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Ecrit le 2 juin 2021
La Mée vous invite à suivre le récit détaillé de l’aventure d’une bande de jeunes réfractaires de la région, au cours des années 1831-1834, qui ont voulu reprendre le combat de leurs pères pendant la Révolution. Cette histoire, présentée par René Bourrigaud, se déroule en plusieurs épisodes.
Résumé des épisodes précédents
Notre bande de chouans utilise des méthodes violentes pour imposer ses conceptions et sa « morale ». Jusque-là , ils utilisaient surtout des bâtons. Contre un représentant du pouvoir, ils vont utiliser leurs fusils.
Quatrième épisode
Mercredi 3 octobre 1832, sur la route de Châteaubriant à Moisdon, à l’entrée de la Forêt Pavée : une vraie tentative d’assassinat
Les ennuis du boucher de St Julien n’ont rien à voir avec la vraie tentative d’assassinat prémédité dont va être victime le maire de Moisdon, directeur des Forges de Moisdon, et qui se nomme Xavier Maire : un patronyme ajusté à sa fonction, mais qui peut créer des confusions.
M. Maire, 35 ans, est déjà un notable important dans la région, il se déplace souvent en cabriolet entre l’hôtel du Lion d’or, à Châteaubriant, et son domicile dans sa maison de maître de la Forge Neuve à Moisdon. Ce 3 octobre, il est parti de l’hôtel vers quatre heures de l’après-midi pour rentrer chez lui. Voici comment il a raconté lui-même au juge d’instruction de Châteaubriant la tentative d’assassinat qui a bien failli lui coûter la vie :
Arrivé à l’entrée de la Forêt pavée, entre les Nos vingt trois et vingt quatre, j’ai aperçu un homme armé sortant de l’un de ces numéros sur la droite de la route. Il s’est alors placé en face de moi, au milieu de la route, à une distance de moi d’environ 30 pas, et m’a couché en joue avec son fusil qui était armé d’une baïonnette ; à ce dernier mouvement qui ôtait toute équivoque sur les intentions du brigand, je détournai aussitôt mon cheval pour revenir à Châteaubriant. Alors j’ai aperçu un second brigand posté sur la route et qui voulait me barrer le passage ; il me tenait en joue et m’a tiré un coup de fusil presque à bout touchant. Mon cheval était au galop ; presque au même instant plusieurs coups de feu ont été dirigés sur ma voiture.
J’observe que j’avais vu au premier moment, plusieurs brigands armés, tous sortant du même côté de la forêt. Arrivé vis-Ã -vis de la Haie Bénou, je me suis aperçu que mon sang coulait sur les rênes que je n’avais pas cessé de tenir, et qu’il provenait de deux blessures que j’ai reçues l’une au tarse de la main gauche, l’autre au pavillon de l’oreille du même côté. La casquette dont j’étais couvert, mon habit, mon manteau et ma voiture ont été percés de balles.
A ce stade de la déclaration, le juge Théodore Bivaud demande à observer par lui-même les pièces à conviction. Il fait alors les constatations suivantes :
– le bord gauche de la visière de la casquette a bien été percé et déchiré par la balle qui a blessé le pavillon de son oreille gauche.
– Le manteau est percé de six trous de balles et d’un trou plus grand qui semble provenir d’une chevrotine.
– L’habit qu’il portait sous son manteau est lui-même percé d’une balle au niveau du poignet et déchiré, depuis le milieu du bras jusqu’Ã sa partie supérieure dans une longueur de trois pouces.
Descendant dans la cour de l’hôtel pour examiner le cabriolet, il constate aussi :
1° Le passage de trois balles qui paraissent être entrées par le côté gauche de la caisse de la voiture et être ressorties par le côté droit ;
2° Le passage d’une autre balle qui a traversé le fond de la voiture à peu de distance de la lunette arrière qui est en verre.
Il constate enfin que le devant de la voiture est couvert de sang.
Les blessures sont décrites avec autant de minutie par les médecins Gautron et Ernoul-Provoté, déjà sur place à l’arrivée du juge. Ils ont noté :
1° Une plaie ouverte à la partie supérieure et interne du tarse de la main gauche avec fracture de l’extrémité inférieure du cubitus et enlèvement de la presque totalité de l’os pisiforme ; avec dénudation des tendons avoisinant l’articulation radiocarpienne. Ils estiment que cette blessure ne peut être que le résultat d’un projectile lancé par une arme à feu.
2° Une contusion avec le gonflement inflammatoire très étendu située à la partie moyenne et interne de l’avant-bras droit.
3° Une légère déchirure avec perte de substance de la partie supérieure du pavillon de l’oreille gauche.
A la lecture de ces constats, on se demande effectivement comment l’intéressé a pu échapper à cette série de tirs croisés qui ont transpercé la caisse de son cabriolet de droite à gauche et de l’avant vers l’arrière, en trouant sa casquette et ses habits. Le fait est qu’aucune des blessures n’est mortelle, mais les médecins réservent leur pronostic sur le délai de guérison.
Les témoins confirment
Le blessé indique que la scène avait des témoins. Il cite un forgeron de la Forge neuve, Louis Vavasseur, qui a entendu cinq coups de feu, ainsi que Chapron, un filassier du bourg de Moisdon, et le fils de Besnier, l’aubergiste. En réalité, il y avait d’autres témoins à proximité immédiate. Dans les champs voisins, des paysans récoltaient du blé noir, les uns occupés à le couper et d’autres à le charger sur une charrette. Le juge décide donc de poursuivre l’enquête et de se rendre sur les lieux dès le lendemain.
Les traces matérielles existent, mais donnent peu d’indications : nos enquêteurs retrouvent au bord de la forêt, du côté ouest de la route, des morceaux de papier qui ont pu servir à envelopper les cartouches, mais ces cartouches ont déjà laissé des traces bien plus convaincantes. Ils s’installent alors dans la maison de la Haie Besnou, près de l’entrée nord de la forêt, pour recueillir les déclarations des témoins directs.
Jean Colin est un jeune laboureur de 24 ans installé à la Haie Besnou, un hameau qui fait partie de la commune d’Erbray. La veille, il était occupé à charger du blé noir sur une charrette dans le champ de la Garenne, situé du même côté de la route. Il a vu le cabriolet de M. Maire se diriger au petit trot vers Moisdon, puis, aussitôt après, il a entendu un premier et un second coup de feu, mais il a cru d’abord qu’ils provenaient de chasseurs ou des gardes forestiers. Or, selon lui, cinq ou six coups se sont succédé, puis il a vu M. Maire repartir au grand galop en direction de Châteaubriant et il l’a même entendu, quand il passait au bas de son champ, pousser des gémissements et dire Ah ! Mon Dieu ! Je vais mourir, je vais mourir !
François Béas, 36 ans, était domestique à la Haie Besnou. Il travaillait dans un autre champ, appelé « la Pièce de l’arrentement », un peu plus éloigné de la route. Lui aussi a entendu les six coups de feu et, en montant sur un talus, il a même vu la fumée provenant de ceux-ci. Mais il prétend aussi avoir entendu M. Maire se plaindre et dire " Ah ! Mon Dieu, ah ! Mon Dieu... Ce qui paraît peu vraisemblable, vu la distance.
Plus crédible est le témoignage spontané de Rose Autain, épouse de Joseph Guérin, forgeron au bourg de Joué-sur-Erdre. Elle se rendait à Châteaubriant et traversait la Forêt pavée vers les cinq heures du soir. Elle a bien vu en lisière de forêt une douzaine de paysans à genoux tapis dans les broussailles, plutôt jeunes et habillés de vestes grises. Cent pas plus loin, elle a croisé le cabriolet de M. Maire.
Elle n’avait pas fait cinquante pas de plus qu’elle entendit les coups de feu. En se retournant, elle a même vu la fumée provenant des armes à feu et le cabriolet de M. Maire qui avait fait demi-tour après avoir tourné deux ou trois fois sur la route. Effrayée, elle se cacha dans un fossé auprès d’un pont. Et elle demanda au blessé s’il avait beaucoup de mal, mais elle n’entendit pas sa réponse. Elle a seulement remarqué qu’il avait la figure couverte de sang, que l’avant du cabriolet en était couvert et que le sang coulait même à travers la voiture.
Prochain épisode :
Nos chouans à St-Vincent-des-landes et à Erbray.