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Ecrit le 9 septembre 2020
De nombreux poètes ont chanté l’école au XXe siècle : voici quelques poèmes :
Le cancre
Il dit non avec la tête
Mais il dit oui avec le cœur
Il dit oui à ce qu’il aime
Il dit non au professeur
Il est debout
On le questionne
Et tous les problèmes sont posés
Soudain le fou rire le prend
Et il efface tout
Les chiffres et les mots
Les dates et les noms
Les phrases et les pièges
Et malgré les menaces du maître
Sous les huées des enfants prodiges
Avec des craies de toutes les couleurs
Sur le tableau noir du malheur
Il dessine le visage du bonheur.
Jacques prévert
Page d’écriture
Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit font seize répétez ! dit le maître Deux et deux quatre quatre et quatre huit huit et huit font seize.
Mais voilà l’oiseau-lyre qui passe dans le ciel l’enfant le voit l’enfant l’entend l’enfant l’appelle : sauve-moi joue avec moi oiseau
Alors l’oiseau descend et joue avec l’enfant
Deux et deux quatre répétez ! dit le maître
Et l’enfant joue l’oiseau joue avec lui Quatre et quatre huit huit et huit font seize et seize et seize qu’est-ce qu’ils font ? Ils ne font rien seize et seize et surtout pas trente-deux de toute façon et ils s’en vont.
Et l’enfant a caché l’oiseau dans son pupitre et tous les enfants entendent sa chanson et tous les enfants entendent la musique et huit et huit à leur tour s’en vont et quatre et quatre et deux et deux à leur tour fichent le camp et un et un ne font ni une ni deux un à un s’en vont également.
Et l’oiseau-lyre joue et l’enfant chante et le professeur crie : Quand vous aurez fini de faire le pitre ! Mais tous les enfants écoutent la musique et les murs de la classe s’écroulent tranquillement. Et les vitres redeviennent sable l’encre redevient eau les pupitres rede-
viennent arbres la craie redevient falaise le porte-plume redevient oiseau.
Jacques prévert
L’écolier
J’écrirai le jeudi, j’écrirai le dimanche
quand je n’irai pas à l’école
j’écrirai des nouvelles
j’écrirai des romans et même des paraboles
je parlerai de mon village
je parlerai de mes parents
de mes aïeux de mes aïeules
je décrirai les prés je décrirai les champs
les broutilles et les bestioles {}
Raymond Queneau
Notre école
Notre école se trouve au ciel
Nous nous asseyons près des anges
Comme les oiseaux sur les branches
Nos cahiers d’ailleurs ont des ailes
A midi juste, l’on y mange,
Avec du vin de tourterelles,
Des gaufres glacées à l’orange
Les assiettes sont en dentelles
Pas de leçons, pas de devoirs.
Nous jouons quelquefois, le soir,
Au loto avec les étoiles.
Jamais nous ne rêvons la nuit
Dans notre petit lit de toile.
L’école est notre paradis.
Maurice Carême
DEVINETTE : d’où vient le terme « école buissonnière ? »
REPONSe à la DEVINETTE du dernier numéro : le suffixe y présent dans certains noms de localités est une survivance du suffixe gallo-romain iacus qui signifie « domaine de » ou « planté de » : ainsi Soligny signifie propriété de Solemnius et Coligny qui vient de Kolin-iaco, (cf. breton Kelennec) signifie lieu planté de houx.
Elisabeth Catala
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Ecrit le 9 septembre 2020
Le « nouveau » à l’école ...
Plus d’un écrivain a décrit l’arrivée d’un « nouveau » à l’école ; nous en retiendrons quatre : Balzac (1799-1850), Gustave Flaubert (1821-1880), Alphonse Daudet (1840- 1897) et Alain Fournier (1886-1914).
Dans Louis Lambert (1832), Balzac décrit ainsi l’arrivée d’un nouveau au collège des Oratoriens à Vendôme :
Le lendemain si attendu vint enfin. Un moment avant le déjeuner, nous entendîmes dans la cour silencieuse le double pas de Monsieur Mareschal et du Nouveau. Toutes les têtes se tournèrent aussitôt vers la porte de la classe. Le père Hangoult, qui partageait les tortures de notre curiosité, ne nous fit pas entendre le sifflement par lequel il imposait silence à nos murmures et nous rappelait au travail. Nous vîmes alors ce fameux Nouveau, que Monsieur Mareschal tenait par la main. Le régent descendit de sa chaire et le Directeur lui dit solennellement, suivant l’étiquette : « Monsieur, je vous amène monsieur Louis Lambert, vous le mettrez avec les Quatrièmes, il entrera demain en classe. où allez-vous le placer ? ». Il eût été injuste de déranger l’un de nous pour le Nouveau ; et comme il n’y avait plus qu’un seul pupitre de libre, Louis Lambert vint l’occuper, près de moi qui étais entré le dernier dans la classe. {} Quoique nous eussions tous passé par ce cruel noviciat, nous ne faisions jamais grâce à un Nouveau des rires moqueurs, des interrogations, des impertinences qui se succédaient en pareille occurrence. Lambert ne répondit à aucune de nos questions. L’un de nous dit alors qu’il sortait de l’école de Pythagore. Un rire général éclata. Le Nouveau fut surnommé Pythagore pour toute sa vie de collège.
* * *
La première page de Madame Bovary, roman écrit par Gustave Flaubert en 1856, décrit l’arrivée à l’école du jeune Charles Bovary qui, une fois installé comme médecin de campagne à Yonville-l’abbaye, épousera Emma Rouault, la fille d’un riche fermier normand.
Nous étions à l’étude, quand le Proviseur entra, suivi d’un nouveau habillé en bourgeois et d’un garçon de classe qui portait un grand pupitre. Ceux qui dormaient se réveillèrent, et chacun se leva, comme surpris dans son travail. Le Proviseur nous fit signe de nous rasseoir ; puis, se tournant vers le maître d’études :
– Monsieur Roger, lui dit-il à mi-voix, voici un élève que je vous recommande, il entre en cinquième. Si son travail et sa conduite sont méritoires, il passera dans les grands, où l’appelle son âge.
Resté dans l’angle , derrière la porte, le nouveau était un gars de la campagne, d’une quinzaine d’années environ, et plus haut de taille qu’aucun de nous tous. Il avait les cheveux coupés droit sur le front, comme un chantre de village, l’air raisonnable et fort embarrassé. Quoiqu’il ne fût pas large des épaules, son habit-veste de drap vert à boutons noirs devait le gêner aux entournures et laissait voir, par la fente des parements, des poignets rouges habitués à être nus. Ses jambes, en bas bleus, sortaient d’un pantalon jaunâtre très tiré par les bretelles. Il était chaussé de souliers forts, mal cirés, garnis de clous. {}
– Levez-vous, dit le professeur, et dites-moi votre nom.
Le nouveau articula, d’une voix bredouillante, un nom inintelligible.
– répétez !
Le même bredouillement de syllabes se fit entendre, couvert par les huées de la classe.
– Plus haut ! cria le maître, plus haut !
Le nouveau, prenant alors une résolution extrême, ouvrit une bouche démesurée et lança à pleins poumons, comme pour appeler quelqu’un, ce mot : Charbovari.Ce fut un vacarme qui s’élança d’un bond, monta en crescendo, avec des éclats de voix aigus (on hurlait, on aboyait, on trépignait, on répétait : Charbovari ! Charbovari !). Puis qui roula en notes isolées, se calmant à grand’ peine, et parfois qui reprenait tout à coup sur la ligne d’un banc où saillissait encore çà et là , comme un pétard mal éteint, quelque rire étouffé.
Cependant, sous la pluie des pensums, l’ordre peu à peu se rétablit dans la classe, et le professeur, parvenu à saisir le nom de Charles Bovary, se l’étant fait dicter, épeler et relire, commanda tout de suite au pauvre diable d’aller s’asseoir sur le banc de la paresse (1), au pied de la chaire.
Le nouveau resta pendant deux heures dans une tenue exemplaire, quoiqu’il y eût bien de temps à autre quelque boulette de papier lancée d’un bec de plume qui vînt s’éclabousser sur sa figure. Mais il s’essuyait avec la main et demeurait immobile, les yeux baissés.
(1) Le banc de la paresse était aussi appelé le banc des cancres.
* * *
Au premier chapitre du Petit chose (1868), roman en grande partie autobiographique, Alphonse Daudet décrit ainsi son arrivée au collège :
Ce qui me frappa d’abord, à mon arrivée au collège, c’est que j’étais le seul avec une blouse. A Lyon, les fils de riches ne portent pas de blouses ; il n’y a que les enfants de la rue, les gones (1), comme on dit. Moi, j’en avais une, une petite blouse, j’avais l’air d’un gone Quand j’entrai dans la classe, les élèves ricanèrent. On disait : « Tiens ! il a une blouse ! ». Le professeur fit la grimace et tout de suite me prit en aversion. Depuis lors, quand il me parla, ce fut toujours du bout des lèvres, d’un air méprisant. Jamais il ne m’appela par mon nom ; il me disait toujours : « Hé ! Vous là -bas, le petit Chose ! ». Je lui avais dit pourtant plus de vingt fois que je m’appelais Daniel Eys-set-te A la fin, mes camarades me surnommèrent « le petit Chose », et le surnom me resta.
Ce n’était pas seulement ma blouse qui me distinguait des autres enfants. Les autres avaient de beaux cartables en cuir jaune, des encriers de buis qui sentaient bon, des cahiers cartonnés, des livres neufs avec beaucoup de notes dans le bas ; moi, mes livres étaient de vieux bouquins (2) achetés sur les quais, moisis, fanés, sentant le rance ; les couvertures étaient toujours en lambeaux, quelquefois il manquait des pages. {}
Quant à moi, j’avais compris que lorsqu’on est boursier, qu’on porte une blouse, qu’on s’appelle « le petit Chose », il faut travailler deux fois plus que les autres pour être leur égal, et ma foi ! Le petit Chose se mit à travailler de tout son courage. {} Brave petit Chose ! Je le vois , en hiver, dans sa chambre sans feu, assis à sa table de travail, les jambes enveloppées d’une couverture. Au dehors, le givre fouettait les vitres. De temps en temps, la porte de la chambre s’ouvrait doucement : c’était Mme Eyssette qui entrait. Elle s’approchait du petit Chose sur la pointe des pieds. Chut !
" Tu travailles ? lui disait-elle tout bas.
– Oui, mère. .
– Tu n’as pas froid ?
– Oh ! Non !
Le petit Chose mentait, il avait bien froid au contraire.
(1) Le terme de gone désigne à Lyon un gamin, un gosse ; deux hypothèses s’affrontent quant à son origine : certains étymologistes pensent qu’il est issu du latin gunna (habit sans valeur), d’autres, du grec gonos (enfant).
* * *
Dans la première partie de son roman Le grand Meaulnes (1913), Alain Fournier décrit l’arrivée du « pensionnaire », un « nouveau » qui bouleversera du tout au tout la vie jusque-là tranquille du narrateur .
Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189 {} Avant sa venue, lorsque le cours était fini, à quatre heures, une longue soirée de solitude commençait pour moi. Mon père transportait le feu du poêle de la classe dans la cheminée de notre salle à manger ; et peu à peu les derniers gamins attardés abandonnaient l’école refroidie où roulaient des tourbillons de fumée. Il y avait encore quelques jeux, des galopades dans la cour ; puis la nuit venait ; les deux élèves qui avaient balayé la classe cherchaient dehors leurs capuchons et leurs pèlerines , et ils partaient bien vite, leur panier au bras, en laissant le grand portail ouvert. {}
Dès qu’il fut pensionnaire chez nous, c’est-Ã -dire dès les premiers jours de décembre, l’école cessa d’être désertée le soir après quatre heures. Malgré le froid de la porte battante, les cris des balayeurs et leurs seaux d’eau, il y avait toujours, après le cours, dans la classe, une vingtaine de grands élèves, tant de la campagne que du bourg, serrés autour de Meaulnes . Et c’était de longues discussions, des disputes interminables, au milieu desquelles je me glissais avec inquiétude et plaisir.
Assis sur un pupitre, en balançant les jambes, Meaulnes réfléchissait. Aux bons moments, il riait aussi, mais doucement, comme s’il eût réservé ses éclats de rire pour quelque meilleure histoire connue de lui seul. Puis, à la nuit tombante, lorsque la lueur des carreaux de la classe n’éclairait plus le groupe confus de jeunes gens, Meaulnes se levait soudain et, traversant le cercle pressé :
Allons, en route ! Criait-il.
Elisabeth Catala