Accueil > Thèmes généraux > Société > Coronavirus > Santé : l’étonnante omission
Ecrit le 20 mai 2020
Le 28 avril était, au niveau européen, la Journée de commémoration des travailleurs (journée internationale du souvenir de ceux qui ont perdu la vie au travail). La CES (Confédération européenne des syndicats) a demandé une nouvelle fois à la Commission européenne de donner la priorité à la santé et à la sécurité au travail dans ses plans pour les cinq prochaines années, à la lumière de la crise du coronavirus.
Les syndicats ont tiré la sonnette d’alarme pour la première fois en septembre dernier lorsque la santé et la sécurité au travail ont été omises des orientations politiques d’Ursula von der Leyen, soulignant que chaque année, 4 000 accidents mortels sur le lieu de travail et 120 000 personnes meurent d’un cancer lié au travail.
Malgré cela, la Commission a continué à négliger cette question de vie ou de mort lorsqu’elle a publié en janvier son programme de travail pour 2019 à 2024.
Dans une lettre séparée envoyée à Nicholas Schmit, le Commissaire européen pour l’emploi et les droits sociaux, la CES et les syndicats affiliés lui ont demandé de veiller à ce que le Covid-19 soit reconnu comme une maladie professionnelle.
« A la lumière des événements récents, il serait grossièrement négligent de continuer à fermer les yeux sur cette question de vie ou de mort ».
Au 15 mai 2020, le nombre de morts, pour 1 000 000 habitants, est très différent. Belgique (780 pour 1000), Espagne (585) Italie et Angleterre (510), France (410), Portugal (115), Allemagne (95), Turquie (50) ...
Pour l’italie les tentatives d’explication ont souligné le vieillissement général de la population italienne qui la rendrait ainsi plus vulnérable à un virus périlleux pour les organismes affaiblis ; le temps pris dans les hôpitaux à identifier la présence spécifique du Covid-19 chez des milliers de patients admis en masse pour des cas sévères de pneumonie ; et enfin des délais importants pris par les responsables médicaux et politiques pour décider et faire respecter des mesures de confinement. Mais ces généralités ont rapidement laissé la place à une analyse plus fine.
A y regarder de plus près, le problème de l’Italie se résume au cas de la Lombardie.Cette région du nord de l’Italie, la plus peuplée avec 10 millions d’habitants, compte, et de loin, le nombre le plus important de décès, Ce déséquilibre ne s’explique pas seulement par la démographie et appelle plusieurs remarques.
c’est tout d’abord une nouvelle illustration de la fracture entre le Nord et le Sud de l’Italie. Mais cette fois en sens inverse. Le Nord, et en particulier la Lombardie, se présente comme la région phare de l’Italie. Un laboratoire d’une Italie créatrice, laborieuse, riche, qui donne l’exemple au reste de l’Europe. Et sa capitale, Milan, se
veut la vitrine de la mode, de la haute technologie et même de l’excellence dans
le domaine médical. Trois régions du Nord, la Lombardie, la vénétie et l’Emilie Romagne, représentent plus de 40% du produit intérieur brut de l’Italie et contribuent pour plus de la moitié aux exportations italiennes.
Les élites politiques et économiques du Nord n’hésitent pas à dénigrer le Sud, affublé d’une réputation d’inefficacité, voire d’indolence, et de corruption.
Les approches pour contenir la pandémie ont été radicalement différentes : mise en quarantaine des localités les plus touchées et confinement généralisé en vénétie ; hésitation à bloquer l’économie et réduction minimale des déplacements, en Lombardie. Les résultats sont éloquents : dix fois moins de morts en vénétie qu’en Lombardie.c’est donc bien le « cas lombard » qui doit être analysé.
Trois éléments
Le premier élément est, sans aucun doute, la faiblesse du secteur de la santé publique en Lombardie. La législation italienne donne aux Régions une vaste autorité sur la gestion de leur système de santé. La Lombardie a privilégié, depuis des années, les activités les plus lucratives de la médecine spécialisée et s’est enorgueillie de l’attrait de ses institutions de santé sur une riche clientèle étrangère. Cette évolution a été accompagnée de deux phénomènes. La privatisation du secteur de la santé, avec dorénavant 50% des activités sanitaires entre les mains d’entreprises privées. Il est clair que, pour ces entreprises, des services de réanimation rapportent moins que des services de chirurgie esthétique. Et deuxièmement, la disparition des médecins généralistes de proximité, une tendance qui place en première ligne les services d’urgence des hôpitaux.
La mauvaise nouvelle pour la Lombardie, comme pour le reste de l’Italie, est que le système de santé publique a été la cible de coupes budgétaires profondes, toujours au nom du credo néo-libéral de l’efficacité du secteur privé. Entre 2010 et 2017, le budget de la santé publique en Italie a été réduit de 37 milliards €. Et le gel des recrutements a réduit de près de 43.000 les personnels de santé, toutes catégories confondues. Le nombre des lits d’hôpitaux a baissé de 3,9 pour mille habitants en 2007, à 3,2 dix ans plus tard. Bien loin de la moyenne européenne de 5 lits pour mille habitants. A titre de comparaison, l’Italie comptait 5.000 unités de réanimation avant le début de la crise du Coronavirus (comme la France) et l’allemagne 28.000. Et ce n’est pas un simple détail technique, puisque ce chiffre doit servir de base pour mesurer la capacité d’une communauté à gérer le virus. Il s’agit, en réalité, d’un facteur sanitaire et politique décisif. Plus le système de santé a la capacité d’admettre des patients en grandes difficultés respiratoires, plus le pays concerné est disposé à prendre des mesures de réouverture des activités sociales et économiques.
Deuxième élément : un autre aspect du « cas lombard » doit être souligné. La région est considérée, à juste titre, comme le moteur économique de l’Italie. Les organisations patronales ont une influence déterminante dans les choix politiques régionaux. Dès le début de la crise sanitaire, les entreprises italiennes, en majorité des PME, ont été réticentes à envisager un arrêt complet de leur activité.
Enfin, un troisième élément doit être souligné, pour faire comprendre la complexité du « cas lombard ». La corruption, c’est-Ã -dire la face cachée du capitalisme financier dont Milan est la capitale, a joué son rôle dans l’affaiblissement du système de santé de la région. En février 2019, la Cour de cassation a confirmé la condamnation de Roberto Formigoni, ancien gouverneur de la Lombardie, coupable d’avoir favorisé des fondations privées chargées de la gestion de structures de santé à Milan pour les aider notamment à recevoir des financements ... publics. Mais l’affaire Formigoni n’est qu’un aspect de l’infiltration du monde de la santé par la corruption, et par la criminalité organisée.
Le « cas lombard » sera étudié avec plus de profondeur lorsque l’urgence sanitaire se sera éloignée. Mais il porte en lui la remise en cause d’un modèle économique et politique qui a privilégié depuis les années 1980 les profits financiers sur les investissements publics. Et le démantèlement des grandes structures de solidarité sociale au profit d’une pseudo-communauté tout aussi virtuelle qu’éphémère.
Rien n’indique toutefois, qu’en Italie, la leçon de la pandémie soit apprise et retenue. Tout porte à croire, au contraire, qu’en Lombardie, comme ailleurs dans la péninsule, l’après crise ressemblera étrangement à l’avant.
et en France ??
Source : article de Jacques Charmelot, Fondation Robert Schuman
du 30 avril 2020