Ecrit le 1 septembre 2021
Source : laquadrature.net
L’obligation du passe sanitaire manifeste de nombreuses incohérences. Par exem-ple, tout comme pour les écoles, la rentrée universitaire s’effectuera en 100% présentiel pour la totalité des étudiants. Le « pass sanitaire » ne sera pas exigé pour accéder aux enseignements, et ne pourra s’appliquer que pour certaines activités festives, culturelles, sportives et éducatives accueillant des participants extérieurs ou dont l’effectif sera supérieur à 50 personnes. En même temps, si vous allez acheter un croissant dans une boulangerie, vous n’avez pas le droit de commander un café pour le consommer sur la terrasse extérieure ! Tout est fait pour vous inciter à vous faire vacciner même si le vaccin reste non-obligatoire.
Les critiques du passe sanitaire dénoncent unanimement un « danger autoritaire ». Assez justement, la CNIL elle-même présente ce danger comme « le risque d’accoutumance et de banalisation de tels dispositifs attentatoires à la vie privée et de glissement, à l’avenir, et potentiellement pour d’autres considérations, vers une société où de tels contrôles deviendraient la norme et non l’exception ».
Le site laquadraturedunet.com détaille ce danger et répond à la question : de quel type de surveillance le passe sanitaire est-il l’expression ?
Il existe déjà de nombreux « dispositifs attentatoires à la vie privée » : écoutes téléphoniques, fichage, caméras, drones, géolocalisation, logiciels espions plus ou moins faciles à déployer, à plus ou moins grande échelle, de façon plus ou moins visible et avec des conséquences très variables. Le passe sanitaire, lui, permet d’exclure de certains emplois, transports et lieux des personnes dont la situation diffère de certains critères fixés par l’État.
Formulé ainsi, ce mode de régulation n’a rien de nouveau. c’est notamment de cette façon que l’État français traite les personnes étrangères : l’accès aux transports vers le territoire national, puis l’accès au séjour et à l’emploi sur le-dit territoire n’est permis que si la situation des personnes étrangères est conforme à des critères fixés par l’État (situation personnelle familiale et économique, pays d’origine, âge). Le respect des critères est vérifié une première fois en amont puis se traduit par la délivrance d’un titre : visa, cartes de séjour, etc. Ensuite, la police n’a plus qu’à contrôler la possession de ces titres pour contrôler la situation des personnes, puis leur ouvrir ou leur fermer les accès correspondants. En menaçant d’exclure du territoire ou de l’emploi les personnes ne disposant pas du bon titre, l’État déploie une lourde répression : les conséquences pour les personnes exclues sont particulièrement dissuasives.
Toutefois, jusqu’Ã peu, ce type de répression avait d’importantes limitations pratiques : les titres ne pouvaient être délivrés qu’avec un certain délai et de nombreux policiers devaient être déployés pour les vérifier. Le passe sanitaire utilise des évolutions techniques qui pourraient supprimer ces anciennes limites et permettre à cette forme de répression de s’appliquer à l’ensemble de la population, pour une très large diversité de lieux et d’activités.
Au cours de la dernière décennie, la majorité de la population française (84% en 2020) s’est équipée en smartphone muni d’un appareil photo et capable de lire des code-barres en 2D, tels que des codes QR. En parallèle, l’administration s’est largement appropriée les outils que sont le code-barre en 2D et la cryptographie afin de sécuriser les documents qu’elle délivre : avis d’imposition, carte d’identité électronique Si ces évolutions ne sont pas particulièrement impressionnantes en elles-même, elles permettent de confier à des dizaines de milliers de personnes non-formées et non-payées par l’État (mais simplement munies d’un smartphone) la mission de contrôler l’ensemble de la population à l’entrée d’innombrables lieux publics, et ce, à un coût extrêmement faible pour l’État puisque l’essentiel de l’infrastructure (les téléphones) a déjà été financé de manière privée par les personnes chargées du contrôle.
Le contrôle des corps
désormais, et soudainement, l’État a les moyens matériels de réguler l’espace public de façon presque totale.
La crise sanitaire a très certainement facilité ces évolutions mais cet emballement dramatique des pouvoirs de l´Ã‰tat s’inscrit dans un mouvement d’ensemble déjà à l’œuvre depuis plusieurs années. Prenons le cas emblématique des caméras : jusqu’à peu, la police était matériellement limitée à une politique de vidéosurveillance ciblée. La reconnaissance faciale rend presque triviale l’identification des personnes filmées. l’analyse automatisée d’images permet de détecter en continu tous les événements définis comme « anormaux » : faire la manche, être trop statique, courir, former un grand groupe de personnes, dessiner sur un mur qu’il s’agisse du passe sanitaire ou de la détection automatique des comportements « anormaux », ces systèmes ne nécessitent pas forcément un contrôle d’identité. Le logiciel d’imagerie qui signale votre comportement « anormal » se moque bien de connaître votre nom. De même, en théorie, le passe sanitaire aussi pourrait fonctionner sans contenir votre nom. Dans ces situations, tout ce qui compte pour l’État est de diriger nos corps dans l’espace afin de renvoyer aux marges celles et ceux qui : peu importe leurs noms : ne se conforment pas à ses exigences.
Ce contrôle des corps se fait en continu et à tous les niveaux. d’abord pour détecter les corps jugés « anormaux », que ce soit par leur comportement, leur apparence, leur visage, leur statut vaccinal, leur âge Ensuite pour contraindre les corps et les exclure de la société, que ce soit par la force armée de la police ou par des interdictions d’entrée. Enfin pour habiter les corps et les esprits en nous faisant intérioriser les règles dictées par l’État et en poussant à l’auto-exclusion les personnes qui ne s’y soumettent pas. Tout cela à l’échelle de l’ensemble de la population.
l’adoption massive du passe sanitaire aurait pour effet d’habituer la population à se soumettre à ce contrôle de masse, ce qui s’inscrit dans la bataille culturelle plus large déjà initiée par le gouvernement, notamment autour des caméras. Cette accoutumance permettrait à l’État de poursuivre plus facilement sa conquête totale de l’espace public. Pourtant, paradoxalement, dans son format actuel, le passe sanitaire n’apparaît pas comme étant lui-même un outil de régulation très efficace. Il semble difficile d’empêcher les médecins qui le souhaitent de fournir des passes à des personnes qui ne devraient pas en recevoir et qui, elles, peuvent facilement les partager avec d’autres personnes.
hélas, il semble plus sérieux d’envisager le scénario inverse : l’inefficacité du passe sanitaire pourrait servir de prétexte pour le perfectionner, notamment en permettant aux contrôleurs non-policiers de détecter les échanges de passe par exemple en affichant le visage des personnes contrôlées.
Au plan juridique et politique, l’État est soumis à une règle simple mais fondamentale : il a l’obligation de prouver qu’une mesure causant des risques pour les libertés fondamentales est absolument nécessaire avant de la déployer. Il s’y est refusé.
Il faut encore une fois redouter que ce genre d’outil, une fois banalisé, soit mis au service d’injonctions dépassant largement ce cadre. Cette crainte est d’autant plus pesante que ce processus a déjà commencé au sein de la Technopolice, qui esquisse d’ores et déjà un mode de régulation sociale fondé sur la détection et l’exclusion de toute personne considérée comme déviante ou comme ayant un comportement « anormal » aux yeux de l’État et des entreprises de sécurité qui définissent ensemble et de manière opaque les nouvelles normes de comportement en société.
Dernier rappel stratégique : si le gouvernement français se permet d’imposer de tels outils de détection et d’exclusion des personnes qu’il juge indésirables, c’est notamment car il peut reprendre à son compte, et redynamiser à son tour, les obsessions que l’extrême droite est parvenue à banaliser dans le débat public ces dernières années afin de traquer, de contrôler et d’exclure une certaine partie de la population. La lutte contre les risques autoritaires du passe sanitaire serait vaine si elle ne s’accompagnait pas d’une lutte contre les idées d’extrême droite qui en ont été les prémices. La lutte contre le passe sanitaire ne doit pas se faire avec, mais contre l’extrême droite et ses obsessions, qu’elles soient dans la rue ou au gouvernement.