il n’y avait qu’une possibilité : réduire le coût de produits phyto-sanitaires », ces produits plus connus par le grand public sous le nom d’engrais et de pesticides (2)
Un technicien indépendant
« Un technicien indépendant est venu nous expliquer qu’on pouvait réduire les doses de phyto-sanitaires » . Le premier point important est là : un expert indépendant. Parce qu’il existe des laboratoires de recherche comme l’INRA (institut national de recherche agronomique) et l’ITCF (institut technique des céréales), mais ces laboratoires sont financés en partie par les grandes firmes agro-alimentaires, ce qui limite leur indépendance.
De plus, les agriculteurs sont conseillés par des techniciens de ces firmes agro-alimentaires qui ont tout intérêt à les pousser à l’utilisation massive des produits phyto-sanitaires. Alors, un expert indépendant, c’est déjà , en soi, une nouveauté intéressante .
Autrement
« Ce technicien indépendant nous a dit qu’on pouvait traiter autrement, avec la même efficacité, en diminuant les doses de produits. Tout seuls, nous n’aurions pas osé tenter l’expérience et risquer une mauvaise année de récolte ». Alors un groupe de réflexion s’est constitué, une douzaine d’agriculteurs au départ, une quarantaine maintenant. « Nous avons fait 7 jours de formation par an, nous sommes allés voir nos voisins d’Ille et Vilaine qui pratiquaient la méthode depuis plusieurs années, nous avons fait des réunions » bout de champ " pour observer les plantes sur le terrain. Bref, nous avons acquis une maîtrise technique, sans nous laisser influencer par les technico-commerciaux des firmes agro-alimentaires .
Il leur a fallu apprendre à jouer avec l’hygrométrie, la température, l’ensoleillement, le vent, apprendre à observer la plante de près (« comme une prise de sang ») pour lui apporter ce qu’il faut, quand il faut.. « Je sais maintenant qu’il faut que j’épande les produits, l’été, dès six heures du matin, a expliqué Norbert Raguin, avant de procéder à la traite des vaches ».
Moitié moins
Cela ne s’est pas fait sans inquiétude. Mais la dynamique du groupe a joué. « Ensemble on se rassure », surtout quand les résultats sont là :
« En 1999, pour produire un quintal de céréales, il fallait 29 F de produits phytosanitaires (moyenne du département). En l’an 2000 nous sommes tombés à 21 F. L’année 2001 a été plus difficile (25 F, parce que les rendements ont baissé à cause d’une pluviométrie trop importante). Notre objectif est d’aller à 15 F ou 17 F le quintal. A raison de 70 à 80 quintaux par hectare, sur 40 ou 50 hectares, cela représente un gain important » (en moyenne 1000 F par hectare et par an). « Et en plus, cela respecte mieux l’environnement ».
Feu de paille
Au début les firmes agro-alimentaires ont cru que cette réflexion en équipe ne serait qu’un feu de paille. Puis elles ont compris que cela durait. Les pressions sur les agriculteurs se sont faites plus fortes. « Quand vous avez un technicien, que vous connaissez depuis des années, et qui vient vous dire que vous faîtes fausse route, cela ébranle fortement » explique Gilbert Boisseau de Fercé. « Mais finalement, plus ils essayaient de démolir notre expérience et plus ils nous confortaient dans notre recherche »
Finalement, ces agriculteurs ont découvert qu’ils pouvaient produire mieux, en consommant moins de produits. Et le Premier Prix qui leur a été décerné lors du concours « les espoirs de l’agriculture raisonnée » est là pour encourager leurs efforts.
« Nous avons compris qu’il valait mieux produire 70 à 80 quintaux l’hectare en gagnant 1000 F, que 100 quintaux en perdant 1500 F ». Les spécialistes de l’élevage sont ainsi devenus des spécialistes des cultures et ils en sont fiers. « Allier l’économique et le raisonnable, tout en respectant l’environnement, c’est notre but. Notre groupe continue ses rencontres régulières, d’une part parce que les produits évoluent, les lois environnementales aussi, et d’autre part parce que nous pouvons nous ouvrir ultérieurement à d’autres préoccupations » comme la mécanisation, le marché à terme, etc.
Le groupe est ouvert à tous ceux qui veulent s’y intégrer. Se renseigner auprès de l’animateur Damien Carette au centre de gestion de l’économie rurale, 13 rue d’Angers à Châteaubriant - tél 02 40 55 68 38
Ecrit le 10 juillet 2002 :
L’agriculture raisonnée c’est pas bien bio
Lorsque La Mée, dans son numéro du 20 février 2002, a parlé d’agriculture « raisonnée », cela a provoqué des ricanements d’un certain nombre de personnes.
Eh bien, il se pourrait qu’ils aient eu raison. Et que l’agriculture « raisonnée » ce ne soit pas bien bio ! Selon le Canard Enchaîné du 3 juillet 2002, le concept a été lancé par l’UIPP, union de l’industrie de protection des plantes, qui regroupe 29 fabricants français de pesticides. Ceux-ci souhaitent continuer à asperger les cultures de pesticides, tout en empruntant une petite coloration de respect de l’environnement. L’UIPP a donc créé une association de lobbying baptisée Farre (forum de l’agriculture raisonnée respectueuse de l’environnement), dont les 5 salariés, qui crèchent dans des locaux jouxtant ceux de l’UIPP, ont dépensé depuis neuf ans un million d’euros par an pour se faire entendre. Avec succès puisque, avant son départ du Ministère de l’Agriculture, Jean Glavany a signé les décrets officialisant la naissance de « l’agriculture raisonnée ». On n’attend plus que le décret autorisant l’étiquetage.
Mais il ne semble pas qu’en neuf ans cette agriculture raisonnée ait donné des résultats probants puisque, toujours selon Le Canard, l’épandage des pesticides n’a cessé d’augmenter en France jusqu’Ã atteindre 111 150 tonnes en 1999, ce qui fait de la France la Championne de l’Europe.
Ce qui manque de clarté, dans cette histoire d’agriculture raisonnée, ce sont les contrôles : ceux-ci sont effectués par des « organismes certificateurs » (ceux qui décernent déjà les labels rouges et autres appellations d’origine contrôlée) qui peuvent se faire aider d’auditeurs extérieurs qui « pourront dépendre de structures agricoles » On n’est jamais aussi bien contrôlé que par soi-même !
La guerre des agriculteurs « raisonnés » contre les agriculteurs « bio » se double d’une guerre commerciale entre grandes surfaces. Auchan (346 hypermarchés et 1633 supermarchés) a misé sur le « raisonné » dont elle attend le décret d’étiquetage pour faire sa publicité, et faire ainsi concurrence à Carrefour (9200 magasins) qui a misé sur le bio depuis une dizaine d’années. Le consommateur, là -dedans, ne peut même pas compter les coups !
(1) Il ne faut pas confondre les céréaliers de notre région avec ceux du Bassin Parisien. Ces derniers ont des terres qui, naturellement, sont plus productives, de plus ils ont obtenu, par le biais de la PAC (politique agricole commune) des subventions qui avantagent les gros producteurs.
(2) les pesticides, c’est un nom d’ensemble qui regroupe les herbicides (contre les mauvaises herbes), les fongicides (contre certains champignons ou maladies de la plante), les raccourcisseurs (qui renforcent la tige du blé, par exemple, pour empêcher « la verse »), etc.
Ecrit le 15 décembre 2004 :
Raisonnée ? Est-ce raisonnable ?
présenté à grand renfort de publicité comme un signe de qualité « environ-nementale » auprès des consommateurs (depuis un décret de mars 2004), le référentiel « agriculture raisonnée », en réalité, ne respecte même pas les 19 directives européennes que tous les paysans recevant des aides publiques devront respecter à partir du 1er janvier 2005. Ce n’est donc pas un « plus » par rapport aux pratiques agricoles normales.
Par conséquent, « promouvoir les produits »issus de l’agriculture raisonnée« est une tromperie envers les consommateurs » dit la Confédération Paysanne pour laquelle « ceci entraîne une distorsion de concurrence envers les paysans ; sans oublier le préjudice direct ou indirect subi par les autres signes de qualité (AOC, Agriculture biologique, Label rouge, etc.). Tout ceci est pénalement condamnable au regard du droit de la consommation. »
Aides sans contrôle ?
Et il y a plus grave pour les paysans : pour percevoir les aides publiques, ils devront apporter la preuve qu’ils respectent la réglementation environnementale européenne et seront contrôlés à ce titre. Le
risque est très grand que l’Administration, sous la pression des promoteurs du dispositif « agriculture raisonnée », en vienne à considérer le fait d’y souscrire comme une présomption de conformité à la réglementation ; et qu’Ã ce titre, ses agriculteurs n’auraient pas à être contrôlés dans les mêmes conditions que les autres. Il s’agirait alors d’une grave discrimination entre paysans, puisque les conséquences en seraient vitales pour eux : toucher ou pas des aides publiques qui sont essentielles à leur revenu.
C’est d’autant plus inquiétant que la Commission européenne entend sanctionner sévèrement tout manquement, même mineur, observé dans les exploitations.
La Confédération paysanne avait déjà trouvé suspect d’associer sous la bannière de l’agriculture raisonnée des organisations professionnelles agricoles et des industriels des produits phytosanitaires et de la grande distribution. Elle confirme aujour-d’hui les raisons qui la conduisent à ne pas s’associer à cette entreprise de pseudo qualification des exploitations qui sème le trouble
Communiqué du 9 décembre 2004
de la Confédération Paysanne