Ecrit le 13 février 2019
Une bataille de pelochons
Une solution simple pour améliorer le sommeil des adolescents
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Un sommeil de bonne qualité est synonyme de cerveau en bonne santé : c’est le message que font passer les neuroscientifiques. Mais parents, médecins et éducateurs se démènent encore pour trouver les meilleures façons d’améliorer le sommeil des adolescents. Certains ont demandé à retarder l’entrée à l’école ou à limiter le temps passé devant les écrans avant le coucher, afin d’obtenir des gains en termes de scolarité, de santé, ou même d’économie. Pourtant, selon des estimations récentes, environ la moitié des adolescents aux États-Unis continuent à manquer de sommeil.
(ndlr : en France, près de neuf jeunes sur dix âgés de 15 à 24 ans estiment manquer de sommeil, selon une enquête conjointe de la MGEN et de l’Institut National du Sommeil et de la Vigilance).
Ces chiffres sont alarmants, car le sommeil est particulièrement important au cours de l’adolescence, période durant laquelle surviennent des changements cérébraux d’envergure qui affectent l’apprentissage, la maîtrise de soi et les systèmes émotionnels. Par ailleurs, les déficits de sommeil sont encore plus grands chez les jeunes économiquement défavorisés que chez les jeunes plus aisés.
Les recherches du laboratoire GalvanLab, spécialisé en neurosciences du développement, ont montré qu’il existe un remède d’une simplicité déconcertante à ce problème de privation de sommeil : fournir aux adolescents un bon oreiller.
Étant donné que l’obtention d’une literie confortable ne nécessite la mise en place d’aucune technologie particulière, et ne requiert ni intervention coûteuse ni important investissement en temps, cette solution est pourrait avantageusement améliorer le sommeil des adolescents en manque de ressources.
Cohérence plutôt que quantité
Les études de ce laboratoire montrent que des différences apparemment minimes dans la qualité et la durée du sommeil aboutissent à une véritable différence dans la façon dont le cerveau traite l’information.
Le sommeil agit comme une colle : il consolide les informations récemment apprises en les encodant en connaissances à long terme. Il aide aussi à atténuer les comportements hyperactifs, les réactions émotionnelles fortes et l’agitation. Ce faisant, le sommeil améliore la concentration à l’école. Cela signifie que les élèves habituellement renvoyés de la classe pour comportement perturbateur sont plus susceptibles de rester en classe s’ils ne sont pas privés de sommeil. Or un plus long temps passé en classe se traduit par davantage d’apprentissages.
Mes collègues et moi-même, dit Adriana Galván, avions d’abord émis l’hypothèse que le nombre d’heures de sommeil était le facteur le plus important pour que le développement du cerveau se fasse correctement au fil du temps. Mais, après avoir mis en place une étude pour tester cette idée, nous avons été surpris par les résultats obtenus. En fait, les adolescents qui avaient, d’une semaine scolaire à l’autre, un sommeil irrégulier (variant jusqu’à 2,5 heures d’une nuit sur l’autre), présentaient un an plus tard moins de connexions nerveuses dans leur matière blanche cérébrale que ceux dont le nombre d’heures de sommeil par nuit était plus constant.
Or les connexions au niveau de la matière blanche aident à traiter l’information efficacement et rapidement : elles relient différentes régions du cerveau, comme les autoroutes relient les villes. l’adolescence est une période importante pour paver toutes ces autoroutes cérébrales, et nos travaux suggèrent que le sommeil peut s’avérer vital pour cette construction.
Un meilleur sommeil repose sur une meilleure literie
Quels sont, alors, les principaux ingrédients du sommeil qui contribuent au développement sain du cerveau ? Afin de répondre à cette question, le laboratoire a conçu une étude scientifique.
« Nous avons recruté 55 lycéens de Los Angeles âgés de 14 à 18 ans, issus de différents milieux socio-économiques, puis les avons équipés d’actigraphes, des moniteurs de type montre-bracelet qui mesurent la qualité du sommeil. Une meilleure qualité de sommeil se définit par un plus faible nombre de réveils chaque nuit. Les réveils sont des moments de la nuit où les rythmes de sommeil sont perturbés et où la personne est brièvement éveillée, ou passe à un stade de sommeil plus léger, qu’elle en ait conscience ou non. Les adolescents qui ont participé à notre étude subissaient en moyenne cinq réveils par nuit, durant de moins d’une minute à plus d’une heure ».
« Au bout de deux semaines, les participants sont venus au laboratoire pour passer un scanner du cerveau. Nous voulions mesurer les connexions entre les circuits cérébraux impliquées dans la maîtrise de soi, le traitement des émotions et des récompenses : les mêmes que celles qui sont importantes pour réduire l’impulsivité et rester concentré en classe. Comme on pouvait s’y attendre, les adolescents ayant une meilleure qualité de sommeil avaient une meilleure » connectivité cérébrale « . En d’autres termes, les con-nexions entre les principales régions du cerveau étaient plus fortes chez eux ».
L’expérience subjective d’un endroit confortable pour dormir était essentielle. « Mais la découverte la plus importante et la plus surprenante a été celle que nous avons faite lorsque nous avons cherché à identifier les raisons pour lesquelles certains adolescents dormaient mieux que d’autres. Était-ce parce que leur chambre recélait moins de technologie ? Parce qu’elle était plus sombre ? Plus calme ? Parce que leur statut socio-économique était plus élevé ? Pas selon nos travaux ».
Alors, quel est l’oreiller parfait ? il n’existe pas de solution universelle. Certaines personnes se trouveront apaisées par un oreiller plat comme une crêpe, et y trouveront un sommeil réparateur. d’autres préféreront un énorme oreiller bien moelleux. « En outre, bien que nos résultats les plus probants aient concerné le degré de confort de l’oreiller, la qualité de la literie en général s’est aussi révélée importante ».
Améliorer le sommeil pour améliorer le rendement scolaire
Quel que soit le domaine évalué, les jeunes élevés dans la pauvreté obtiennent de mauvais scores. Comparativement à leurs pairs plus aisés, ils affichent de moins bons résultats scolaires et cognitifs, ainsi qu’un bien-être psychosocial et une santé physique médiocres. Ces écarts ont fait l’objet d’intenses débats et recherches, mais persistent et demeurent importants.
Certaines de ces différences de résultats entre adolescents à revenu élevé et adolescents à faible revenu peuvent en partie s’expliquer par la disponibilité et la qualité des moyens permettant de combler leurs besoins fondamentaux, tels que nourriture, santé, chaleur et refuge procurés par les parents Mais les chercheurs ont sous-estimé l’importance du sommeil : un besoin fondamental tout aussi important que les autres, dont l’amélioration pourrait constituer une solution encore inexploitée pour réduire ces écarts.
De nombreux programmes ont pour objectif de les limiter. Une façon d’y parvenir pourrait être de focaliser les interventions sur des cibles accessibles et réalistes, pour améliorer le fonctionnement quotidien. Le sommeil pourrait être l’une de ces cibles. Il est relativement facile à quantifier et à suivre, il est affecté par les habitudes quotidiennes, lesquelles peuvent être modifiées (surveillance parentale, changement des routines horaires du coucher), et les résultats obtenus en matière d’apprentissage, de vie sociale et de santé y sont directement reliés.
A une époque où l’on frôle parfois l’hystérie lorsque l’on aborde la question des effets de la technologie sur le sommeil et le développement du cerveau, on accorde encore peu d’attention aux éléments de base permettant aux adolescents de bien dormir. s’assurer qu’ils disposent d’une literie confortable peut contribuer à améliorer la qualité de leur sommeil, en particulier dans les familles les plus pauvres. Et il est beaucoup plus facile de convaincre parents et adolescents d’investir dans des oreillers que de leur demander de se chamailler sur l’utilisation du téléphone portable.