Ecrit le 16 décembre 2015
Le Relais Assistantes Maternelles de Châteaubriant avait invité Delphine Hervier, intervenante au centre de formation des travailleurs sociaux de la Région Pays de Loire, pour parler des peurs de l’enfant. Etaient présentes : des assistantes maternelles, des mamans et un seul homme (en âge, lui, d’être grand-père !). Les hommes se désintéressent des enfants ?
« La peur, dit-elle, est une émotion devant un danger ». Elle est normale, au point qu’on peut dire que quelqu’un qui n’a pas peur n’est pas normal, car il risque de se mettre en danger ou de mettre les autres en danger.
Il y a toutes sortes de peurs : la peur fugace (rapide et spontanée), la peur dont on se joue, qu’on soit petit ou grand ; la peur qui paralyse au point d’en arriver à la panique (phobie). Le problème n’est pas d’avoir peur. Le problème se situe dans le comportement qu’on adopte face à cette peur : fuite ou combat ?
Coucou, fais-moi peur
La peur est une émotion universelle, qu’éprouvent les enfants très jeunes :
- - la peur de la mer : engloutissement, dévoration.
- - la peur de la nuit, la peur du noir, où l’enfant n’a plus la même représentation de l’espace, où le moindre craquement de plancher fait penser à un monstre.
- - la peur du loup et des monstres (sorcière, robot) : l’angoisse d’être broyé, avalé, morcelé.
La peur provoque à la fois l’inquiétude et l’excitation. L’enfant, face à la mer, s’enfuit .. et revient quand la vague décroît. Il apprivoise sa peur.
La peur est utile, pour éviter à l’enfant de se brûler ou de passer par la fenêtre. La peur peut être expérimentée par le biais des contes et des livres en général. Les contes aident les enfants à accepter les émotions. Avec « Le Petit Poucet » par exemple, ils expérimentent l’abandon par les parents, la nécessité de se débrouiller seul dans une forêt immense, de faire preuve d’initiative , d’astuce (et quel bonheur quand ça se termine bien !). Avec « Cendrillon » l’enfant peut revivre des situations de conflit qu’il a connues avec ses frères et soeurs. Les livres permettent à l’enfant d’expérimenter diverses situations, d’exorciser sa peur, de ressentir physiquement les symptômes de la peur et de trouver la sécurité sur les genoux de maman ou les bras de papa. Delphine Hervier dit que la peur, chez l’enfant, est à la fois redoutée et attendue. Avec les jeux de « coucou, me-voilà » de cache-cache, l’enfant maîtrise mieux l’émotion de la séparation, et voit que l’adulte, lui aussi, peut se retrouver seul, perdu
Les adolescents sont friands aussi de cette littérature de peur. Et les adultes qui aiment les films d’horreur ou les thriller sont également à ce stade : avoir peur, bien assis sur son fauteuil, et retrouver le soleil au sortir de la salle.
Le nouveau-né : Dépendance et attachement
Se référant à DW Winnicott, Delphine Hervier a détaillé trois étapes successives dans l’évolution de l’enfant :
- - l’Étape de dépendance absolue : l’enfant n’est pas capable de reconnaître si les soins maternels sont bons ou mauvais. Il en tire profit ou en souffre, et là s’arrête sa participation.
- - l’Étape de dépendance relative : l’enfant se rend compte des soins dont il a besoin. Il les relie à des impulsions personnelles. Il n’est pas encore capable de s’en passer mais il sait que, s’il pleure, sa mère répondra.
- - l’Étape d’indépendance : l’enfant peut se passer des soins, en emmagasinant des souvenirs. Il possède une certaine compréhension intellectuelle et est capable de différer. Quand il a faim, il sait attendre un peu, et sait imaginer le biberon pour patienter. Il apprend l’attente, les frustrations, le décalage entre son besoin et la satisfaction de son besoin.
Jusqu’à deux ans environ, l’enfant a besoin, pour connaître un développement social et émotionnel normal, de développer une relation d’attachement avec au moins une personne qui prend soin de lui de façon cohérente et continue. Cette théorie a été formalisée par le psychiatre et psychanalyste John Bowlby. Boris Cyrulnik, de son côté, a montré que cet attachement, s’il est continu, stable, chaleureux, et surtout accessible lorsque l’enfant se sent inquiet, donne à l’enfant un sentiment de sécurité lui permettant l’exploration du monde qui l’entoure.
La peur est une des quatre grandes émotions de base que rencontre l’être humain dans la vie. Les trois autres sont la joie, la tristesse et la colère. Chacune d’elles a son utilité.
Le temps de l’apprivoisement de la peur puis de son dépassement ouvre les portes du courage et de l’estime de soi.
Peurs et angoisses
- J’ai pas peur du loup - dessin de Moon 06 87 32 77 47
Puis Delphine Hervier est revenue sur certains éléments particuliers :
- - la dépression du tout-petit peut venir d’un manque de soins des parents et provoquer des pleurs et puis une attitude de repli sur soi, abattement, retard du développement avec, aussi, asthme ou eczéma. Le parent dépressif peut déstabiliser l’enfant.
- - l’angoisse du 8e mois – c’est le moment où l’enfant distingue dans son entourage des figures inconnues, il en a peur, refuse d’être touché, d’aller dans les bras d’un inconnu. Il a besoin d’être alors encouragé par des paroles rassurantes.
- - les troubles du sommeil marquent l’inquiétude de la séparation, c’est la peur de lâcher prise, la peur d’être anéanti. Et si l’enfant fait des cauchemars ? Pas de panique ! Le cauchemar permet d’évacuer les choses angoissantes du quotidien.
Période oedipienne
Entre 3 et 8 ans, l’enfant est en période oedipienne, la petite fille veut épouser son père et se met en concurrence avec sa mère, de même le petit garçon veut épouser sa mère. C’est une période difficile où l’enfant doit apprendre la différence des sexes et des générations, c’est un vrai travail de renoncement où, avec le soutien des parents, il doit intégrer les règles de la vie en société, et construire sur ’’surmoi’’. Si tout se passe bien, il peut mettre son énergie à découvrir le monde et à apprendre à l’école.
C’est le temps des phobies que l’on peut déceler en observant les stratégies d’évitement de l’enfant. Angoisse de castration, angoisse de séparation, peur du noir, terreurs nocturnes ...
Face à la peur, que faire ? Ne pas nier, ne pas minimiser, ne pas se moquer, ne pas forcer l’enfant, ne pas surprotéger non plus (laisser l’enfant prendre des risques).
Chaque peur mérite un accueil respectueux : que l’enfant se sente le droit d’avoir peur, qu’une présence affectueuse l’accompagne en favorisant la parole de l’enfant. Donner à l’enfant les moyens d’exprimer ses peurs par différents médias : le jeu, le dessin, la peinture, les marionnettes… L’aider à trouver, en lui-même, le moyen de se protéger. Le souvenir des peurs qu’il a vaincues peut insuffler à l’enfant de la confiance pour faire face à la nouvelle. Enfin, il importe d’aider l’enfant à découvrir ses propres limites.
Ecrit le 16 décembre 2015
La peur actuelle
« Je ne sais guère par quels ressorts la peur agit en nous ; mais c’est une étrange passion ; et les médecins disent qu’il n’en est aucune qui emporte plutôt notre jugement hors de sa due assiette. De vrai, j’ai vu beaucoup de gens devenus insensés de peur ; et aux plus rassis, il est certain, pendant que son accès dure, qu’elle engendre de terribles éblouissements. […] combien de fois a-t-elle changé un troupeau de brebis en escadron de corselets ? des roseaux et des canes en gens d’armes et lanciers ? nos amis en ennemis ? […] C’est de quoi j’ai le plus de peur que la peur. » (Michel de Montaigne, Les Essais, I, XVIII, 1533-1592)