Ecrit le 13 avril 2021
Le projet Hercule
Le 8 avril est une date anniversaire : on y célèbre la Loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz par le gouvernement issu du Conseil National de la Résistance. c’est bien loin tout ça. Nous en sommes actuellement au projet nommé Hercule, qui consiste à découper ERDF en trois entités :
– EDF bleu chapeauterait les centrales nucléaires et le réseau de transport. Elle resterait publique.
– EDF vert réunirait les activités commerciales, la distribution d’électricité et les énergies renouvelables. Elle serait cotée en Bourse, permettant d’attirer des investisseurs pour développer l’éolien et le solaire.
– EDF azur pourrait enfin coiffer les barrages hydroélectriques.
Principale raison avancée par le gouvernement pour justifier le projet Hercule : la révision de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh).
Le mécanisme ARENH a été mis en place en juillet 2011, à la demande des fournisseurs alternatifs, et entériné par la Commission européenne. Il oblige Électricité de France (EDF) à céder un quart de sa production nucléaire à ses concurrents. La vente se fait au prix coûtant, estimé à 42 euros par mégawattheure, ou au prix du marché quand celui-ci est plus favorable aux opérateurs privés.
Les concepteurs de ce dispositif reconnaissent ne pas avoir imaginé que les prix de marché pourraient passer durablement au-dessous de ces 42 euros ce qui s’est produit de manière répétée, par exemple sur quasiment toute la période 2016-2017 et durant une grande partie de 2020. En contraignant EDF à céder une partie de sa production nucléaire à perte, l’arenh contribue aux difficultés financières du groupe public. Et bien sûr, lorsque ces prix de marché repassent au-dessus de 42 euros, EDF n’en retire aucun bénéfice.
président-directeur général de l’entreprise publique au moment de la mise en place de l’arenh, M. Henri Proglio compare ce régime à « une table de black jack dont EDF tiendrait la banque, paierait les gains, mais n’empocherait pas les mises des perdants ». Par ailleurs, le prix de l’arenh n’a pas été réévalué depuis 2012 et ne prend en compte ni l’inflation ni une réestimation à la hausse des coûts de prolongation des centrales nucléaires. Le code de l’énergie prévoyait pourtant un ajustement annuel.
« Ce »machin« complètement illogique n’a pas permis en quinze ans l’émergence de véritables producteurs alternatifs, mais plutôt de revendeurs qui se sont servis chez EDF quand les prix de gros étaient hauts, et qui sont parvenus à s’exonérer de leur devoir de rachat lorsqu’ils étaient plus bas », dézingue le député (Les Républicains) du Vaucluse Julien Aubert, dans une tribune cosignée par trente-deux parlementaires de droite, guère éloignés des positions de la gauche sur ce sujet. Dans ces conditions, « le statu quo n’est pas souhaitable », euphémise la Cour des Comptes en juillet 2020. La nécessité de réviser ce mécanisme ne fait plus débat.
La nouvelle régulation proposée dans le cadre du projet Hercule imposerait un prix fixe et revalorisé de la production nucléaire cédée aux fournisseurs, sans possibilité d’arbitrage avec les prix de marché. La nationalisation du nucléaire permettrait également l’accès à des financements publics moins chers.
Mais la contrepartie imposée par Bruxelles est salée. Sous prétexte d’éviter des subventions croisées, ce monopole public devrait être séparé des autres activités d’EDF. d’où l’éclatement du groupe public en trois pôles, et la privatisation des réseaux de distribution et des énergies renouvelables.
L’intersyndicale a été reçue au ministère le 6 avril 2021 et coup de théâtre : on ne parle plus d’Hercule ni d’EDF bleu, vert ou Azur. Mais on parle de ...
– une société EDF SA, maison-mère 100 % publique et donc renationalisée,
– une société « EDF énergies renouvelables et réseaux » dont le capital pourrait être ouvert jusqu’Ã 30 %. et
– une filiale EDF Hydro quasi régie 100% publique et nationalisée.
Les mots ont changé, la situation reste la même. Ce système laissera le nucléaire à la charge des finances publiques et attirera de nouveaux investissements massifs, vers les activités les plus rentables (dans l’EDF « Vert » ).
Or le nucléaire, ça coûte cher ! Après des années de retard, le coût du chantier de l’EPr à Flamanville a été multiplié par 3,3 à 12,4 milliards, selon EDF. Mais, la Cour des Comptes ajoute des coûts complémentaires non intégrés par EDF, qui pourraient atteindre 6,7 milliards d’euros à la mise en service du réacteur. Soit un total de 19,1 milliards.
Autre révélation de la Cour des Comptes, le coût de l’électricité de Flamanville pourrait se situer entre 110 et 120 euros le mégawattheure, soit plus du double de celui de l’électricité produite aujourd’hui par les réacteurs nucléaires existants, et qui est également supérieur à celui de l’électricité fournie par les énergies renouvelables.
L’intersyndicale s’inquiète en outre parce qu’elle a le sentiment, à bien écouter les Ministres, que le Gouvernement ne semble mû que par le temps politique, tout entier tourné vers les objectifs de 2022, à savoir réussir la présidence française de l’Union Européenne et gagner les prochaines élections nationales. Ceci tout particulièrement autour de l’élection présidentielle comme le Ministre de l’Économie l’a lui-même déclaré lors des échanges avec l’interfédérale.
Pour réussir ce challenge politique, qui répond davantage à leur temps politique qu’Ã la recherche de solutions pour EDF, les Ministres n’ont pas hésité à demander aux organisations syndicales de leur faire une totale confiance, de leur donner un blanc-seing et d’endosser la responsabilité d’une négociation à laquelle elles ne sont pourtant pas conviées !
La Commission européenne n’a, quant à elle, aucun intérêt, dans le contexte politique actuel de défiance et d’euroscepticisme, à précipiter une négociation, qu’elle sait difficile, avant les futures échéances électorales françaises.
« Il y a donc urgence, non pas à faire une loi à la redoutable inconsistance et à la dangereuse simplicité, du fait de l’absence d’accord avec la Commission européenne, mais plutôt à appliquer d’une part le code de l’énergie pour augmenter le prix régulé du nucléaire et d’autre part à faire bénéficier EDF des 10 milliards d’euros de soutien public que le Ministre de l’Économie a annoncés à l’interfédérale pour permettre une réelle renationalisation d’EDF et un renforcement de ses fonds propres. Ces deux dispositions sont de nature à permettre, sans recours à un processus législatif précipité, de continuer sereinement les discussions avec la Commission européenne tout en permettant à EDF et à ses agents d’avoir les moyens de remplir pleinement leurs missions et d’ainsi redonner à l’énergéticien son 1er rang au niveau européen » dit l’intersyndicale.
Un univers apocalyptique
La pandémie n’est pas encore maîtrisée, loin s’en faut, que les émissions de CO2, un temps freinées par les restrictions sanitaires, repartent déjà à la hausse dans l’énergie. Leur niveau de 2020 a déjà dépassé celui de 2019 et le pire est peut-être à venir. « Je ne serais pas surpris de voir un très fort rebond en 2021 », a estimé Fatih Birol, le directeur exécutif de l’Agence Internationale de l’Energie à la veille du « Sommet Net Zéro », un sommet mondial qui a réuni le 7 avril les représentants de haut-niveau d’une quarantaine de pays.
Une sombre prévision liée au vent de reprise qui commence à souffler sur l’économie mondiale. Mais elle n’a rien d’inéluctable. Si les Etats mettent rapidement en œuvre - sous dix ans - des mesures en faveur des énergies propres, la perspective d’un « avenir apocalyptique », pourra être écartée.
Mais « si on regarde la courbe sur laquelle nous nous trouvons, nous nous dirigeons en réalité vers plus de 4 degrés de réchauffement »