Ecrit le 11 septembre 2019
Un cumul de difficultés socio-économiques et de mal-être.
En 2015, il y avait 1 800 000 personnes de 16 ans ou plus, isolées de leur famille et de leur entourage non familial, au sens où elles ont au plus une rencontre physique ou un contact distant par mois avec leur réseau relationnel en dehors de leur ménage.
Ces personnes isolées sont plus souvent des hommes, elles sont âgées de plus de 40 ans ; peu diplômées et plus souvent inactives. L’isolement relationnel est associé à une vulnérabilité économique accrue en matière de ressources ou de précarité de l’emploi, à une santé dégradée et à un moindre niveau de bien-être. En cas de difficultés, les personnes isolées ont également 30 % de chances en moins d’obtenir de l’aide que les personnes non isolées.
Solitude et isolement ne vont pas nécessairement de pair : 8% des individus se sentent seuls « tout le temps » ou « la plupart du temps », alors que 62 % d’entre eux ne sont isolés ni de leur famille, ni de leurs amis.
C’est le résultat d’une étude de François Gleizes, Sébastien Grobon, Stéphane Legleye (Insee)
Avoir des relations sociales fréquentes est associé à des conditions de vie plus favorables, à une sécurité accrue en cas de difficultés et, globalement, à la santé et au bien-être. Ces relations peuvent être aussi bien des rencontres physiques que des contacts distants (courrier ou courriel, téléphone, vidéos, réseaux sociaux). Elles peuvent concerner la famille ou l’entourage (amis, voisins, collègues de travail), mais on ne considère dans cette étude que les contacts et les rencontres avec des personnes hors du ménage : ainsi, un couple peut être isolé alors que les deux conjoints se côtoient au quotidien.
Entre 2006 et 2015, la fréquence des rencontres avec la famille est stable (70 % des personnes disent rencontrer des membres de leur famille au moins une fois par mois), tandis que celle avec l’entourage progresse légèrement (75 % déclaraient rencontrer leur entourage au moins une fois par mois en 2015, contre 72 % en 2006). En revanche, les contacts distants progressent nettement, en particulier avec l’entourage : la part de contacts mensuels avec la famille est passée de 82 % à 86 % entre 2006 et 2015, celle des contacts mensuels avec les amis de 69 % à 79 %. L’essor des moyens numériques de communication au cours des années 2000 a pu contribuer à cette augmentation.
L’isolement, au sens d’un faible nombre de relations peut conduire à une disqualification sociale, ou nourrir un sentiment d’ « invisibilité sociale » ; c’est pourquoi il constitue un réel enjeu pour les politiques publiques [a dit le Cese, conseil économique et social en 2017].
Pauvreté monétaire Privation matérielle
Globalement, le lien observé entre difficultés socioéconomiques et isolement, notamment vis-à-vis de l’entourage, illustre l’idée d’une hiérarchie culturelle de la sociabilité, selon laquelle le nombre de contacts et le réseau social, en dehors des liens de parenté proche, croissent avec le statut social.
Il peut aussi s’interpréter comme un cumul de handicaps lié à la fragilité que provoque un défaut d’intégration sociale par le travail, et l’absence des ressources nécessaires à la participation à une vie sociale. En effet, la désindustrialisation et les évolutions récentes du marché du travail ont favorisé le délitement des liens professionnels d’une partie de la population en emploi précaire
Moins … Moins ...
Moins d’activités sociales et de loisirs, une santé dégradée et moins d’aide en cas de besoin : les personnes isolées sont logiquement moins engagées dans des activités sportives ou sociales comme le bénévolat. De même, elles communiquent moins souvent via les réseaux sociaux lorsqu’elles sont équipées d’Internet. Enfin, elles se sentent plus souvent en mauvaise santé.
Si 89 % de la population en demande d’aide financière, matérielle ou morale obtient satisfaction auprès de son entourage ou de sa famille, les personnes isolées déclarent moins souvent en recevoir. Ce dernier résultat reste vrai toutes choses égales par ailleurs : les personnes isolées de leur entourage et de leur famille ont ainsi presque 30 % de chances en moins d’obtenir de l’aide en cas de besoin que les personnes non isolées ; les personnes isolées de leur famille ont 8 % de chances
en moins et celles isolées de leur entourage 5 % de chances en moins.
Toutes choses égales par ailleurs, la faiblesse des liens sociaux a un effet plus important sur le bien-être que la situation matérielle, la santé, l’insécurité physique ou l’environnement. L’isolement est en effet associé à différentes dimensions du bien-être subjectif : davantage de personnes isolées se sentent insatisfaites de leurs relations amicales ou familiales, de leurs loisirs, et même de leur logement ;
Seule l’appréciation du travail semble indépendante des relations avec les proches. Même si l’isolement se cumule avec les difficultés liées au travail, le bien-
être au travail semble maintenu dans certains cas, même quand d’autres dimensions du bien-être sont affectées, ce qui suggère dans ce cas un relatif cloisonnement des espaces d’intégration lorsque le travail joue ce rôle, voire la possibilité de surinvestir le travail en cas de difficultés sociales.
Pour le Conseil Economique et Social, « Les mécanismes de l’isolement social font interagir de nombreux facteurs : âge, niveau socio-économique, genre, situation familiale, santé... Cause d’accélération de la perte d’autonomie chez les personnes âgées, facteur aggravant dans des situations de fragilité et de vulnérabilité psychologique, l’isolement social contribue en outre au renoncement aux soins. Il renforce les inégalités et forme l’une des principales causes du non-recours aux droits. Il est donc un enjeu majeur pour la cohésion sociale ».
La démographie, la dématérialisation des relations, la réduction de l’accessibilité des services, la disparition des commerces et des lieux de convivialité, la faible densité médicale dans certains territoires, mettent à l’épreuve le lien social. Le tissu de collectifs de proximité est affaibli et c’est finalement aux personnes qu’il revient de trouver, seules, les ressources suffisantes pour se « socialiser ». Se dessine alors une sorte de marqueur social entre ceux-celles qui savent nouer des liens, se constituer « un capital social » important et les autres. Ce qui crée un cercle vicieux : les personnes isolées perdent confiance en elles, n’osent pas aller vers les autres dont elles craignent le jugement, le mépris, l’indifférence. Elles se renferment sur elles-mêmes ce qui accroît leur solitude.
A côté de la famille, des proches aidants, du voisinage et des nombreux professionnels du social, il importe de favoriser le volontariat, le bénévolat, les associations et autres collectifs qui contribuent à la structuration des liens sociaux. Pour autant l’engagement des citoyens ne doit en aucune façon être prétexte au désengagement des pouvoirs publics.
C’est pourquoi il importe de créer, recréer, dans toutes les communes, des « lieux sociaux », des lieux de rencontre, sans doute informels et sûrement ouverts à tous. Il importe aussi de favoriser les activités permettant aux personnes de révéler leur personnalité, de participer bénévolement à diverses actions, de montrer aux autres qu’elles sont « quelqu’un ». Les politiques publiques sont trop souvent dans l’assistance alors qu’elles devraient au contraire être dans l’incitation, dans la reprise de confiance en soi, dans la construction de l’estime de soi.