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(écrit le 25 décembre 2001)
Enfances choyées
et traditions de Noë l
Deux événements tombent en même temps en cette fin d’année 2001 : la fête des enfants et une campagne contre la prostitution enfantine.
La fête des enfants, c’est Saint Nicolas, début décembre, dans les pays nordiques, c’est Noë l dans les nations occidentales avec le « Petit Jésus » pour les uns et « Le Père Noë l » pour les autres.
Noë l représente, dans tous les cas, un mélange de traditions religieuses et païennes. Cette dualité se retrouve dès l’origine de la célébration de Noë l. En fait, les Evangiles nous ont donné très peu d’indication sur la date de la naissance de Jésus. Pendant les premiers siècles de l’ère chrétienne, des divergences subsistaient, le 6 janvier, le 28 mars, le 19 avril et le 29 mai ?. C’est en 354 que le pape Liberus instaura la nativité le 25 décembre. L’église a vu en choisissant cette date un moyen de récupérer les fêtes païennes qui célébraient ce même jour le solstice d’hiver .
Noë l, c’est encore le moment où les enfants mais aussi les adultes, reçoivent des cadeaux. Dès l’Antiquité, l’habitude voulait que l’on s’offre des cadeaux au moment du solstice d’hiver. Ces présents étaient dénommés « strenae », d’où provient le mot français « étrennes ».
La nuit des masques
Chacune des fêtes païennes donnait lieu à des rituels magico-religieux destinés à attirer la bienveillance des ancêtres. Les mascarades sont sans doute l’un des rites les plus anciens de la culture européenne : à la nuit tombée, des cortèges de jeunes hommes habillés en peaux de bête et le visage recouvert d’un masque de forme humaine ou animale, se rendaient de maison en maison, de ferme en ferme, réclamer de quoi boire et de quoi manger. Les porteurs de masques incarnaient les esprits des ancêtres, imitant leur cohorte nocturne à travers les villages, chantant, dansant et quêtant des offrandes en échange de bons présages pour les saisons à venir.
Parmi les masques, certains personnages étaient récurrents comme « le vieux » qui incarnait l’esprit du patriarche, l’ancêtre du vieux chaman qui connaissait tout et savait tout. Il se plaçait souvent en tête du cortège et simulait le sacrifice d’un bouc en souvenir du rôle que celui-ci occupait dans le monde des vivants.
Cette forme archaïque de mascarade a existé en Europe centrale et orientale jusqu’à la moitié du XXe siècle. En Angleterre, on signalait au XVIIe siècle, des mascarades connues sous le nom de « mumming » et menées par un personnage appelé « Noë l ». Comme en Europe orientale, il était très vieux, portait une longue barbe et allait de maison en maison accompagné d’autres personnages masqués pour réclamer à boire et à manger. En France, au XIIIe et au XVIIe siècle, plusieurs textes parlent également de ce mystérieux personnage nommé « Noë l » qui quêtait jadis de porte en porte à cette période de l’année.
Le Père Noë l, tel qu’on le connaît aujourd’hui est un personnage fabriqué dans les années 1920-25 à partir de plusieurs saints et de quelques personnages imaginaires : saint Martin qui distribuait en Catalogne des fruits secs aux enfants sages et des crottes d’ânes aux paresseux ; sainte Catherine qui laissait des petits cadeaux sur le bord des fenêtres ; saint Nicolas aidé de Sainte Barbe qui distribuait des bonbons aux gentils bambins tandis que dans un autre panier des verges étaient données aux méchants petits. D’autres, tels que le Père Janvier ou le Bonhomme du Jour de l’An, ou même le Père Chalande en Savoie, sont aussi les ancêtres du Père Noë l.
C’est en Amérique, que le Père Noë l/Santa Claus a pris une dimension planétaire. Il n’habite plus dans une forêt profonde d’Europe centrale mais au pôle nord, en compagnie de sa cour de nains dans un immense palais digne du Tsar de Russie tandis que son traîneau est désormais tiré par des rennes, animal emblématique au pays des glaces. A partir de 1862, l’illustrateur Thomas Nast produit une série d’illustrations diffusées dans le monde qui donneront une image concrète et définitive du Père Noë l, reprenant les attributs du vieil homme de Noë l des traditions antiques de son pays d’origine : l’Allemagne.
Après la seconde guerre mondiale, avec le développement de la société de consommation, le personnage mythique des anciennes traditions européennes conquiert le monde entier distribuant aux enfants de la planète les cadeaux dont ils rêvent, au pied de la cheminée ou au pied du sapin.
Mon beau sapin
roi des forêts ...
Le sapin est le rappel de la fête païenne qui célébrait le solstice d’hiver : nos ancêtres mettaient alors un arbre dans leurs maisons. Les arbres qui défient l’hiver en gardant leur feuillage, tels que les conifères, retenaient leur attention. Ils représentaient tout ce qui ne meurt pas.
On attribue aux Alsaciens et aux Allemands la tradition de l’arbre décoré à Noë l. dés le 16e siècle, on sait que des pommes décoraient les arbres en symbole de l’Arbre de vie. La pratique du sapin décoré s’est solidement répandue dès les 15e-16e siècles à travers l’Alsace, à tel point que des gardes forestiers durent faire des rondes supplémentaires pour empêcher les abus.
De nombreux dictons populaires accompagnent Noë l :
Si le jour de Noë l se trouve être un dimanche,
Les ennuis de l’hiver viendront en avalanche
A Noë l les moucherons,
A Pâques les glaçons.
Noë l au balcon
Pâques au tison
Noë l gelé
Moissons grainées.
A Noë l froid dur
Annonce épis les plus sûrs.
La prostitution des enfants
Pourquoi faut-il qu’en ces temps de fête on (re)découvre ce fléau de notre époque, la prostitution des enfants ? Le 17 décembre 2001 s’est ouvert à Yokohama, au Japon, le deuxième congrès mondial qui s’est donné pour but de lutter contre la prostitution et le trafic de mineurs. Chaque année, deux à trois millions d’enfants sont les victimes silencieuses, et souvent ignorées, du commerce du sexe.
Du quartier chaud de Patpong à Bangkok (Thaïlande) à celui de Tuol Kork à Phnom Penh (Cambodge) en passant par Ermita, dans la capitale philippine, ou ceux moins connus des villes du sud de la Chine, l’Asie orientale a une image tristement célèbre en matière d’exploitation sexuelle des enfants.
La Thaïlande par exemple subit particulièrement les ravages de la prostitution juvénile. Dans « Le Monde » une jeune fille de 18 ans raconte son effroyable et exemplaire histoire :
née à l’extrême nord du pays, dans un village Akha, Wan a vécu l’enfance très rude mais « normale » d’une petite paysanne passant plus de temps aux champs qu’Ã l’école. Elle avait dix ans lorsque son père est mort. Sa vie a basculé. Sa mère s’est remariée et son beau-père a abusé d’elle.
« J’ai aussitôt décidé de partir et, comme l’aîné de mes deux frères était à Bangkok, ma mère a accepté de me laisser descendre à la ville. Avec une amie, j’ai trouvé un emploi de serveuse dans une petite échoppe. Mais un an plus tard, mon amie m’a poussée à la suivre dans un bar karaoké de Silom road où nous devions avoir un meilleur salaire » dit-elle. L’établissement en question, dont le propriétaire est un policier (en Thaïlande, la police et l’armée sont souvent complices, voire actrices, du « sex business »), est en réalité un bordel . Très vite, Wan, qui n’a que onze ans et demi, est livrée à un premier client. L’épreuve est si traumatisante qu’elle tente de se suicider. Mais même cela lui est interdit.
« Je dormais sur une banquette, dans le bar, et ne pouvais pas le quitter, sauf pour quelques sorties encadrées », poursuit Wan. « Comme je parlais très mal le thaï et que je n’avais pas de papiers d’identité [les peuples des montagnes ont énormément de difficultés à obtenir la nationalité thaïe], le patron menaçait de me faire expulser ou, pire, de faire tuer ma mère. Et quand j’essayais de résister, la »mamasan« [maquerelle] me frappait » Contrainte de se soumettre aux exigences les plus perverses des « consommateurs », le plus souvent européens, la préadolescente va ainsi s’enfoncer chaque jour un peu plus dans l’enfer. Wan, qui ne perçoit pas d’argent, apprend qu’elle a, de surcroît, une « dette » de plusieurs milliers de baths.
Ces sept années de malheur absolu ont pris fin en décembre 2000, lorsqu’une organisation non gouvernementale (ONG), créée par une néo-Zélandaise et spécialisée dans l’aide aux victimes de la prostitution enfantine, a réussi à l’exfiltrer du bordel. « Je suis libre depuis un an mais je n’arrive pas encore à y croire », confie Wan dont les nuits sont encore peuplées de cauchemars.
Sur quelques rues de la capitale de la Thaïlande, devenue en vingt ans un cauchemar urbain saturé de béton, de voitures et de pollution, les usines du sexe tournent à plein régime. Derrière ces vitrines du « sex business » développé pour les GI’s de la Corée puis du Vietnam, les tragédies humaines se jouent à huis-clos.Dans les rues plus sombres autour des bars gays, les pédophiles prennent un minimum de précautions pour embarquer vers leur quatre-étoiles des gamins-pantins affamés qui camouflent leur racolage sous le colportage de fleurs ou de bimbeloteries. Le plus souvent les poursuites pour « traite des enfants » n’aboutissent pas. Des réseaux d’entraide pédophiles réunissent le montant des frais d’avocat et des cautions, assez dérisoires, et les respectables dévoreurs d’innocence s’envolent vers l’Europe avec un passeport refait dans l’urgence. La « tolérance » se perpétue. (1)
Esclavage
Les 122 gouvernements réunis à Stockholm il y a cinq ans avaient solennellement affirmé que l’exploitation sexuelle des enfants « équivaut à un travail forcé et à une forme contemporaine de l’esclavage », et s’étaient engagés à œuvrer dans quatre directions : coopération internationale, prévention, protection, réinsertion des victimes. Selon le rapport effectué pour la conférence de Yokohama, « beaucoup a été fait depuis 1996 », mais de nouveaux enjeux sont apparus depuis.
« Nous sommes frappés par le rajeunissement des victimes, du fait de la crainte du sida qu’éprouvent les agresseurs et nous notons le fort développement d’une nouvelle criminalité véhiculée par Internet », résume Jacques Hintzy, président du comité français pour l’Unicef.
La pauvreté, les pratiques traditionnelles, les dysfonctionnements familiaux, les drogues, les conflits, les pressions consuméristes, les idées fausses sur la sexualité et la santé, la demande accrue et les intérêts financiers, dit l’association Ecpat, font que « aucun pays ne peut se vanter de ne pas connaître l’exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales et aucun enfant, de n’importe quelle société, n’est parfaitement protégé »
(1)(extraits d’un articles de Robert Belleret,
Le Monde du 19 décembre 2001)