Ecrit le 16 août 2021
Qui ne connaît le corbeau, le renard, la cigogne, la cigale, la fourmi, le lièvre, la tortue, l’ours, le loup, le mouton, le singe, le rat et tant d’autres « personnages », tous mis en scène avec humour de 1668 à 1679 par Jean La Fontaine, âgé alors de 47 ans, (il est né le 8 juillet 1621) dans ses douze livres de Fables, véritables « bijoux » indémodables de la littérature française ?
Des animaux pour parler aux hommes
« Je me sers d’animaux pour instruire les hommes », déclarait La Fontaine. Rappelons que le premier livre de ses fables a été écrit pour le dauphin, Louis de France, fils du Roi Soleil alors âgé de 7 ans et que la leçon de morale qu’elles contiennent critique la société courtisane qui vit à Versailles et parfois, indirectement, le roi lui-même.
Messire Loup
Tous les animaux mis en scène de façon théâtrale sont anthropomorphes : ils parlent, chantent, dansent, rient, pleurent, aiment.
Le poète leur prête des caractères humains : ainsi, le lion est orgueilleux, le renard, rusé, l’âne, résigné, le lapin, insouciant, le loup, féroce et le pigeon, amoureux. Il leur attribue aussi des titres : capitaine Renard , sultan léopard, le roi Lion. En analysant leurs paroles et leur comportement, on comprend vite que le lion représente la puissance royale et le mouton, la faiblesse des pauvres devant la tyrannie.
La Fontaine a aussi écrit des fables qui ne mettent pas en scène des animaux comme dans Le chêne et le roseau, Le gland et la citrouille et bon nombre d’entre elles font intervenir de véritables êtres humains :
La laitière et le pot au lait,
Les deux amis,
Le laboureur et ses enfants,
Le savetier et le financier et bien d’autres.
Le poète se plaît à dénoncer chez les femmes la coquetterie, le bavardage, l’esprit de contradiction, à montrer les agissements d’enfants malfaisants et sans pitié et ceux de vieillards attachés à la vie de façon absurde. Selon Giraudoux, « Il est le seul auteur du XVIIe siècle à ne pas avoir fait abstraction de la misère, de la réalité quotidienne du peuple ». Il se met en effet délibérément du côté des humbles, des victimes, contre les puissants. Pensons à l’âne des Animaux malades de la peste, condamné à mort par les autres animaux parce qu’il confesse devant le jury qui cherche le coupable de l’épidémie de peste qui sévissait alors, qu’il a un jour, poussé par la faim, brouté l’herbe du pré d’un monastère de la largeur de sa langue ! La fable se termine par la célèbre chute : Selon que vous serez puissant ou misérable
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
De nombreuses fables se déroulent dans un décor champêtre où l’eau est nommée onde par La Fontaine : l’agneau se désaltère « dans le courant d’une onde pure » ; le héron côtoie une rivière où « L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours ».
De l’ensemble des fables on peut dégager, plus qu’une « morale », une leçon de sagesse, un art de vivre qui ont une portée intemporelle, universelle : la « morale » de La Fontaine, qui est non un moralisateur mais un moraliste, est inspirée par la religion chrétienne et se rapproche également de l’épicurisme, école de pensée fondée en Grèce par Epicure au IVe siècle avant notre ère, qui, loin de faire l’apologie de l’hédonisme, du plaisir, comme on l’y réduit trop souvent, s’attache à la recherche de l’ataraxie, c’est-Ã -dire l’absence de troubles, qui est source du bien et de la vertu.
Nombre de ses fables sont à l’origine de certains de nos proverbes :
– Tel est pris qui croyait prendre (Le rat et l’huître, livre VIII, 9),
– On a toujours besoin d’un plus petit que soi
(Le lion et le rat, livre II, 11),
– Rien ne sert de courir, il faut partir à point
(Le lièvre et la tortue, livre VI, 10),
– Ventre affamé n’a point d’oreille
(Le milan et le rossignol, livre IX,18),
– La raison du plus fort est toujours la meilleure
(Le loup et l’agneau, livre I, 10).
La Fontaine s’est largement inspiré des fabliaux du Moyen Âge et des fables de l’antiquité gréco-romaine, telles celles d’ Esope ( fin VIIe siècle avant J.-C. - début du VIe siècle avant J.-C.) fabuliste grec qui écrivait en prose ou celles du poète latin Phèdre (14 avant J.-C : 50 après J.-C.) qui est l’auteur de plus de 120 fables en vers. Phèdre avait lui-même emprunté à Esope plusieurs thèmes, en particulier celui des Grenouilles qui demandent un roi et celui du Loup et l’agneau, que La Fontaine a repris dans son premier recueil de fables. La Fontaine s’est aussi inspiré d’Horace, poète latin du 1er siècle après J.-C., dans la fable Le rat des villes et le rat des champs. (livre I, 9).
Le poète s’amuse
d’un genre considéré au départ comme mineur, La Fontaine a fait de la fable un monument du langage qui s’adresse à tous. Dès la IIIe République et jusqu’aux années 60, il a été reconnu comme l’écrivain le plus « populaire » dans tous les sens du terme ; il était alors le poète le plus étudié en particulier à l’école primaire.
Il prend toujours plaisir à intervenir avec humour au cours du récit de ses fables et mêle les tons en maniant le burlesque ; par exemple, il se souvient de sa culture classique et fleurit le récit le plus simple d’images savantes : le charretier qui s’embourbe devient, tel le dieu qui conduit le char du soleil, « le Phaéton d’une voiture à foin » ; il fait allusion à la guerre de Troie dans La Tortue et les deux canards en commentant les paroles qu’il prête à l’un des canards :
« Ulysse en fit autant », on ne s’attendait guère
De voir Ulysse en cette affaire " .
Il lui arrive aussi de commencer la fable par une réflexion piquante, avant même que le sujet ne soit exposé, ainsi dans La femme noyée ( livre III, 16) :
Je ne suis pas de ceux qui disent : " Ce n’est rien,
c’est une femme qui se noie ".
Souvent, il s’amuse avec l’équivoque établie par la fable entre l’homme et l’animal : ainsi, par exemple, l’expression « foi d’animal » dans La Cigale et la fourmi est une transposition malicieuse de l’expression « foi de gentilhomme ».
La fable de La Fontaine la plus courte a pour titre Le renard et les raisins. Parue en 1668, elle s’inspire d’un texte d’Esope, repris en latin par Phèdre puis par un humaniste de la Renaissance, Faë rne ; elle est la 11e fable du livre III :
Certain renard gascon, d’autres disent normand,
mourant presque de faim, vit en haut d’une treille
des raisins mûrs apparemment,
et couverts d’une peau vermeille.
Le galant en eût fait volontiers un repas ;
mais comme il n’y pouvait atteindre :
– Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour les goujats.
Fit-il pas mieux que de se plaindre ?
Avant de composer ses fables, La Fontaine avait écrit à partir de 1665 des contes licencieux, dédiés à la duchesse de Bouillon et publiés sous le titre de Contes et nouvelles en vers : ce sont des récits « galants » imités du Roland furieux de l’arioste (1474-1533) et du Decameron de Boccace (1313-1375) qui mettent en scène les ruses victorieuses de l’amour. En voici quelques titres : Le cocu battu et content, Le mari confesseur, Le calendrier des vieillards. Ils sont animés par une bonne humeur constante. Sans trop se soucier de l’histoire proprement dite, La Fontaine s’attarde aux prologues, aux digressions, et intervient sans cesse pour placer une réflexion personnelle narquoise. De nombreux archaïsmes révèlent son goût pour « les grâces du vieux langage ». Enfin, la versification en est originale : le poète associe des mètres différents, qu’il trouve plus naturels et plus adaptés au genre léger.
La Fontaine a connu ses premiers succès littéraires grâce à ces contes « gaillards », licencieux, souvent grivois, qui l’inscrivent dans une vieille tradition littéraire et dont le défi poétique consiste à jouer de l’implicite pour ne pas nommer la sexualité. Mais ils ont vite été mis dans l’ombre par la crispation religieuse de la fin du règne de Louis XIV et la pudibonderie du XIXe siècle. Leur publication a retardé son entrée à l’académie française qui n’a eu lieu qu’en mai 1684, et où il succéda à Colbert, son ennemi de toujours. Lors de sa réception dans l’illustre Maison, il lut un Discours à madame de La Sablière, sa protectrice au même titre que Fouquet, le surintendant des finances de Louis XIV, de qui il avait obtenu une pension - évidemment suspendue au moment de son arrestation par d’Artagnan sur ordre du Roi. Il a été l’ami de Molière, Racine, Charles Perrault ainsi que le protégé du Prince de Conti et de la duchesse d’Orléans après la disgrâce de Fouquet.
A la fin de sa vie, il se préoccupa de son salut , renia ses Contes et prit l’engagement de n’écrire que des livres pieux. Il est mort à Paris en 1695 et a été inhumé au cimetière des Saints-Innocents. Un mausolée lui a ensuite été élevé au Père Lachaise.
Il avait composé lui-même son épitaphe :
" Jean s’en alla comme il était venu
Mangeant son fonds après son revenu
Croyant le bien chose peu nécessaire.
Quant à son temps, bien sut le dispenser,
Deux parts en fit dont il soulait passer
L’une à dormir et l’autre à ne rien faire " .
Elisabeth Catala
Comment l’esprit vient aux filles ...
Il est un jeu divertissant sur tous,
Jeu dont l’ardeur souvent se renouvelle :
Ce qui m’en plaît, c’est que tant de cervelle
n’y fait besoin, et ne sert de deux clous.
Or devinez comment ce jeu s’appelle.
Vous y jouez, comme aussi faisons-nous ;
Il divertit et la laide et la belle ;
Soit jour, soit nuit, à toute heure il est doux,
Car on y voit assez clair sans chandelle.
Or devinez comment ce jeu s’appelle.
Le beau du jeu n’est connu de l’époux :
c’est chez l’amant que ce plaisir excelle,
De regardants, pour y juger des coups,
Il n’en faut point ; jamais on n’y querelle.
Or devinez comment ce jeu s’appelle."¯
(et nous vous laissons découvrir la suite ...)
La femme et le secret
Rien ne pèse tant qu’un secret ;
Le porter loin est difficile aux Dames :
Et je sais même sur ce fait
Bon nombre d’hommes qui sont femmes.
Pour éprouver la sienne un Mari s’écria
La nuit étant près d’elle : Ô Dieux ! qu’est-ce cela ?
Je n’en puis plus ; on me déchire ;
Quoi ! j’accouche d’un œuf ! D’un œuf ? Oui, le voilÃ
Frais et nouveau pondu. Gardez bien de le dire :
On m’appellerait Poule. Enfin n’en parlez pas.
La femme neuve sur ce cas, ainsi que sur mainte autre affaire,
Crut la chose, et promit ses grands dieux de se taire.
Mais ce serment s’évanouit avec les ombres de la nuit.
L’Épouse indiscrète et peu fine,
sort du lit quand le jour fut à peine levé :
Et de courir chez sa voisine.
Ma commère, dit-elle, un cas est arrivé :
N’en dites rien surtout, car vous me feriez battre.
Mon mari vient de pondre un œuf gros comme quatre.
Au nom de Dieu gardez-vous bien d’aller publier ce mystère.
(et nous vous laissons découvrir la suite )