Ecrit le 27 février 2019
L’antisémitisme vise les personnes qui appartiennent ou sont supposées appartenir à la communauté juive. Les prétextes sont multiples : un nom de famille ou un prénom, des traditions ou des pratiques religieuses, des modes de vie, une apparence physique, un métier ... L’antisémitisme développe des préjugés et des interprétations diffamatoires, des attitudes haineuses et des agressions verbales ou physiques.
L’antisémitisme a marqué plusieurs fois l’histoire des pays européens, comme en 1895, en France, lors de l’Affaire Dreyfus. Il peut devenir une doctrine politique et inspirer des lois comme les lois de Vichy sur le statut des juifs, en 1940. Il a été l’un des fondements du régime nazi et, à partir de la Conférence de Wannsee (20 janvier 1942), a conduit à programmer la « solution finale », qui a mené six millions de juifs à la déportation et à la Shoah. À la Libération, le Tribunal de Nüremberg a jugé l’ensemble des crimes nazis inspirés notamment par l’antisémitisme.
Manifestations actuelles
Aujourd’hui, l’antisémitisme s’exprime à travers des profanations de cimetières ou de synagogues, des refus de services, des injures ou propos diffamatoires et insultants, que l’on peut trouver aussi bien dans des tracts, des inscriptions, des affiches, des bandes dessinées, des sites Internet qu’avec des objets véhiculant l’idéologie nazie. Il est absolument condamnable.
18 février – Tribune de Michel Tubiana, président de la Ligue des Droits de l’Homme, publiée dans Mediapart
Bien sûr que les insultes essuyées par Alain Finkielkraut relèvent d’une parole antisémite déguisée. A l’évidence, le mot sionisme n’est ici que le cache sexe de l’antisémitisme. Qu’Alain Finkielkraut attire et attise la haine ne saurait justifier ni cette haine, ni sa nature raciste et antisémite. C’est la raison pour laquelle, avant de prendre en considération ce qui peut déplaire dans le personnage, les insultes qu’il a supportées impliquent une condamnation sans réserve car, au-delà de l’individu qu’elles atteignent, il s’agit là d’une agression contre le fondement de tout contrat social.
Est-ce une raison pour faire de ceux et celles qui se proclament antisionistes des délinquants ? C’est pourtant ce que souhaitent, paraît-il, une trentaine de députés se sentant, sans doute, soutenus par un président de la République qui a cru bon d’abonder en ce sens et d’introniser Benjamin Netanyahou comme représentant des juifs du monde entier.
Il est vrai que la Cour de cassation a déjà cru bon d’assimiler l’appel au boycott des produits israéliens à une manifestation d’antisémitisme. On attend avec impatience ce que dira la Cour européenne des droits de l’Homme d’une interprétation si extensive du droit pénal français et si restrictive de la liberté d’expression.
Je ne suis pas de ceux et celles qui délégitiment l’existence de l’Etat d’Israël. On peut gloser à l’infini sur les raisons qui ont amené à sa création, sur la catastrophe qu’a représentée cette création pour les habitants chrétiens et musulmans de la Palestine (sauf à nier l’évidence…), etc. Le débat historique n’a d’intérêt qu’en ce qu’il redresse certains mythes (les Palestiniens n’existent pas et sont partis d’eux-mêmes, il n’y avait pas de juifs en Palestine, par exemple) mais il ne résout en rien la contradiction qui perdure depuis plus de 100 ans et qui s’exprime aujourd’hui autour d’une réalité simple et cruelle : une nation occupante d’une nation occupée et colonisée.
C’est pourquoi, j’ai du mal à m’identifier à un débat qui mêlerait anti ou pro sioniste et ro ou anti Palestinien. La seule question qui vaille c’est celle du droit, du droit d’Israël à exister et du droit du peuple palestinien à avoir son Etat. Or, à ce jour, c’est bien la deuxième partie de la proposition qui est niée : ce n’est pas l’existence d’Israël qui est menacée par les Palestiniens, c’est le droit des Palestiniens à exister qui leur est refusé par une puissance occupante qui bénéficie d’appuis qui vont de la caution active, j’évoque ici les USA, à une lâche complicité, j’évoque ici l’Union européenne, y compris la France.
Il y aurait donc une certaine incongruité à vouloir légiférer à ce propos alors et surtout que personne ne songe à incriminer ceux et celles, en Israël comme en France, y compris dans la représentation ationale, qui contestent le droit des Palestiniens à avoir leur Etat voire vont jusqu’à nier leur existence !
Renvoyer le débat politique au juge, en deçà des limites qui mettent en cause les principes essentiels, n’a jamais rien produit d’autres qu’une restriction aux règles démocratiques au mieux et une radicalisation mortifère au pire.
Déjà injustifiable, cette criminalisation du débat autour d’Israël et du sionisme est totalement contreproductive au regard des objectifs que lui assignent ses soutiens.
Dire que l’antisionisme ne recouvre pas, chez certains, une manifestation d’antisémitisme serait scandaleusement stupide. La défense des droits des Palestiniens a servi de cache-sexe à bien des pouvoirs et à bien des manipulations. Des régimes arabes qui mobilisent les foules sur ce thème pour éviter qu’elles se préoccupent de leur propre sort, aux pseudos idéologues en même temps qu’antisémites avérés comme Soral et consorts, les Palestiniens ont subi plus qu’à raison cette instrumentalisation. Qu’il faille lutter contre cela, nul n’en disconvient et le code pénal contient suffisamment de dispositions pour condamner quiconque s’aventure sur ce terrain.
Aller au-delà ne permettra que d’interdire toute critique de la politique des gouvernements israéliens.
C’est bien l’objectif recherché dans la tentative de l’IHRA [1] de faire adopter une définition normative de l’antisémitisme. Outre la pauvreté intellectuelle que recèle le texte proposé, ce sont les exemples, en particulier l’un d’entre eux, qui éclairent l’assimilation des critiques que supporte la politique israélienne à de l’antisémitisme. Cette proposition de définition est, en effet, assortie d’exemples de manifestations d’antisémitisme dont celle-ci : « Appliquer deux poids, deux mesures en imposant à celui-ci [l’Etat d’Israël] un comportement non attendu ni exigé de la part d’un autre pays démocratique. »
On ne peut dire plus clairement que ce qui est ainsi recherché c’est l’absolution et l’impunité de la politique israélienne.
Cette tentative, soutenue par le ban et l’arrière-ban des organisations communautaires juives, comme la volonté de criminaliser le discours antisioniste, ne serviront nullement à combattre l’antisémitisme mais, tout au contraire, à le renforcer. En assimilant une manifestation de racisme intolérable à une critique fût-elle radicale, d’Israël et de sa politique, ce sont tous les juifs qu’on assimile ainsi aux errements de celle-ci et, particulièrement, à ce qu’elle conduit à faire subir au peuple palestinien.
Si l’on voulait tirer un trait d’union entre juifs français ou d’autre nationalités et le discours raciste et les pratiques déshumanisantes des autorités israéliennes, on ne s’y prendrait pas autrement.
C’est le chemin que s’apprêtent à emprunter ceux et celles qui caressent l’idée d’introduire la dimension de l’antisémitisme dans la critique des gouvernements israéliens.
C’est le chemin qu’a déjà emprunté le président de la République en invitant Benjamin Netanyahou à la cérémonie du Vel d’Hiv et en y recourant à ce même syllogisme.
Lequel Netanyahou s’est empressé de remercier Emmanuel Macron en réunissant à Jérusalem ce quarteron de gouvernements autoritaires et plus ou moins antisémites du groupe de Visegrad.
Non, critiquer la politique israélienne, réclamer l’application de sanctions devant le refus permanent des autorités israéliennes de respecter le droit international, exiger que les produits israéliens qui arrivent sur nos tables et dans nos magasins ne soient pas issus des colonies, tenter de faire juger les généraux israéliens coupables de crimes de guerre, dénoncer la discrimination dont sont victimes les hommes et femmes d’Israël qui ne sont pas juifs, tout cela n’a rien à voir avec l’antisémitisme.
Cela concerne l’idée qu’il n’y a qu’une seule humanité soumise aux mêmes règles.
Paris, le 18 février 2019, Michel Tubiana, Président d’honneur de la LDH.
[1]voir le site holocaustremembrance