Ecrit le 8 mai 2019
Pensées
… de Pascal
ou quand ma tête tilte !
¤ Je vous autorise à sourire : cet article est né à partir d’un seul chiffre, incongru et mystérieux. Un caddie (vous voyez, la « cage à roulettes » de l’hypermarché) parcourt 30 000 km dans sa vie ! Non-motorisé (ou pas encore), il est donc poussé ou tiré par un bipède, c’est à dire l’un(e) de nous. Alors je me suis mis dans la peau d’un caddie pour éclairer sa vie.
¤ Sa durée de vie est de 8 ans et, s’il n’est pas planté immobile (dehors, souvent sous abri, ou dans la grande surface), il navigue entre 2 et 6 km/h, avec moyenne à 3,5 km/h. Sa qualité et son confort de conduite ne cessent de s’améliorer, sa poignée est toujours dans le top de la pollution bactérienne (plus que les w.c. publics !). Son devoir est d’effectuer des allers-retours entre parking et magasin en soulageant l’effort du client, sa vocation est d’être le plus rempli possible avant l’obligatoire attente au barrage de la ligne de caisses. Je n’ai pas pu recroiser cette info, mais il y aurait autant de caddies que de places de parking. Son univers est la GMS (Grande et Moyenne Distribution), cet empire de la consommation et de la tentation. Pourtant, depuis 2015, malgré son charme, il se sent délaissé. Moins de km/jour. Trajets plus courts ? Il ne semble pas. Ah ! Moins de trajets ? La réponse est oui, couplé à un remplissage moindre. Alors il faut se tourner vers le décideur, le pilote. Donc nous.
¤ Oui,le pilote est le consommateur. Et ce consommateur (le client est roi) est en train de chambouler sa façon d’acheter. Grisées par leur toute-puissance, ayant vécu un âge d’or culminant dans les années 2000, les GMS (Grandes et Moyennes Surfaces) se sont un peu endormies sur leurs lauriers, elles ont tardé à renifler les lézardes entre leur offre et les nouveaux motifs déclencheurs d’achat. Dans les années 80-90, les grandes surfaces ou centres commerciaux se sont multipliés et éloignés des villes pour minimiser les coûts fonciers ; ont fait une course au gigantisme (la taille d’un hypermarché varie de 2 500 à 20 000 m2, soit en moyenne la surface d’un terrain de football) ; ont équilibré leurs ventes entre alimentaire et non-alimentaire (vêtements, ménager, audio-vidéo, etc) dans l’objectif d’être un lieu d’achat central et unique (frôlant parfois l’offre par monopole) ; ont entamé une guerre des prix sans merci (quitte à affamer une partie de nos vaillants agriculteurs et d’autres filières mal-unies) ; ont entamé une sur-enchère de promotions permanentes par affichage dans leurs magasins.
Je simplifie, mais toutes les enseignes ont parié sur l’augmentation de la fréquence des visites des clients actuels et potentiels dans leurs surfaces de vente.
Nouveau guide du consommateur
¤ Vers 2010, la soupape de tolérance du consommateur à ces contraintes a commencé à siffler. Le temps, précieux, devient minutieusement compté ; l’époque est au changement d’habitudes ; le tsunami numérique offre d’autres solutions que le déplacement physique ; l’éloignement du lieu d’achat crée une barrière de coût (versus la livraison à domicile) ; la balade de 50mn en moyenne pour remplir le caddie dans les étalages puis l’attente aux caisses (10mn) sans parler du temps et du coût de transport ; la lassitude de gâcher le samedi pour faire le plein de courses en cassant la journée familiale. Le consommateur, mieux informé et plus exigeant a beaucoup mûri. Et les « pure players » (‘commerce tout en ligne’ est la plus proche traduction en français, désolé), des géants tels Amazon ou E-bay et d’autres (dont Cdiscount, filiale du groupe Casino en France qui reste nain), sont apparus, en bousculant les quilles bien alignées. En début 2018, les grandes enseignes des GMS en France disent conserver 50 % de parts de marché, tous commerces confondus, à la baisse, mais ne publient pas de chiffre d’affaire global et consolidé. Le rachat d’enseignes et les achats conjoints (concentration du secteur) diminuent la concurrence par diminution du nombre de centrales d’achat.
Le e-commerce, en forte hausse, vise les 100 milliards de chiffre d’affaire. Vient s’y rajouter le C.A. des boutiques et réseaux spécialisés, qui reste important et en hausse. J’ai déclaré forfait pour ‘comparer’ ces 3 acteurs de ventes, faute de données cohérentes. De plus, certaines grandes enseignes des GMS négocient des accords avec des « pure players », ce qui achève le brouillage dans le ‘qui fait quoi’.
Gardons simplement en tête que les GMS, si elles veulent perdurer, doivent se réinventer en profondeur.
¤ Le consommateur, le décideur, change son comportement d’acheteur. Le pouvoir d’achat est un sujet brûlant et le débat national sur la juste répartition des profits est loin d’être clos. De plus, 35 % des pousseurs de caddie trouvent ce moment « ennuyeux » ou même « stressant » (bonjour le job d’hôte de caisse, qui subit l’incivilité quotidienne). Il entend et capte les messages sur : la proximité de production (circuit court) ; l’éthique commerciale ; la transparence des prix ; les produits sains et bio ; l’environnement (dont les sur-emballages) ; l’e-commerce ; la livraison à domicile ; la commande par quelques clics de souris.
Deux devises à satisfaire semblent impératives dans ces changements :
« c’est la marchandise qui vient au consommateur, et non l’inverse ».
« accès à tout, partout, tout le temps ».
Elles ne font que confirmer, malheureusement, dans un cadre plus général, la soif d’individualisme ( et d’égoïsme).
stratégies défensives des GMS
¤ L’œil un peu trop rivé sur leur marge brute, les GMS ont mal senti le vent tourner et se réveillent sous avis de tempête. Amazon, à juste raison, fait peur (un hyper classique offre entre 50 et 80 000 produits, tandis que le catalogue d’Amazon contient 300 millions de références). Quasi-omnipotente hier, la GMS française (mais pas que !) a la hantise d’être reléguée au rôle de simple dépôt ou ‘relais’ physique obéissant aux ordres du e-commerce. Pourquoi ne pas imaginer que les galeries marchandes ne servent que de lieu de ‘repérage’ physique avant une commande en ligne ? Attaquée, perdant des consommateurs, munie d’une puissance de feu financière respectable, mais sans commune mesure avec celle consolidée à l’international des sites web (Amazon, Ali-baba, e-bay, etc), elle ne peut prendre que des mesures défensives. Voici quelques ripostes notables :
¤ 1- concentration dans le secteur GMS : des concurrents acharnés se rachètent, se rapprochent ou partagent leurs services Achats. 2- la carte de fidélité, d’abord symbole de récompense, devient une énorme source de données personnelles, qui, analysées, permettent de mieux cerner l’acte d’achat. 3- vente en ligne : les sites GMS fleurissent, plus ou moins réussis et attirants, par retard d’expérience. 4- les ‘drives’ suivent dans la foulée, véritable révolution. Après commande sur le site, le ‘panier’ est préparé et prêt à être chargé en voiture dans un arrêt-minute. L’automatisation poussée permet l’apprêt de 50 paniers en 6 mn ! Commode, cela soulage les files d’attente en caisse (point noir) aux heures de pointe. Le ‘drive’ bouleverse aussi la répartition du bâtiment, en diminuant la surface de vente (pourtant le cœur du métier GMS) au profit de l’aire de stockage et celle des parkings dévolus. 5- retour de supérettes en centre-ville et banlieues pour coller à la proximité. Leur rentabilité reste à prouver mais permet de sauvegarder la sacro-sainte ‘part de marché’. 6- communication-médias : finie la piqûre de rappel sur l’ambiance sereine de l’enseigne, le discours devient une bagarre féroce sur le prix d’un produit (ou d’une gamme) au centime d’euro près, tel le melon, le dentifrice ou l’écran-télé dernier cri (ex. pris au hasard). 7- une sur-activité permanente des promotions en magasin, avec qui et ses produits-repères, qui et l’impact de l’achat sur la carte de fidélité, qui avec son deuxième ou troisième lot à moitié-prix ou gratuit, qui avec son jour-spot sur telle gamme (c’est nouveau). La Loi tente ‘timidement’ d’y voir clair et de calmer le jeu. 8- le rush sur le bio ‘industriel’ (ça sonne contradictoire !), de produits ‘sains’ et sans additifs, et à l’affût, par lobbying au nom du pouvoir d’achat, de l’accès à de nouveaux secteurs tels la para-pharmacie.
L’hyper classique est mal. Il détruit des emplois et déshumanise encore l’achat. Les caddies patientent, observateurs.
Pascal, de Blain