Ecrit le 12 mai 2021
L’histoire secrète de la Résistance
Ils sont venus de tous les milieux, animés par des opinions politiques divergentes, mais tous partageaient une même volonté de se battre pour libérer la France. Des images d’archives, des éclairages d’historiens et des scènes de fiction reconstituent minutieusement les parcours personnels et intimes de cinq personnalités de la résistance : Jean Moulin, figure phare de la résistance, Henry Frenay du mouvement Combat, Berty Albrecht, créatrice d’un service social d’aide aux prisonniers, Gilbert Renault, agent secret dont les informations ont changé le cours de la guerre, et George Beaufils, membre du Parti communiste.
Jusqu’au 3 juillet sur france.tv
Un chemin de mémoire et d’engagement
Sans doute pourriez-vous dresser une longue, très longue liste, des violences de notre monde. Avez-vous jamais douté de l’avenir de notre humanité ? Êtes-vous tenté de désespérer ? Si ces questions et des doutes vous traversent, prenez le temps de découvrir le documentaire Colette, actuellement en accès libre (par exemple sur you tube, sur le site web du quotidien anglais The Guardian). Une vieille dame de quatre:vingt treize ans, Colette Marin Catherine, part sur les pas de son jeune frère, Jean-Pierre, décédé à dix-sept ans dans le camp de Mittelbau-Dora près de Nordhausen, en Allemagne, le 22 mars 1945, trois mois avant que les troupes américaines ne libèrent le camp.
Colette ne s’est jamais rendue à Nordhausen. « J’ai vu des photos dans les camps. c’est tellement ignoble et abject qu’on ne peut pas le répéter. C’étaient des horreurs. Je n’ai jamais accepté d’aller faire la tournée des camps, parce que le tourisme morbide ne m’intéresse pas », explique-t-elle.
Pourtant elle va entreprendre le douloureux voyage, accompagnée par une jeune fille de 17 ans, étudiante en histoire. Lucie Fouble, une frêle jeune fille, cheveux courts frisés, grandes lunettes. participe à l’écriture du Dictionnaire bio-graphique des 9000 déportés de France. Elle découvre l’existence de Jean-Pierre dans des archives, réussit à contacter Colette. Lucie présente son projet, propose un voyage sur les pas de Jean-Pierre. Colette accepte : « Le détail du morbide, je vois pas en quoi ça t’aiderait dans tes études, et ça peut pas enrichir ta documentation. LÃ , c’est différent puisqu’on va honorer la mémoire de Jean-Pierre. »
Colette et Lucie partent ensemble pour un périple dont aucune ne sortira indemne, Colette le sait. Elles emmènent avec elles la photographie de Jean-Pierre, prise en prison, en cachette, par son père, au risque de sa vie. Durant le voyage, la vieille dame raconte ses souvenirs. L’étudiante pose quelques questions, accueille les confidences.
« 1940, victoire de l’allemagne, capitulation de la France. Ma famille a décidé d’entrer en résistance », confie Colette. A cette période, seul un pour cent des Français s’impliquent. Mais Colette refuse d’être considérée comme un héros. « Résistants, c’étaient la recherche de renseignements, la collecte d’armes, la distribution de faux papiers J’étais une gamine ; on m’a demandé seulement de m’asseoir sur le perron devant la porte, et d’enregistrer le numéro des camions qui passaient. Tu parles d’un héroïsme ! Les fesses sur les cailloux et marquer sur un petit papier On jouait au chat et à la souris. On a vraiment touché le danger, plus exactement le danger nous a touchés. Je me suis rendue compte que j’avais couru un risque parce que, quand la Gestapo s’était intéressée à une famille, on ne voyait plus personne... On faisait ce qu’il y avait à faire. Mon frère était en réseau ; moi dans un autre avec ma mère. Jean-Pierre stockait et accumulait les armes. Ils ont été arrêtés à sept ; il n’en est revenu que deux Jean-Pierre était en acier ; s’il avait décidé de traverser un mur, tant pis pour le mur. Il était redoutable de volonté. Il avait de l’avance dans ses études, un esprit méthodique, mathématique La France était pour lui la maîtresse, inaltérable. »
Le camp de Dora-Mittelbau est devenu le tombeau, sans tombe, de 20 000 déportés. Colette et Lucie suivent leurs pas, le long de la voie de chemin de fer, le long de la rampe d’arrivée. « Regarde ailleurs, toi. » intime Colette à Lucie. Alors la vieille dame s’avance, seule, vers le lieu de la lourde réalité, sous les arbres. Son frère a parcouru ce chemin le 11 février 1945. Elle ne peut retenir ses larmes. Elle éclate en sanglots. « On n’a pas apporté de fleurs ; j’ai jamais rien apporté. » Mais elle se ressaisit vite : « Allez, on y va. On va pas rester là huit jours. »
Avec Lucie, Colette pénètre dans le baraquement où dormaient les prisonniers, sans couverture, à même le sol.
Avec Lucie, Colette pénètre dans le tunnel où travaillaient les prisonniers, dont le frère de Colette, mécanicien dans le commando 51. 24h sur 24, ils construisaient sans relâche des engins de mort. Des bombes plus hautes qu’un homme. A quoi pensaient-ils, ces prisonniers obligés de construire des engins de mort ? Pouvaient-ils penser quand toutes leurs for-ces tentaient de survivre envers et contre tout ? « Si la colline pouvait parler, je pense qu’on entendrait des hurlements. Regarde là bas, c’est une carcasse de V2. c’est effrayant. Mon Dieu, c’est monstrueux. c’est pas une vie. c’est un cauchemar. c’est l’enfer. c’est Dante sur terre. » murmure Colette.
Avec Lucie, Colette pénètre dans le crématorium. La caméra ne les suit pas. Au sortir, Colette et Lucie ne peuvent cacher leurs larmes. La caméra les filme de loin, avec une grande discrétion, avec une profonde pudeur. Colette pose alors un geste fondateur . « Ma petite fille, je vais te faire un cadeau. La seule chose qui me reste de mon frère, c’est ça. (Elle montre un anneau). Tiens, ma puce, tiens. Voilà Alors je t’explique ; Jean-Pierre avait douze ou treize ans quand il a fabriqué cette bague pour maman. Il avait commencé à graver son nom. Et il a jamais eu le temps de la finir. Voilà . Quand tu seras centenaire, tu sais, une vieille, vieille dame, t’auras ça. Tu diras, quand j’étais jeune, j’ai été là . »
A Los Angeles, un jury américain a osé, a su, décerner l’Oscar du meilleur documentaire en format court à ce film, le 25 avril 2021, jour anniversaire de Colette. Le film prend place dans une série de portraits, des mini documentaires consacrés à des vétérans de la seconde guerre mondiale, proposés en supplément d’un jeu vidéo en réalité virtuelle. Le studio chargé du développement de casques de réalité virtuelle décida de diffuser le témoignage de Colette sur le site web d’un quotidien britannique avant la sortie du jeu. s’agissait-il d’une démarche publicitaire ? Si c’est le cas, pour une fois, réjouissons-nous. Cette opération permet à chacun de découvrir Colette et Lucie.
Les jeunes et moins jeunes qui « s’amusent » à « jouer » à la guerre en réalité virtuelle, prendront-ils le temps de regarder les témoignages ? Peut-être comprendront-ils alors que la guerre n’est pas un jeu, mais une réalité terrible, monstrueuse, comme le dit Colette. Peut-être comprendront-ils que les vrais combats se mènent en présentiel, mot à la mode en ce temps de covid. Notre monde a besoin de combattants, de citoyens engagés dans la défense des plus petits, de tous les opprimés. Notre monde a besoin de bâtisseurs de ponts, de paix. Notre monde a besoin de résistants.
« Écoute, t’entends ? conseille Colette à Lucie, après avoir pleuré. Les oiseaux, ils chantent. Qui est-ce qui sait si les oiseaux ne chantent pas les recueils de nos peines et de nos chagrins ? On n’en sait rien. Peut-être Jean-Pierre nous dit qu’il est content. » Colette mourra un jour, son témoignage demeurera grâce à Lucie et par ce film. Lucie est devenue dans ce chemin de douleur, ce chemin de mémoire, la petite fille de Colette. Un pacte les lie à jamais. Colette a été et demeure une résistante. Lucie perpétue le chemin à sa manière ; d’ailleurs son prénom d’origine latine signifie lumière. Puisse chacune et chacun de nous, quel que soit son âge, résister à toutes les barbaries et construire un monde de paix pour tous, comme Jean-Pierre, comme Colette.
JR
Marie Claude Vaillant-Couturier
« »‰Pourvu que je n’oublie rien.« ‰ » Le 28 janvier 1946, à 10 heures du matin, Marie-Claude Vaillant-Couturier se répète inlassablement cette phrase, puis s’avance vers la barre du tribunal de Nuremberg, où elle est appelée à témoigner contre les dirigeants nazis. Face aux accusés, la résistante communiste déroule le récit implacable de sa déportation, depuis l’entrée dans un train à bestiaux jusqu’à la sortie du camp de Ravensbrück. « »‰Regardez-moi bien, car à travers mes yeux, des milliers d’yeux vous regardent et par ma bouche, des milliers de voix vous accusent« ‰ »‰" . Sa voix ne tremble pas, son vocabulaire est précis, les faits qu’elle énumère sont rigoureusement datés. Reporter-photographe pour l’Humanité ou encore le magazine Regards avant la guerre, elle en a gardé une volonté farouche de témoigner pour les autres.
Lire : Marivo, Marie-Claude Vaillant-Couturier Une vie de résistante, par gérard Streiff : Editions Ampelos. Parution 2021