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(écrit le 16 avril 2003)
Pensée
« je préfère glisser ma peau sous des draps pour le plaisir des sens, que de risquer la paix sous les drapeaux pour le prix de l’essence. »
(d’après Raymond Devos)
Pourquoi manifester encore ?
Par Jacques Nikonoff, président d’ATTAC
Dans une déclaration, Jacques Nikonoff explique :
La chute du régime de Bagdad ne nous fera pas pleurer. Saddam Hussein était un dictateur, et nous n’avons jamais confondu la lutte contre la guerre illégale menée par le gouvernement des Etats-Unis et le soutien au régime irakien.
Attac a appelé à manifester massivement le 12 avril 2003 :
Parce que la guerre n’est pas encore totalement terminée ; des combats se poursuivent à Bagdad et d’autres combats devraient se mener dans le nord du pays.
Parce qu’une nouvelle guerre va peut-être se déclencher à la frontière avec la Turquie, à propos de la situation des Kurdes.
Parce que la guerre contre l’Irak, déclenchée par l’administration Bush, n’est que le premier mouvement d’une stratégie bien plus vaste connue sous le nom de « guerre préventive » contre « l’axe du mal ». Comme chacun le sait, cet « axe du mal » rassemble des pays comme l’Iran, la Syrie, le Corée du Nord. D’ailleurs, l’administration américaine a commencé à menacer ces pays.
Ce serait donc une erreur de considérer que la lutte est désormais inutile puisque la guerre contre l’Irak est, semble-t-il, sur le point de s’achever. La lutte doit se poursuivre contre la stratégie de l’administration Bush visant à construire un monde unipolaire, débarrassé de toute contrainte de droit international, si minime fut-elle.
La lutte doit également se poursuivre à propos de l’Irak. L’aide humanitaire doit être mobilisée de toute urgence. Nous constatons, en effet, la carence des troupes américaines et britanniques en ce domaine. A Bassora par exemple, l’eau n’est toujours pas rétablie. A Bagdad, les chirurgiens des hôpitaux opèrent sans anesthésie faute de médicaments. Ces horreurs doivent cesser et les peuples doivent continuer leur pression sur les gouvernements.
La sécurité des populations doit être assurée. Dans toutes les villes d’Irak « libérées », les pillages se multiplient, sans que les troupes d’occupation ne réagissent.
Un nouveau régime politique doit être mis en place en Irak. Il ne peut l’être sous la tutelle américaine mais il doit procéder d’accords politiques multilatéraux dans le cadre de l’Onu. L’expérience récente de l’Afghanistan, où rien n’est toujours réglé, montre que le gouvernement des Etats-Unis est parfaitement incapable de gérer de telles situations.
L’Irak doit être reconstruit. Dans cette perspective, l’argent du pétrole ne doit pas servir à financer les contrats que le gouvernement américain a octroyé à ses grandes entreprises, provoquant d’ailleurs un conflit avec le gouvernement britannique qui a été « oublié ». L’argent du pétrole doit servir en premier lieu à nourrir et soigner le peuple irakien, à reconstruire son pays à partir de ses propres entreprises.
ATTAC a appelé à manifester, le 12 avril, pour dénoncer l’hypocrisie de George W. Bush dont les motifs, pour provoquer cette guerre, sont aujour-d’hui reconnus comme totalement fallacieux : nulles armes de destruction massive n’ont été découvertes, nul lien entre l’Irak et Ben Laden n’a été mis à jour. (...)
Nous avons appelé à manifester enfin pour que Jacques Chirac et l’Union européenne sortent de leur torpeur. Jacques Chirac avait pourtant pris un bon départ : ses positions contre la guerre ont joué un rôle majeur pour isoler le gouvernement américain aux yeux de l’opinion publique mondiale et de très nombreux gouvernements. Mais il n’a pas tenu la distance ; depuis quelques semaines, il est muet.
Guerre permanente
Par ailleurs, ces dernières heures, nous pouvons entendre dire, à l’unisson de la presse américaine, que « Saddam ne serait jamais tombé sans cette guerre ». Cet argument de la propagande américaine vise à légitimer, après coup, l’intervention militaire, et à reconquérir l’opinion publique. C’est la raison pour laquelle nous devons affirmer avec force que cette analyse est non seulement erronée, mais qu’elle est aussi particulièrement dangereuse sous son apparent bon sens.
Cette analyse est erronée, car les dictatures finissent toujours pas tomber. On pourrait alors se dire que le plus tôt est le mieux. Rien n’est moins certain, car la manière dont les dictatures tombent parait infiniment plus important. Qui peut affirmer aujourd’hui que le coût humain, matériel, politique, stratégique, à court et à long terme de la guerre, sera moins élevé que ne l’aurait été la poursuite de la dictature de Saddam Hussein ? Il est toujours préférable que les peuples opprimés se libèrent eux-mêmes, avec l’aide de la solidarité internationale, plutôt qu’ils ne se fassent « délivrer », surtout quand il s’agit de l’armée américaine.
Cette analyse est dangereuse, car si l’on considère qu’il suffit d’envoyer les Boys pour faire tomber les dictatures, la « guerre permanente » voulue par les USA deviendra une réalité. Nous aurons alors l’embarras du choix, car nous pouvons en effet douter du caractère parfaitement démocratique des régimes politiques de l’Arabie Saoudite, du Kazakhstan, de la Tunisie, de la Corée du Nord, de la Syrie, de l’Iran, de Cuba, de la Chine... Quel est le pays qui sera le prochain sur la liste ?
Jacques Nikonoff
Mort d’un modéré
Abdul Madjid al Khoeï, éminente personnalité chiite et membre de l’opposition irakienne, était rentré le 3 avril 2003 à Nadjaf, dans le sud de l’Irak après une longue période d’exil. Il a été assassiné dans le sanctuaire d’Ali, l’un des hauts lieux sacrés des musulmans chiites, victime apparemment de chiites extrémistes. Ainsi ceux qui étaient hier les victimes de Saddam Hussein en sont déjà à se déchirer entre eux. Abdul Madjid al Khoeï prônait une vision modérée qui constituait une contribution politique importante pour l’avenir de l’Irak.
Mort aux journalistes
Un des aspects inquiétants de la guerre en Irak : des tirs américains ont atteint sciemment, délibérément, les bureaux des chaînes de télévision Al Jazira et Abu Dhabi TV ainsi que l’hôtel où étaient logés les journalistes étrangers en poste à Bagdad. La guerre contre la vérité a-t-elle commencé ?. Il s’agit d’un meurtre de sang-froid perpétré contre tous ceux qui auraient pu avoir l’outrecuidance de montrer la face hideuse de la guerre, d’avoir une lecture des événements différente de celle des Etats-Unis. Il s’agit de réduire au silence les témoins des crimes de guerre commis par les envahisseurs.
L’attaque contre les journalistes témoigne de la tactique utilisée par l’armée américaine à Bagdad : un déluge de feu face à la moindre menace ou ce qui est perçu comme tel : la force massive au moindre danger, tant pis pour les civils.
(écrit le 16 avril 2003) :
Humiliation
Les troupes anglo-américaines se sont emparées à Bagdad de nombreux bâtiments qui constituaient jusque-là le cœur du pouvoir irakien. « Retenez vos applaudissements », écrit cependant l’éditorialiste Thomas Friedman dans le « New York Times », choqué par « les scènes d’humiliation, non de libération », qu’il a pu observer à Oum Qasr. Pas étonnant, selon lui, que les troupes de la coalition ne soient pas ovationnées sur leur passage : « Comment dire ’’merci de venir me libérer’’ quand la libération s’accompagne d’un pillage systématique, des silos à grains à l’école locale, tableau y compris ? ». Même le principal hôpital de Bagdad a été pillé et les forces américaines n’interviennent pas.