Ecrit le 1 septembre 2021
La guerre de 1939-1945 est loin, le temps passe, les souvenirs restent et les petits-enfants posent des questions. c’est ainsi que Henri Garry et Patricia chéné sa fille, ont été conduits à parler plus précisément d’événements vécus dans la famille Orain durant la période 1939-1946. Avec deux récits de l’époque :
– l’un de Jean Orain (1927-2013) concernant son frère René (1912-1985) et le hameau de Choisel transformé en camp de prisonniers d’où partirent les 27 otages fusillés à la Sablière.
– l’autre de Joseph Orain (1916-1995), frère de René et Jean, prisonnier dans un camp disciplinaire sur une île d’Allemagne du nord qui réussira, avec des compagnons d’infortune, à s’évader le 1er novembre 1943. (nous en reparlerons)
Le livre, intitulé « Dehors » est disponible à la médiathèque de Châteaubriant ou chez H.Garry (tél 02 40 81 25 80)
Les expulsés de Choisel
Le 17 juin 1940, les premiers side-cars et véhicules blindés allemands faisaient leur entrée à Châteaubriant, bientôt suivis par quelques détachements d’infanterie. Ces derniers accompagnaient des milliers de soldats français, rattrapés et capturés au cours de leur retraite. C’était un lamentable spectacle que de voir ces soldats désarmés, toutes armes confondues, fantassins, artilleurs, cavaliers, ... portant en bandoulière leur musette chargée de leurs maigres biens, escortés de quelques sentinelles, qui, le fusil à l’épaule, les toisaient dédaigneusement.
L’une de ces colonnes, empruntant la route de Fercé, s’engagea dans le petit chemin de Choisel, conduisant au hameau et permettant l’accès à l’herbage du château de Belêtre.
Cette pâture d’une surface de trois hectares environ, appartenant à Madame Masseron, était louée par léandre Orain, qui y élevait sept bœufs à l’embouche.
Les sentinelles allemandes, ayant chassé les bœufs, firent entrer les soldats sur ce terrain, sans arbres et sans abri. Ce qui, quelques instants auparavant, était encore une paisible pâture, était devenu une prison..... La clôture de fil de fer entourant l’herbage, préfigurait les barbelés derrière lesquels ces hommes seraient bientôt enfermés,... pour cinq longues années
Vers 18 heures, la famille Orain apprit que les Allemands leur ordonnaient de quitter les lieux. Les bâtiments du hameau de Choisel seraient occupés, le lendemain matin, par l’armée allemande Tout le personnel disponible de la ferme voisine de la Rousselière se rendit à Choisel pour préparer le déménagement. Il fallait démonter les meubles : lits, armoires, buffet... emballer la vaisselle dans de grands paniers que l’on appelait des « resses », regrouper tout le matériel Au mois de juin les soirées sont longues, mais l’heure du couvre-feu arriva avant que le travail ne soit terminé. Les déménageurs continuèrent à travailler avec la lumière électrique. Bientôt une sentinelle vint frapper à la porte en intimant « Nicht lumière »... Malgré cet ordre, le travail continuait avec le même éclairage... Quelques minutes plus tard la sentinelle revint et, hurlant à nouveau « nicht lumière », tira un coup de feu, brisant l’imposte au dessus de la porte d’entrée. Il fallut alors obtempérer et ce fut à la lueur de bougies, camouflées, que se continua le travail.
Le déménagement, le lendemain, donna lieu à l’une des premières évasions du camp : parmi les prisonniers se trouvait Jean Gardais, originaire de Soudan, qui connaissait très bien la disposition des lieux. Profitant du remue-ménage causé par le déménagement, il réussit à se faufiler sous le hangar, derrière la maison. René Orain l’ayant aperçu lui donna un pantalon et une veste de travail que Jean Gardais troqua aussitôt contre son uniforme. Au moment de partir, les vaches furent regroupées derrière le convoi et suivaient les charrettes. Jean Gardais, coiffé d’une casquette, une fourche sur l’épaule, suivait les bêtes. Arrivé à la hauteur de la Borderie, notre homme, au lieu de tourner à gauche, vers la Rousselière, bifurqua à droite, et à travers champs, gagna la vieille route de Soudan. Il arriva chez lui, sans encombre et ne fut jamais inquiété par la suite.
Pendant ce temps, le camp s’aménageait. De grandes baraques en bois se dressaient dans la prairie. Les limites du camp avaient été fixées par de nouvelles clôtures. Au nord, les bâtiments du hameau de Choisel étaient inclus dans le camp, ainsi que le chemin venant de la route de Fercé. Pour ce faire, une bande de terrain d’une trentaine de mètres de large, avait été prise sur l’ancien hippodrome et une haute barrière de barbelés en clôturait l’accès, ainsi que sur la face ouest, en bordure de la route de Fercé.
Les bâtiments du hameau avaient reçu de nouvelles affectations : la maison des époux Gaillard était transformée en poste de police pour la relève des sentinelles. Les pièces d’habitation des familles Orain, Masson, étaient utilisées comme infirmerie. La porte de la petite laiterie avait été renforcée et cette pièce servait de prison pour les plus récalcitrants. Plusieurs prêtres, aumôniers ou hommes du rang étaient internés au camp. Ils avaient sollicité l’obtention d’un local pour célébrer leur culte. Le grenier de la maison Orain leur fut accordé. On y accédait par une échelle extérieure. Chaque matin plusieurs messes y étaient célébrées. Le local fut connu dans le camp sous le nom de « grenier des messes ».
La ferme de la Rousselière étant trop loin des champs de la famille Orain, les propriétaires du château de Belêtre proposèrent à René Orain un petit logement de deux pièces, une étable pouvant abriter une dizaine de bovins, une écurie pour deux chevaux, un grand hangar et un grenier à l’intérieur de la cour du château. Il fallut donc déménager à nouveau.
Et re-déménager encore en octobre 1943 quand les Allemands vinrent occuper le château de Belêtre pour y installer des pièces de D.C.A. (défense Contre l’aviation) qui pointaient leurs canons vers le ciel. René Orain vint donc s’installer dans la ferme de La Muloche où la maison d’habitation et une partie des étables étaient inoccupées.
L’année 1944 amena la libération de Châteaubriant et, en 1945, la paix fut signée. Mais à Choisel le camp était toujours occupé par des collabos notoires et d’autres qui avaient accordé quelques complaisances aux occupants, les délateurs, les profiteurs du marché noir... Et René Orain dut attendre le mois de mars 1946 pour revenir à son lieu de départ, retrouvant les logements dans un état lamentable : il ne restait plus un morceau de bois, ni dans les maisons ni dans les étables ou les écuries. Tout ce qui avait pu servir de combustible avait été brûlé !! Une pièce fut aménagée en cuisine.
Les trois pièces de l’ancienne habitation, furent aménagées en chambres à coucher pour les sept membres de la famille, en attendant la venue du quatrième garçon, gérard, qui devait naître en novembre 1946. Les habitants de Choisel devaient en permanence traverser la cour pour aller de leurs lits à la cuisine... Et ceci jusqu’en 1953, date à laquelle ils purent enfin entrer dans une maison neuve.
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Le récit est complété par des plans, la « Lettre d’un blessé », parue dans le journal « Le courrier de Châteaubriant » daté du vendredi 29 septembre 1939, une lettre du sous-préfet du 27 février 1941 et deux poèmes.
Je ne vois plus de sable
dans une sablière,
Mais j’entends les fusils
assassinant nos frères ;
Le vent m’apporte leur Marseillaise
Qui prend aux tripes comme un malaise ;
Le tir des balles de leurs bourreaux
Siffle encore dans mon cerveau.
(François Boucherie)