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Ecrit le 31 octobre 2018
Le professeur Jean-Louis Touraine est venu à Abbaretz le 11 octobre, à l’invitation du député Yves Daniel qui aime bien provoquer des réunions de réflexion : une bonne façon de faire de la politique !
Jean Louis Touraine est professeur de médecine au département de transplantation et d’immunologie de l’université Claude-Bernard-Lyon-I et praticien hospitalier à temps partiel à l’hôpital Édouard-Herriot de Lyon1. Il est également président de l’association France Transplant depuis 1995 et du Centre d’Étude des déficits immunitaires et leurs relations avec le Cancer (CEDIC). Il fut le premier rapporteur de la mission Bio-éthique.
La Bio-Ethique est l’étude des problèmes éthiques posés par les avancées en matière de biologie et de médecine. Elle vise à définir les limites de l’intervention de la médecine sur le corps humain en garantissant le respect de la dignité de la personne et a pour objectif d’éviter toute forme d’exploitation dérivée de la médecine (trafic d’organes, clonage humain). La prochaine loi bio-éthique sera examinée au Parlement début 2019. Elle s’intéresse à la reproduction, au développement embryonnaire et aux cellules sou-ches, aux dons et transplantations d’organes. Elle s’intéresse aussi à la relation santé-environnement et aux responsabilités scientifiques et techniques de l’homme ; à la procréation (PMA, GPA, etc.) ; et à la fin de vie (question sur la légalisation de l’assistance au suicide, politiques d’accompagnement pour les malades en fin de vie). Et elle se pose des questions : jusqu’où doit-on aller ? Quels sont les choix pour demain ?
« La loi est l’émanation de l’opinion des Français, et celle-ci évolue. Par exemple la question de la PMA (Procréation médicale Assistée) ne se pose que depuis peu de temps » dit JL Touraine, en expliquant que les règles bio-éthiques ne sont pas universelles. « Deux pays, même voisins, n’ont pas forcément les mêmes règles ». « Il n’y a pas de vérité » dit-encore, « il y a des vérités qu’on ne peut pas imposer aux autres ».
Jean-Louis Touraine s’est focalisé ensuite sur les deux bouts de la vie.
Par exemple, la fécondation in vitro : « On peut fabriquer un embryon, le ré-implanter chez une femme, avec des chances de 20 à 50 %, cela peut résoudre le drame d’une infertilité. Mais jusqu’où aller ? Est-ce dans le cas d’une stérilité prouvée ? Est-ce pour des femmes homosexuelles ? La PMA et la GPA sont autorisés dans certains pays étrangers, mais qu’advient-il des enfants ? » la question prioritaire est celle des enfants. Peut-on leur faire porter le poids d’une illégalité ? Tout comme autrefois on jetait l’opprobre sur les enfants de fille-mère ? ".
Que faire des spermatozoïdes congelés d’un homme ? Les utiliser pour donner un enfant à une femme qui a perdu son époux ? « Non, l’enfant n’est pas là pour compenser la perte du mari. Il faut laisser à la femme la possibilité de refaire sa vie avec un autre homme »
Jean-Louis Touraine n’est pas d’accord pour le « droit à l’enfant » « c’est le penser comme un objet, lui ôter son humanité. On a des devoirs envers un enfant. En avoir un est une chance ou un malheur, en aucun cas un droit » dit de son côté la psychanalyste Monique Bydlowski.
La fin de vie ? « En France on meurt mal » dit JL Touraine. Beaucoup de personnes âgées s’ennuient, le sens de leur survie leur échappe. Ce qu’elles veulent c’est vivre, pas survivre. « Il faut entendre la détresse de ceux qui n’ont plus goût à vivre ». « Il faut savoir où doit s’arrêter le traitement. La moitié des malades qui meurent du cancer ont subi une chimio les 15 derniers jours, avec tous les effets secondaires indésirables ». Mais faut-il autoriser l’aide à mourir ? « Il n’y a pas de vérité » redit JL Touraine, « il faut trouver les moyens de donner à chacun la possibilité de faire un choix pour lui-même sans l’imposer aux autres ».
Le débat dans la salle a porté ensuite sur divers points.
La GPA, Gestation Pour Autrui, est souvent refusée pour des raisons idéologiques : ne pas marchandiser le corps d’une femme. « Mais que fait l’armée quand elle envoie des soldats sur le terrain des opérations ? Elle utilise le corps des hommes. Que fait l’industrie des pesticides avec les salariés de ses usines ? Elle utilise le corps des ouvriers à qui elle communique de dangereuses maladies » a dit une personne dans la salle.
JL Touraine a révélé qu’il existe des GPA altruistes (non commerciales), quelqu’un de la famille ou des amis portant l’enfant de la future mère. La GPA, même altruiste, reste un sujet de débat et des philisophes féministes comme Sylviane Agacinski et Elisabeth Badinter ont des positions opposées à ce sujet. « Il y aura peut-être une loi pour préciser la situation légale des enfants issus de la GPA »
Autre question : peut-on conserver des ovocytes ? réponse : « la fécondité maximum d’une femme se situe vers 22-24 ans. Conserver des ovocytes permettrait à une femme d’enfanter plus tard. La loi devra rigoureusement encadrer la conservation des ovocytes » dit JL Touraine..
Travail sur l’embryon ? réponse : « Se priver d’une recherche sur l’embryon c’est se priver de progrès possibles. Les cellules souches peuvent conduire à la guérison des maladies comme DMLA et Parkinson. On peut aussi fabriquer des organes entiers » dit JL Touraine. Signalons en effet qu’en mars 2018, une équipe de chercheurs britanniques et américains a annoncé avoir restauré la vision chez deux personnes atteintes de DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge). Les scientifiques ont utilisé des cellules souches embryonnaires pour créer un tissu rétinien qu’ils ont greffé aux patients. Ils sont passés de l’incapacité à lire même avec des lunettes, à une capacité à lire 60 à 80 mots par minute avec des lunettes de lecture ordinaires.
Les cellules souches, avec leur capacité à proliférer et à se renouveler, et pour certaines à donner naissance à n’importe quelle cellule du corps, promettent des avancées spectaculaires à la médecine régénérative. En pratique, les cellules souches embryonnaires sont prélevées sur des embryons surnuméraires obtenus par fécondation in vitro et qui ont été congelés en prévision d’un projet parental finalement abandonné. Mais religions et cultures s’opposent sur la « valeur » de l’embryon au stade auquel il est détruit.
Et la fin de vie ?
En 2005, la loi Leonetti sur la fin de vie interdisait l’obstination déraisonnable et évitait de légiférer sur l’euthanasie. Plusieurs affaires ont néanmoins montré les carences de ce texte.
Après dix ans, la loi Claeys-Leonetti a mis en place la possibilité d’une « sédation profonde et continue » pour un patient atteint d’une maladie incurable et qui souffre. Mais, concrètement, depuis cette loi, ce type de sédation est moins pratiqué qu’avant et, de toutes façons, ne répond pas à la demande formulée par les patients. Et JL Touraine signale le livre « médecin et catholique, je pratique l’euthanasie »
c’est un livre-témoignage, le récit d’un cheminement intellectuel et personnel, du rejet de l’euthanasie à son acceptation. « Ce n’est pas un plaidoyer pour l’euthanasie, insiste d’emblée l’auteure Corinne Van Oost. Le titre aurait pu être »‰ : Le risque de l’euthanasie. L’euthanasie est toujours un échec et aucun médecin ne peut la pratiquer facilement « , défend-elle. » Mais quand on a tout tenté, sans être capable de soulager, que doit-on faire« ‰ ? Abandonner l’autre à sa souffrance »‰ ? Ce n’est pas ma conviction de chrétienne. " Cette réflexion, l’auteure la tire de presque trente ans d’expérience en soins palliatifs. Elle l’illustre, dans son livre, de dizaines de récits de fins de vie.
Ed. Presses de la Renaissance : 229 p.