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Ecrit le 19 mars 2002
Le Bilb’OK à Erbray
« Pour moi un week-end réussi, c’est un week-end où il n’y a pas eu d’incident ou d’accident localement ou dans la région ». C’est Patrice ETIENNE, gérant de la discothèque Le Bilb’OK à Erbray, qui parle.
45 ans, ancien salarié des Fours à Chaux d’Erbray (dans les derniers temps de leur activité), ancien employé de banque (lassé des écritures comptables), il s’est lancé à 26 ans dans l’organisation de soirées pour les jeunes. C’était en 1983, « il n’y avait pas, à l’époque, de lieux de rencontre pour les jeunes. Il n’y en a pas beaucoup plus maintenant d’ailleurs. Ces années-là , donc, nous nous réunissions dans un corps de ferme à Erbray, pour passer une soirée ensemble, ce qui n’était pas bien vu, ni par la mairie d’Erbray, ni par les gendarmes qui ont fait pression sur le locataire des lieux, lui faisant entrevoir tous les risques qu’il encourrait en cas de pépin ».
C’est alors qu’avec un autre jeune, Patrice ETIENNE a acheté un chapiteau d’occasion qu’il fallait installer sur un lieu ou l’autre de la commune. « La loi, à l’époque, imposait de changer de lieu tous les trois mois. La mairie a réduit ce délai à 6 semaines. C’est ainsi que, tous les mois et demi, nous démontions et remontions le chapiteau. Location d’un semi-remorque, une semaine de boulot, nous y engloutissions tout notre bénéfice ! ». Cela a duré 3 ans et puis il s’est présenté une opportunité, un « délaissé de remembrement » de 13 000 m2 dont aucun agriculteur ne voulait. Patrice ETIENNE et son camarade l’ont acheté et ont construit une salle conforme aux normes de sécurité, en parpaings, qui a été mise en service en février 1990 ... juste au moment où une tempête emportait le vieux chapiteau !
Ainsi est né le Bilb’OK que les deux associés ont géré ensemble jusqu’en 1997. « Depuis cette année-là , je suis tout seul. C’est un travail intéressant mais stressant, lié à une surveillance attentive, à un risque permanent. Il est indispensable d’y consacrer tous les week-end et de ne pas prendre plus de 5 jours de vacances d’affilée : le Bilb’Ok est ouvert tous les samedis soirs et les jeunes l’attendent »
Dans le courant de la semaine, il y a tout un travail d’entretien à faire : le ménage courant, la vérification des éclairages et des systèmes de sécurité, le contrôle du groupe électrogène, l’entretien des grillages qui entourent l’établissement, les approvisionnements en boissons et sandwiches etc. Tous les ans il faut passer la tête de loup au plafond pour ôter les toiles d’araignées, nettoyer à fond les banquettes et moquettes, revitrifier le parquet, et faire qu’au samedi soir tout soit prêt.
L’alcool
Samedi soir 22h30, les portes du Bilb’OK s’ouvrent. Un surveillant sur le parking, avec un talkie-walkie, prévient de l’arrivée éventuelle d’un véhicule dangereux (vitesse-excessive, rodéo) ou de consommation d’alcool sur le parking.
Patrice ETIENNE est là aux entrées, poste stratégique, poste de responsabilité, pour voir qui entre et dans quel état. « Souvent les clients arrivent entre 1h30 et 4 h du matin. Avec plusieurs centaines de clients par soirée, nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir 4 ou 5 % de gens »échauffés« sinon cela pourrait dégénérer . Nous ne pouvons pas non plus accepter des gens en état apparent d’ébriété, la loi nous l’interdit ».
Le seau d’eau
Mais comment faire pour maîtriser cette situation lorsqu’elle se présente ? « Il nous faut discuter, beaucoup. Faire comprendre à certaines personnes, rares heureusement, que nous ne pouvons pas les laisser rentrer ». Quelquefois c’est « chaud » mais au Bilb’OK il n’y a pas de videur, juste un seau d’eau. Le « client » un peu énervé est prévenu : « Si vous continuez, on vous balance un seau d’eau ». Le seau d’eau est là , bien visible. La plupart du temps le client se calme. Et s’il faut lancer ce seau d’eau cela se passe finalement de façon « bon enfant ». Le client lui-même en rit la plupart du temps, et il s’en va. « C’est d’ailleurs pour moi un cas de conscience, dit Patrice ETIENNE, je ne peux pas le laisser entrer en état d’ébriété, mais si je le renvoie, il risque de provoquer un accident sur la route »
« Alors j’ai souvent un autre moyen, je le laisse entrer quand il me confie ses clefs de voiture et s’engage à ne pas boire d’alcool », et le client est invité à aller se restaurer à la friterie extérieure à l’établissement, ce qui aide à dégriser.
La violence
Au Bilb’OK, heureusement, il n’y a pas de problème de violence ; « En août dernier, cependant, un groupe de jeunes a voulu chercher la bagarre, mais nous avons pu nous interposer à temps ». Cette absence de violence fait que cette discothèque est fréquentée par des jeunes venus de loin : Nantes, Laval, Rennes, Angers, St Nazaire « et même de Cholet où les jeunes s’organisent pour venir en car. Dans ce cas je leur fais 50 % de réduction ».
Rock des années 80, reggae, salsa, Bernard Lavilliers, Jacques Higelin, Soldat Louis, les Tri Yann, Rue de la Gouaille, « du bon hard » et de la musique des pays celtes, des grands classiques et des petits groupes modernes : la clientèle du Bilb’OK sait ce qu’elle veut. La moitié des clients danse, l’autre moitié occupe les banquettes ou le bar où il y a autant de boissons non alcoolisées (Ã un prix très abordable, 2 € ) que de boissons alcoolisées.
La consommation d’alcool est très surveillée au Bilb’OK. D’abord c’est conforme à la loi, ensuite cela résulte d’un choix du gérant. « Contrairement à d’autres discothèques, il y a de l’eau froide dans les toilettes pour les clients qui veulent se désaltérer sans payer une consommation. Et puis nous refusons le marchandage qui se pratique ailleurs, du type entrée gratuite sous prétexte de consommation de boissons à l’intérieur : tu nous laisses entrer tous les cinq, gratos et nous achetons une bouteille ». Une entrée c’est 6 €, une bouteille de whisky cela peut faire 75 €, les jeunes qui proposent ce marchandage viennent là uniquement pour boire. Et c’est justement ce que refuse Patrice ETIENNE. « Si je le faisais, j’y gagnerais financièrement. Mais ce n’est pas mon but premier ».
De même, la piste de danse au Bilb’OK est d’une bonne dimension, 200 m2 environ : « cela permet effectivement aux jeunes de danser, sinon ils sont obligés d’attendre leur tour sur une banquette, avec le risque qu’ils consomment trop. Ce que je ne souhaite pas ». Pour Patrice ETIENNE cette piste de danse a un autre avantage : « Elle laisse de la place à nos clients en fauteuil roulant qui peuvent eux aussi aller danser, sans se sentir gênés et sans gêner les autres. De ce fait, ils sont très bien acceptés ». Ce souci des autres conduit Patrice ETIENNe à ouvrir son établissement, en semaine, à la demande de handicapés de Centres d’Aide par le Travail qui souhaitent passer une soirée « dans une boite de nuit », ou à des établissements scolaires qui organisent « une boum » sans alcool, ou à des associations par exemple pour un tonus « SOS-Amitié Sida ».
La drogue
La drogue est aussi interdite de séjour au Bilb’OK. « Quand un jeune fume un joint, cela se sent, cela se voit à la forme des cigarettes. Nous avons trois salariés qui parcourent la discothèque à longueur de soirée, pour parler aux jeunes, pour assurer leur sécurité, pour veiller aussi à ce qu’ils ne fument pas »un joint". Les toilettes
même sont surveillées et nous intervenons pour expliquer que c’est interdit, que cela peut conduire à la fermeture de l’établissement. Souvent le jeune comprend et arrête. Malheureusement, nous ne pouvons pas savoir s’il a fumé du shit avant de venir ... ".
Patrice ETIENNE est manifestement inquiet de la progression de la drogue dans notre région, en France et dans le monde. Pour lui, 70 % des jeunes ont touché à la drogue et 50 % au moins fument régulièrement du shit. « En revanche je n’ai jamais trouvé une seule seringue depuis 19 ans » dit-il. Pour lui la drogue est un problème de société. L’action qu’il peut avoir ponctuellement ne résoudra rien, ce n’est pas le consommateur qu’il faut arrêter mais les dealers. « Il faudrait aussi que les parents aient moins de naïveté. Quand je prends un jeune en train de fumer du shit, je lui demande son nom et son numéro de téléphone. Sinon c’est la porte. Alors il obtempère. Quand je le prends en situation de récidive, il m’arrive de prévenir les parents : le plus étonnant c’est que je me fais jeter. Les parents ne me croient pas. Ce n’est pas en faisant l’autruche qu’ils résoudront le problème ».
« Quand j’interviens ainsi sur la drogue, 90 % des jeunes me disent que je ne suis plus dans le coup. Mais tant pis, je maintiens » (1)
sécurité
Alcool, violence, drogue : le Bilb’OK passe à côté des maux de notre époque. Mais cela demande un gros investissement humain. « La musique cesse à 5 h du matin, explique Patrice ETIENNE, la friterie reste ouverte jusqu’Ã 6h30, les clients peuvent rester tant qu’ils veulent, il est parfois huit heures du matin. Mais moi, à partir de 4h45, qu’il neige ou qu’il gèle, je suis à la grille de sortie avec ma lampe torche, j’arrête chaque voiture, je leur demande si ça va bien. Cela n’a l’air de rien mais cela incite à laisser le volant à celui qui n’a pas bu. Quand il manque un phare à un véhicule, un salarié de l’équipe aide à remplacer l’ampoule, quand une mobylette n’a pas de feu arrière je fais attendre un peu la voiture qui suit, pour qu’il n’y ait pas de risque de collision. Je ne laisse pas partir des gens à pieds, je trouve une voiture pour les emmener et si ce sont des filles je les fait ramener par des filles ». Patrice ETIENNE régule même le départ des voitures pour fluidifier la circulation.
Il reste ainsi sur le parking jusqu’au départ de la dernière voiture. Enfin, pas tout-Ã -fait : « s’il s’agit d’un conducteur à qui j’ai confisqué ses clefs, je le fais raccompagner et je vais lui porter ses clefs le lendemain. ».
On n’imagine pas, quand on pense à une discothèque, que certains gérants puissent prendre de telles mesures de sécurité. « Ce qui m’intéresse ce n’est pas d’abord de faire du fric, c’est de donner aux gens un lieu pour qu’ils puissent s’amuser et se rencontrer ». Il n’y a d’ailleurs pas que des jeunes au Bilb’OK. La moyenne va de 18 à 45 ans.
Un lieu pour parler
Une discothèque, ce n’est pas toujours un lieu pour draguer et pour picoler, « J’ai voulu qu’ici ce soit un lieu pour faire la fête et pour parler » (même si la musique est parfois trop forte).
Parler ? oui, c’est étonnant, mais c’est vrai. « Je vois des jeunes qui pètent les plombs, pour une amourette, ou parce que les parents ont des exigences que les jeunes ne comprennent pas, ou parce que le couple parental se déchire et que le jeune ne le supporte pas ». Il faut alors beaucoup de vigilance et d’attention à l’équipe de salariés du Bilb’OK pour comprendre qu’un jeune s’en va brutalement parce qu’il n’a pas le moral, parce qu’il n’en peut plus. « Cela se voit sur sa tête, alors j’interviens, j’essaie de parler, de le faire parler. Je fais appeler un de ses copains par le disc-jockey. On ne peut pas laisser un jeune partir comme ça sur un coup de tête, en situation de danger ». C’est là qu’on voit la qualité de l’équipe de salariés qui travaillent au Bilb’OK. Quand l’un d’entre eux est en train de discuter avec un jeune pour le rattraper au bord du précipice, un autre prend sa place pour assurer le service, le contrôle des entrées, la sécurité. Une équipe comme ça, c’est formidable : « d’ailleurs aucun salarié n’est parti d’ici pour mésentente, depuis sa création, en 1983 » dit Patrice ETIENNE.
« Et puis, il n’y a pas que les jeunes qui ont besoin de parler, il y a aussi des adultes, souvent en situation de divorce, qui viennent là , seuls, pour se défouler par n’importe quel moyen. Ceux-là ont la tentation de l’alcool. C’est à nous de les deviner, de chercher à communiquer »
La route
Au Bilb’OK il y a 30 % d’habitués, qui viennent là tous les samedis soirs. Les autres sont des occasionnels. Les adultes sont plutôt de la proche région. Les jeunes viennent d’assez loin, 90 km à la ronde, dans ce coin perdu de campagne entre Erbray, Louisfert et Le Grand Auverné, simplement sur une réputation, un entendu-dire . « je ne fais pas de racolage, pas de soirée sur le thème de l’alcool, soirée bière X, soirée whisky Y, pas d’entrées gratuites distribuées dans les bars ». Et le bouche-à -oreille fonctionne : le Bilb’OK est un lieu propre.
Une chose tracasse encore Patrice ETIENNE : la violence routière. « Nous en sommes collectivement responsables. La vitesse est limitée sur nos routes, à juste titre, mais on vante et on vend encore des voitures qui montent rapidement à 200 km/h. Les parents qui aident un jeune à acheter une telle voiture, le banquier qui accorde le prêt, l’assureur qui accepte d’assurer, la publicité qui donne une image de toute puissance et de jouissance ... Et la mort au bout ! S’il y a plus de jeunes à avoir des accidents le week-end, c’est parce qu’ils sortent le week-end, (et pas forcément en discothèque). Mais les statistiques de la prévention routière démontrent que c’est entre 17 et 19 h qu’il y a le plus de mortalité chez les jeunes, en deux roues principalement, et sur le trajet de l’école ».
Mais il y a encore plus grave : « la presse fait des gros titres sur la mort des jeunes sur la route. Mais il y a davantage de jeunes qui meurent par suicide. Qui s’en préoccupe ? Qui se soucie du mal-être de la jeunesse ? ». C’est cela aussi qui préoccupe un bon gérant de discothèque.
Une discothèque peut-être à la fois un lieu de distraction et de vie, au plein sens du terme.
Recueilli par B.Poiraud
(1) Note de la Rédaction : dans un tout autre domaine, c’est un jeune Turc de Châteaubriant qui nous a fait une réflexion analogue : « quand je vois un plus jeune qui fait des conneries, j’interviens auprès de lui. Il me répond : de quoi tu te mêles, tu n’es pas mon père. Et quand j’en parle au père, je me fais jeter : le père ne croit pas que son fils puisse agir ainsi. Il faudrait que les gendarmes eux-mêmes disent quelque chose au père. Mais ils ne le font pas ». démission collective