Ecrit le 20 décembre 2023
La loi « immigration »
L’année 2023 se termine mal avec le vote de la « loi immigration ». Le Parlement a définitivement adopté le projet de loi immigration, 349 députés votant pour et 186 contre, après un vote favorable du Sénat. Un épilogue ’victorieux’ pour la majorité, mais porteur de lourdes conséquences politiques. C’est une victoire parlementaire pour Emmanuel Macron qui ouvre dans le même temps une profonde fracture au sein de sa majorité, dont une partie s’est détournée d’un texte soutenu à la dernière minute par le Rassemblement national.
Allocations familiales, APL
La question d’une durée de résidence minimale en France pour que les étrangers non-européens en situation régulière puissent toucher des prestations sociales a failli faire capoter les tractations.
Alors que la droite réclamait un délai de cinq ans pour ouvrir le droit à une large liste de prestations « non contributives », le compromis scellé mardi est basé sur une distinction entre les étrangers selon qu’ils sont ou non « en situation d’emploi ».
Pour des prestations comme les allocations familiales, pour le droit opposable au logement ou l’allocation personnalisée d’autonomie, un délai de cinq ans est ainsi prévu pour ceux qui ne travaillent pas, mais de 30 mois (soit deux ans et demi, la moitié, donc) pour les autres.
Pour l’accès à l’Aide personnalisée au logement (APL), principal point d’achoppement, une condition de résidence est fixée à cinq ans pour ceux qui ne travaillent pas, et de seulement trois mois pour les autres.
Ces nouvelles limitations ne s’appliquent pas aux étudiants étrangers. Sont par ailleurs exclus de toutes ces mesures restrictives les réfugiés ou les titulaires d’une carte de résident.
Régularisations de sans-papiers
La majorité s’est résignée à une version plus restrictive que celle du projet de loi initial, en donnant aux préfets un pouvoir discrétionnaire de régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers dits en tension.
Il s’agira d’un titre de séjour d’un an, délivré au cas par cas, à condition d’avoir résidé en France pendant au moins trois ans et exercé une activité salariée durant au moins 12 mois sur les 24 derniers. Cette « expérimentation » ne s’appliquera que jusqu’à fin 2026.
Le camp présidentiel n’a eu gain de cause que sur un point : la possibilité pour un travailleur sans-papiers de demander ce titre de séjour sans l’aval de son employeur.
Quotas migratoires
L’instauration de « quotas » fixés par le Parlement pour plafonner « pour les trois années à venir » le nombre d’étrangers admis sur le territoire (hors demandeurs d’asile) est considérée comme inconstitutionnelle par le camp présidentiel.
Mais ce dernier a quand même accepté d’intégrer cette mesure, ainsi que la tenue d’un débat annuel sur l’immigration au Parlement, dans le texte de la CMP pour satisfaire LR... avec l’espoir à peine dissimulé que le Conseil constitutionnel se charge de la retoquer.
Déchéance de nationalité, droit du sol
La majorité présidentielle a également fini par donner son accord à la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour homicide volontaire contre toute personne dépositaire de l’autorité publique.
Concernant le droit du sol, elle a concédé la fin de l’automaticité de l’obtention de la nationalité française à la majorité pour les personnes nées en France de parents étrangers : il faudra désormais que l’étranger en fasse la demande entre ses 16 et 18 ans.
Autre restriction obtenue par la droite : en cas de condamnation pour crimes, toute naturalisation d’une personne étrangère née en France deviendrait impossible.
Délit de séjour irrégulier
Le rétablissement du « délit de séjour irrégulier » était qualifié d’inutile par le camp présidentiel. Mais la mesure, assortie d’une peine d’amende sans emprisonnement, a été retenue.
Centres de rétention administratif
Malgré les réticences de la droite, l’interdiction de placer des étrangers mineurs en rétention figure dans le compromis final.
Regroupement familial
Le durcissement des conditions du regroupement familial voté par le Sénat se retrouve pour l’essentiel dans le texte final, avec notamment une durée de séjour du demandeur portée à 24 mois (contre 18), la nécessité de ressources « stables, régulières et suffisantes » et de disposer d’une assurance maladie, ainsi qu’un âge minimal du conjoint de 21 ans (et plus 18).
Caution étudiants
La droite a obtenu l’instauration, sauf dans certains cas particuliers, d’une caution à déposer par les étrangers demandant un titre de séjour « étudiant », visant à couvrir le coût d’éventuels « frais d’éloignement ».
Les macronistes avaient pourtant combattu cette mesure constituant à leurs yeux « une rupture d’égalité » entre étudiants et risquant de fragiliser les étudiants internationaux.
Aide médicale d’État
La suppression de l’Aide médicale d’État (AME) pour les sans-papiers était l’un des principaux chevaux de bataille de la droite. Mais les LR ont accepté d’y renoncer dans ce texte, moyennant la promesse d’une réforme du dispositif début 2024.
Le texte de la CMP comprend en revanche une restriction de l’accès au titre de séjour « étranger malade ». Sauf exception, il ne pourra être accordé que s’il n’y a pas de « traitement approprié » dans le pays d’origine. Une prise en charge par l’assurance maladie sera par ailleurs exclue si le demandeur a des ressources jugées suffisantes.
La défenseure des droits
La Défenseure des droits, dans un communiqué, s’alarme du choix de la préférence nationale. Elle déclare :
Le droit des étrangers régulièrement établis sur le territoire à ne pas subir de discriminations à raison de leur nationalité a été consacré par le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’Homme. En prévoyant, pour ces mêmes étrangers, de différer dans le temps l’accès à un certain nombre de prestations sociales, le texte élaboré par la Commission mixte paritaire (CMP) dans le cadre du débat parlementaire relatif au projet de loi immigration, remet en cause des droits fondamentaux et porte une atteinte grave aux principes d’égalité et de non-discrimination, socle de notre République.
Dans son avis 23-07 relatif à la version du texte issue du Sénat, la Défenseure des droits a alerté sur les nombreuses atteintes aux droits et la profonde remise en cause des principes républicains de dignité et d’égalité inscrites dans le texte. Elle déplorait notamment un texte ciblant particulièrement les personnes vulnérables et tendant à renforcer leur précarité.
Les dispositions du texte dans son dernier état prévoient que des personnes étrangères régulièrement établies en France seront privées, pendant plusieurs années, de prestations essentielles concourant à l’effectivité de droits fondamentaux, alors même qu’elles auront satisfait à toutes les règles relatives au droit des étrangers, et notamment aux conditions d’intégration que le projet de loi se propose par ailleurs de renforcer.
De telles dispositions auront des effets redoutables de précarisation des personnes présentes sur notre territoire, au détriment de la cohésion sociale. Les retombées du dispositif envisagé sont d’autant plus inquiétantes qu’elles vont spécifiquement affecter des personnes particulièrement vulnérables compte tenu de la nature des prestations sociales concernées.
La Défenseure des droits alerte le Parlement sur un texte qui heurte de plein fouet les principes de notre République.
La déchéance démocratique
Article de Paul Quinio, Libération du 20 décembre.
La commission mixte paritaire a décidé, ce mardi 19 décembre, d’un texte ultra droitier sur la loi immigration. Une bérézina démocratique pour Emmanuel Macron et ses troupes, bien loin du barrage qu’il avait vanté en 2022.
La peine est double. La première concerne évidemment cette digue supplémentaire qui a sauté ce mardi 19 décembre à l’Assemblée nationale dans la lutte contre l’extrême droite. Avec des coups de pioche fatals donnés par Emmanuel Macron lui-même. Le barrage contre le RN avait sauté lors des législatives qui ont suivi sa réélection en 2022 et qui ont vu 89 députés issus de la formation de Marine Le Pen faire leur entrée à l’Assemblée nationale. Désormais, à la suite du durcissement du projet de loi immigration, opéré sous la dictée de LR sous influence lepéniste, la question posée à la majorité présidentielle n’est plus de savoir si elle peut être un rempart à l’extrême droite. La question est plutôt comment elle pourrait, à l’avenir, lui servir de marchepied de manière plus éhontée que lors de cette funeste commission mixte paritaire… « Je sais que [certains m’ont élu] pour faire barrage aux idées d’extrême droite. Ce vote m’oblige pour les années à venir », disait Emmanuel Macron le 24 avril 2022.
Un an et demi plus tard, dans les couloirs de l’Assemblée nationale, Marine Le Pen a salué les tractations autour de la loi immigration comme « une victoire idéologique ». Tout est dit. Et n’en déplaise à Elisabeth Borne, dénoncer cette journée qui aura vu la macronie durcir les conditions du regroupement familial, restreindre l’accès à l’aide médicale d’Etat, rétablir le délit de séjour irrégulier et multiplier pour les étrangers les restrictions sur les prestations sociales (allocations familiales, APL…) n’a rien d’une « posture ». A force d’avaler non pas des couleuvres mais des boas, l’aile gauche macroniste n’a de toute façon plus assez de colonne vertébrale pour revendiquer une quelconque droiture. Enfin, si la peine est double, c’est que la majorité macronienne ne s’est pas contentée de cette déchéance sur le fond. Sur la forme, le pitoyable spectacle parlementaire offert pendant ces trois jours ne fait que confirmer la faillite macroniste, cette bérézina démocratique ne profitant elle aussi qu’à une seule cause : celle de l’extrême droite.
Contre l’arbitraire et l’inhumain
Communiqué commun
L’examen de ce texte a peu à peu fait sauter des digues, laissant le champ libre à une xénophobie aujourd’hui complètement décomplexée.
Il n’est ni plus ni moins désormais que le projet de loi le plus régressif depuis au moins 40 ans pour les droits et conditions de vie des personnes étrangères, y compris celles présentes depuis longtemps en France : enfermement et expulsions de personnes protégées au titre de la vie privée et familiale, refus ou retrait du droit au séjour au motif de menaces à l’ordre public, rétablissement du délit de séjour irrégulier, atteintes au droit à la santé et à la vie familiale, restriction de l’accès aux titres de séjour pour étudiant-e-s et personnes malades, mise en place et renforcement de tous les freins à l’intégration, etc. Faute de titre de séjour, la vie d’un nombre croissant de personnes étrangères en France, extrêmement précarisée, sera rendue infernale.
Les principes d’égalité, de solidarité et d’humanité, qui fondent notre République, semblent ne plus être aujourd’hui une boussole légitime de l’action gouvernementale. Face à ce marasme politique, nos associations, collectifs et syndicats appellent les parlementaires attaché-e-s à ces principes à un sursaut, en rejetant ce texte aussi inhumain que dangereux pour notre Etat de droit.
Organisations signataires : Action contre la faim, Anafé, ANVITA, CCFD-Terre Solidaire, Centre Primo Levi, Cimade, Collectif des Sans-Papiers de Montreuil (CSPM), Collectif des Travailleurs Sans-Papiers de Vitry 94 (CTSPV 94), Coordination 75 des Sans-Papiers (CSP 75), CRID, Dom’Asile, Droit à l’école, Emmaüs France, Emmaüs International, Emmaüs Roya, Fédération de l’Entraide Protestante, Fédération Etorkinekin Diakité, Femmes de la Terre, Fondation Abbé Pierre, Français langue d’accueil, Les Francas, France terre d’asile, Geres, Gisti, Grdr Migration-Citoyenneté-Développement, Groupe accueil et solidarité (GAS), JRS France, Kabubu, LDH (Ligue des droits de l’Homme), Ligue de l’enseignement, MADERA, MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples), Observatoire international des prisons – section française (OIP-SF), Oxfam France, Pantin Solidaire, Paris d’Exil, Pas Sans Nous, Polaris 14, Sidaction, SINGA, Solidarités Asie France (SAF), Thot, Tous Migrants, UEE (Union des Etudiants Exilés), Union syndicale Solidaire, UniR (Universités & Réfugié.e.s), Utopia 56, Watizat.
Paris, le 19 décembre 2023
Je ne pense qu’à ça
Ici, à Châteaubriant, nous avons des amis sans-papiers, certains sont là depuis plus de 5 ans et attendent une réponse de la Préfecture, qui ne vient pas. Nous pensons à eux, beaucoup, avec angoisse.
La loi honteuse
Une opposition frontale à la nouvelle loi immigration. Tous les départements à gauche - 32 au total et parmi eux notamment Paris, la Seine-Saint-Denis, la Gironde ou encore le Lot, ont annoncé ce mercredi qu’ils n’appliqueraient pas le durcissement des conditions de versement aux étrangers de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) prévu par la loi Immigration, adoptée mardi à l’Assemblée nationale.
« Nous, présidentes et présidents de départements de gauche, refusons l’application du volet concernant l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) de cette loi inspirée par l’extrême-droite, portée par un exécutif qui prétendait incarner la modération et qui n’est désormais plus que l’illustration de la compromission », ont-ils avancé dans un communiqué.
« Nous appliquerons les droits et les principes constitutionnels de notre pays. La Ville de Paris (également un département, NDLR) ne pratiquera pas la préférence nationale pour nos aînés en ce qui concerne l’allocation personnalisée d’autonomie », a pour sa part déclaré la maire de la capitale Anne Hidalgo, jugeant par ailleurs la loi « honteuse ».
Recul inédit des droits humains
La volonté du Gouvernement de faire voter une loi immigration, une de plus, devait-elle conduire à adhérer aux propositions de l’extrême droite fondées sur la notion, discriminante, de préférence nationale ?
Au-delà des péripéties parlementaires, des négociations publiques ou secrètes, le texte issu des discussions en commission mixte paritaire et adopté par le Sénat et l’Assemblée nationale bafoue plusieurs des principes sur lesquels est fondée notre République : égalité, respect de l’état de droit, solidarité et humanité…
Avant même que le Conseil Constitutionnel fasse un utile rappel à l’ordre de ces principes et de leur traduction dans la loi, la CNCDH*, dans sa mission de conseil indépendant des pouvoirs publics, élève à l’encontre de la loi votée le 19 décembre une grave alerte.
On ne peut en effet construire une politique migratoire et d’intégration sur le fondement d’un principe de discrimination contraire aux valeurs de la République. Priver les personnes immigrées, en situation régulière ou non, de l’accès aux droits fondamentaux c’est risquer de les placer dans des situations de précarité intolérables.
La mise en œuvre d’une politique fondée sur le respect des droits humains des personnes migrantes est la seule garante de l’intégration qu’elles doivent pouvoir légitimement souhaiter pour vivre dignement en France.
La mise en œuvre d’une politique fondée sur le respect des droits humains des personnes migrantes est la seule garante de l’intégration qu’elles doivent pouvoir légitimement souhaiter pour vivre dignement en France.