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(écrit le 5 mars 2003)
La guerre dans nos assiettes
Avec quelques bactéries,
un essaim d’insectes ravageurs,
on peut détruire les ressources alimentaires d’un ennemi.
C’est si simple qu’on se demande si cela n’a pas déjà été fait...
« L’agroterrorisme » consiste à frapper l’adversaire à l’estomac, en le privant de nourriture. Ceci sous couvert d’une catastrophe délibérément provoquée, mais aux allures tout à fait naturelles.
Au risque peut-être de susciter des vocations, l’OMS (Office mondial de la santé) vient de publier un « document d’orientation », destiné aux gouvernements et aux industriels de l’agroalimentaire, intitulé : « Menaces terroristes sur l’alimentation » (1). Cette étude commence par montrer la fragilité et la vulnérabilité de nos approvisionnements alimentaires puis énumère la liste des mesures à prendre pour éviter, si possible, les catastrophes annoncées.
Dès l’année 2000, c’est Michael Margolian, un chercheur canadien travaillant pour le ministère de la défense de son pays, qui a mis en garde sur cet immense risque à peu près ignoré. Son message vient d’être relayé en France par Frédéric Suffert, de l’Inra, dans un article intitulé : « L’épidémiologie végétale, nouvelle discipline de guerre ? » (2). Ces deux études justifient les craintes de l’OMS.
Morve et doryphore
Depuis près d’un siècle, plusieurs pays (dont la France) ont mené des recherches guerrières en ce sens. Pendant la Première Guerre mondiale, l’Allemagne cultivait le germe de la « morve » du cheval pour anéantir les cavaleries ennemies. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la même Allemagne avait planifié la destruction des cultures de pommes de terre britanniques par le lâcher aérien de colonies de doryphores. A la même époque, nous apprend Frédéric Suffert, la France poursuivait un programme mis en place en 1939, qui « organisait la prolifération du doryphore » et, en vue d’un lâcher sur les champs de patates teutons, « étudiait son comportement en vol à haute altitude ».
Le mildiou de la pomme de terre, la piriculariose du riz, le charançon du colza, les rouilles jaune et noire du blé furent de même embrigadés dans des recherches militaires, avec le but d’affamer l’ennemi.
Durant la guerre froide, les Etats-Unis ont mené des recherches visant le blé d’Ukraine et le riz chinois (et n’oublions pas tous les défoliants qui ont été jetés sur les champs de riz au Vietnam). En même temps, l’Union soviétique employa jusqu’Ã 10 000 chercheurs dans ses programmes concernant les épidémies transmissibles aux céréales.
Plus récemment, en 1995, la Commission spéciale des Nations unies sur l’Irak (CSNU) démontra que le gouvernement de Bagdad avait, notamment, mené des travaux très sophistiqués concernant le charbon du blé, dans l’intention d’anéantir les récoltes de céréales iraniennes.
Quand le blé fait boum
Avec le charbon du blé, les agroterroristes sont assurés de faire coup double : non seulement cette maladie réduit considérablement le rendement des moissons. Mais en plus « elle produit un gaz inflammable, la triméthylamine, susceptible de provoquer l’explosion des moissonneuses ». Une sorte d’idéal en somme, de perfection dans le genre, avec l’impunité en prime puisqu’il s’agit d’une maladie « naturelle ». Et comme le charbon du blé ne vise que le blé, ne tue donc personne (sauf éventuellement les conducteurs de moissonneuses-batteuses et les affamés qui manquent de blé), c’est réellement une arme très élégante...
Officiellement, tous ces programmes n’ont jamais reçu le moindre début d’application pratique. Pourtant, à diverses reprises, Cuba accusa les Etats-Unis d’avoir saccagé ses récoltes de canne à sucre ou de tabac, puis ses palmeraies et ses élevages de poulets. On sait, d’autre part, que la CIA a effectivement mené un programme secret visant la destruction de l’agriculture cubaine. Mais aucun lien de cause à effet n’a jamais pu être établi par les experts de l’ONU, et les mécomptes de la production cubaine ont toujours été attribués à l’inefficacité du marxisme-léninisme. Comme la Russie, les Etats-Unis ont, du moins officiellement, mis un terme à toutes les recherches du genre. Sauf à celles qui, menées sous le contrôle des Nations Unies, concernent certains champignons capables de détruire les cultures d’opiacées et de cannabis. Mais quand on sait qu’en Afghanistan, par exemple, la culture de l’opium progresse au détriment de celle du blé - dont les variétés locales ont vu leur rendement très amputé par une mystérieuse, et tenace, épidémie de « rouille jaune » -, on peut se demander avec Frédéric Suffert si le bioterrorisme agricole n’est pas déjà sérieusement à l’œuvre.
D’après un article de FABIEN GRUHIER
(le Nouvel Observateur, 13 février 2003)
(1) Sur internet : http://who.int/fsf
(2) Courrier de l’environnement de l’Inra, n° 47
guerre nucléaire, guerre chimique