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Ecrit le 19 mai 2021
Pierre Moscovici, président de la Cour des Comptes, a présenté le 18 mars dernier le rapport public annuel 2021 qui propose une vingtaine de chapitres relatifs à la gestion de la crise de la Covid-19 et à l’évaluation des politiques publiques complétées avec des exemples précis de leur déploiement dans les territoires. Toutefois, cette année, le rapport ne comporte pas de chapitres relatifs aux finances publiques, le Premier ministre ayant demandé à l’institution de lui remettre des recommandations spécifiques sur ce sujet. Il ne s’attarde pas non plus sur les traditionnels indicateurs de suivi des recommandations formulées par la Cour les années précédentes.
Ce rapport illustre la volonté de l’institution de refléter la variété de l’action publique sans porter de jugements sur la gestion de la crise à ce stade, tout en publiant quelques exemples permettant d’en tirer des enseignements et ne pas se retrouver dans le même état d’impréparation lors de la prochaine crise.
Une impréparation certaine
Les premiers enseignements de ce rapport font état d’une faible anticipation de la crise de la plupart des acteurs publics, qui ont été pris au dépourvu, de même que les services publics, les établissements de santé ou encore les services de réanimation et de soins. En cause, le fait que « les acteurs publics n’accordent pas suffisamment d’attention à la gestion des risques, à leur préparation, quelle que soit leur nature ».
Dans le détail, le service public du numérique n’a pas assez contribué à la continuité scolaire car il n’a pas été pensé pour l’enseignement à distance. Son accès a donc été inégal : durant la crise, 5 % des élèves se trouvaient en rupture numérique.
Par ailleurs, le rapport souligne l’incapacité de l’Etat de prendre en charge l’hébergement et le logement des personnes sans domicile fixe pendant le premier confinement, malgré des mesures exceptionnelles de mise à l’abri prises au fur et à mesure, pour un coût de 600 millions d’euros.
Les services de réanimation et de soins critiques, et plus globalement les établissements de santé, étaient, eux aussi, mal préparés pour affronter la crise sanitaire. La Cour des comptes estime ainsi que les capacités d’accueil des services de soins critiques doivent être renforcées.
Capacité d’action et de mobilisation
Cependant, une fois la crise enclenchée, les acteurs publics ont fait preuve d’une grande réaction et d’une grande innovation, selon le rapport. Les agents publics ont su rapidement assurer la continuité des services, que ce soit dans les hôpitaux, dans l’administration fiscale ou encore à l’Unédic, qui a su rapidement adapter les règles de l’assurance chômage. Par ailleurs, s’agissant de l’aide au retour des Français retenus à l’étranger à cause de l’épidémie, les opérations de rapatriement ont été « globalement efficaces », notamment grâce à la large coopération de la compagnie Air France, permettant à 370 000 personnes de revenir, pour un coût de 8,5 millions d’euros, et de l’adaptation du ministère des Affaires étrangères.
Le rapport a aussi salué la « réactivité notable et appréciable » de la SNCF pour assurer le transport de passagers. D’autres secteurs ont également su faire preuve d’innovation, comme en matière de défense.
Autre dispositif d’urgence, le Fonds de solidarité, une des aides de soutien aux entreprises rapidement déployées par l’Etat et qui a été un véritable succès grâce au versement, pour l’année 2020, de 15,5 milliards d’euros d’aides à 2 millions d’entreprises et d’entrepreneurs individuels et indépendants. Sur ce sujet, la Cour des comptes conseille toutefois au ministère des Finances de mieux contrôler les dépenses et à surveiller où sont envoyés les
fonds.
Des finances en souffrance
Sur le plan financier, le coût pour l’Etat est très élevé, entre 160 et 170 milliards d’euros. Conséquence, entre autres, du déploiement massif du dispositif d’activité partielle, l’assurance chômage présente un déficit historique de 17 milliards d’euros. Selon la Cour des comptes, cette situation « appelle des mesures pour définir une nouvelle trajectoire financière du régime, traiter la question de la dette, de 54 milliards fin 2020, et améliorer le fonctionnement de la gouvernance, qui s’est dégradé avec la crise ». Elle estime également qu’une reprise par l’État d’une partie de la dette de l’Unédic, qui atteindrait
65 milliards fin 2021, serait « justifiée ».
Politiques publiques
D’autres chapitres, hors crise sanitaire, concernent différents domaines de l’action publique comme l’innovation en matière de défense, les ordres des professions de santé, ou encore la gestion de l’eau et de l’éclairage public dans certaines collectivités et les Chambres de commerce et d’industrie (CCI).
Concernant ces dernières, le rapport remet en cause et recommande d’évaluer leur utilité et leur financement du fait qu’elles ont, depuis 2019, dû facturer aux entreprises des prestations « concurrentes » de celles déjà proposées par des experts en conseil, afin de compenser la baisse de leur financement.
Concernant les Chambres d’agriculture, le rapport réitère sa proposition de fusionner les 102 chambres départementales, trop nombreuses et en déficit, alors même que leur budget annuel atteint 800 millions d’euros, financés aux deux tiers par des fonds publics.
Enfin, le rapport s’est penché sur la gestion de la crise par la SNCF et, si celle-ci a réussi à s’en sortir, elle accuse une perte nette de 3 milliards d’euros de
chiffre d’affaires et ses perspectives financières ne seront pas favorables pour les deux prochaines années à venir. La crise sanitaire a également mis en avant les « fragilités structurelles » du réseau ferroviaire que l’Etat ne pourra pas compenser tant que la reprise du trafic ne se fera pas de manière suffisante.
Produit intérieur brut
Selon les premières estimations de l’Insee, le Produit intérieur Brut français a chuté de 8,3 % en 2020, soit un repli inédit depuis 1945. Le premier confinement, de mi-mars à mi-mai, a conduit à une chute d’activité de plus de 30 %, en avril, par rapport à une situation « normale ». Le confinement de l’automne 2020 aurait, pour sa part, conduit à un recul de l’ordre de 10 % en novembre.
Du fait du rebond seulement partiel des recettes et d’une dépense publique toujours en hausse, le déficit public resterait très élevé en 2021. Il s’établirait selon la LFI à près de 200 Md€, soit 8,5 points de PIB. Pour sa part, la dette publique progresserait de plus de 225 Md€ en 2021, une hausse du même ordre de grandeur que celle attendue en 2020
Continuité éducative
Pour les enfants, la continuité pédagogique a surtout reposé sur la capacité de leurs parents à prendre le relais des maîtres, au risque d’un accroissement des inégalités scolaires.
Les élèves à besoins particuliers, qu’ils soient porteurs de handicap, allophones, ou affectés de problèmes de santé, ont souffert de la suspension de leur accompagnement, les ressources numériques mises en place par les rectorats à leur intention n’ayant pu se substituer efficacement à l’aide scolaire dont ils ont besoin. L’école à distance a accentué les difficultés scolaires des élèves les plus fragiles, notamment ceux de l’éducation prioritaire, et de certaines classes de l’enseignement professionnel. Outre le caractère irremplaçable, pour tous les élèves, de l’enseignement dispensé par un professeur dans le cadre de la classe, d’autres facteurs ont limité l’efficacité de l’école à distance reposant sur le numérique.
Un accès limité aux services numériques pour beaucoup d’élèves
l’accès aux services numériques a été, pour certains élèves et certaines familles, entravé par un manque d’équipement ou des difficultés de connexion. Le nombre d’élèves en rupture numérique, c’est-Ã -dire privés d’accès à un ordinateur ou autre équipement numérique avec une connexion, est évalué à près de 600 000, population qui n’est pas négligeable, même si elle ne représente que 5 % de l’ensemble des élèves. Mais un grand nombre d’autres élèves ayant accès au numérique ont rencontré des difficultés pour leur travail scolaire, en raison du partage intrafamilial des équipements ou d’une connexion de mauvaise qualité, et une proportion importante des élèves ne dispose au sein de la famille que d’un téléphone portable avec un forfait très limité.
Heureusement les flottes de tablettes ou d’ordinateurs portables financés par les collectivités dans le cadre des plans numériques successifs ont été mobilisées pour des prêts aux élèves ; des moyens de connexion ont parfois également été mis en place. Pour les élèves qui ne peuvent accéder à l’internet que dans le cadre d’un forfait téléphonique, à l’instar de ce qui a été convenu avec certains opérateurs outre-mer, la Cour recommande d’offrir à certaines catégories d’élèves, en période de crise, un accès gratuit à des données au-delà de leur forfait pour faciliter leur usage des plateformes éducatives.
Dans les faits, l’objectif prioritaire a été de maintenir le lien avec les élèves ; le numérique a été massivement utilisé pour les fonctions de communication, sans que la pédagogie évolue sensiblement pour s’adapter à l’enseignement à distance. Si la consolidation des acquis a pu pour beaucoup d’élèves être préservée, la poursuite des programmes et l’acquisition de nouvelles connaissances ou compétences a été minoritaire.
Les soins critiques
Les soins critiques, qui regroupent la réanimation, la surveillance continue et les soins intensifs, visent à prendre en charge des défaillances d’organes vitaux chez des patients en situation critique. Les politiques de santé s’y sont peu intéressées : le décret qui les réglemente date de 2002. Pourtant, ils constituent un pilier structurant de l’activité hospitalière, avec 20 % des journées d’hospitalisation complète. Depuis le début de la crise sanitaire, le niveau d’occupation de ces unités a constitué un indicateur clé dans des décisions qui ont eu des conséquences majeures sur les relations sociales, l’économie et même les libertés publiques.
Fin 2019, la France comptait 19 580 lits de soins critiques, dont 5 433 pour la réanimation. La pandémie a occasionné un double choc sur l’activité de réanimation. Le nombre d’entrées quotidiennes a connu une hausse brutale et massive (+ 65,3 % dans la semaine du 18 mars 2020). La durée d’hospitalisation en réanimation a été presque doublée.
La déprogrammation générale des soins non urgents à compter du 12 mars 2020 a conduit à un ralentissement considérable de l’activité hospitalière, qui a permis un doublement rapide des capacités de réanimation : de 5 080 lits au 1er janvier, à 10 707 lits le 15 avril par redéploiement depuis d’autres unités hospitalières, en mobilisant des médecins et infirmiers dont la grande majorité provenait d’unités concernées par la déprogrammation. L’impact de cette dernière sur la santé publique, aujourd’hui inconnu, est potentiellement lourd. l’association des établissements de santé privés à cette mobilisation a été progressive et inégale. De nombreuses évacuations ont eu lieu depuis les régions très fortement touchées. A la fin juillet 2020, 661 patients sur un total de 13945 hospitalisés en réanimation avaient été transférés, dont 166 vers d’autres pays européens.
Le taux d’équipement en réanimation a sensiblement baissé depuis 2013. Le nombre de lits n’a progressé que de 0,17 % par an, soit 10 fois moins que les effectifs de personnes âgées qui représentent les deux tiers des malades hospitalisés dans ce secteur. Le taux d’équipement en lits de réanimation n’était plus que de 37 pour 100 000 habitants de plus de 65 ans à la veille de la crise sanitaire contre 44 en 2013. En conservant son ratio de 2013, la France aurait disposé de 5 949 lits de réanimation contre 5 080 au 1er janvier 2020.
Le taux d’équipement en soins critiques présente des inégalités régionales importantes et le taux de recours à ces soins se caractérise par les mêmes inégalités. La planification hospitalière a limité son ambition à la concentration, certes souhaitable, des unités de soins critiques sur des plateaux techniques mieux étoffés. Elle devrait aussi rechercher l’adaptation du nombre de lits aux besoins croissants d’une population qui vieillit et corriger les inégalités territoriales
Des ressources humaines en forte tension
La crise sanitaire est intervenue dans un contexte de fragilité des ressources humaines. Depuis 2017, peuvent exercer la réanimation, les médecins intensivistes-réanimateurs (MIR) et les médecins anesthésistes-réanimateurs (MAR). Ces derniers, qui ont reçu une formation polyvalente, sont majoritaires. Les tours de recrutement de praticien hospitalier attestent de la difficulté à recruter des MAR et plus encore des MIR. Le taux de vacance tatutaire des praticiens hospitaliers en MAR est supérieur à la moyenne, surtout dans les établissements périphériques, et va s’accroître, compte tenu de leur pyramide des âges. Le nombre de postes de MIR proposés à l’internat demeure trop faible. Celui des MAR, beaucoup plus élevé, n’a que très peu progressé. La crise sanitaire n’a pas conduit les autorités à modifier sensible-ment ces effectifs. 28 000 infirmier(e)s exercent en soins critiques, trois fois plus que les médecins. La France n’exige pas de spécialisation pour exercer en soins critiques et ne prévoit pas de formation initiale spécifique à la réanimation.
Des tensions résultent de la difficulté à les fidéliser, avec un turn-over estimé à 24 % en 2015 et qui s’accélère. La définition des effectifs réglementaires : qui se cal-culent par référence au nombre de patients pris en charge et non par lits installés - n’apporte ni souplesse d’organisation ni marge utile en cas de suractivité. Les équipes sont jeunes, l’exercice marqué par le poids psychologique de la gestion de situations difficiles. Des choix de financement qui ont fait de la réanimation une activité structurellement déficitaire. Le mode de financement des soins critiques a participé indirectement à leur recul progressif au regard des besoins. L’ouverture d’un lit en réanimation médicale génère un déficit moyen de 115 000 € par an, résultant d’un effet de ciseau entre des baisses de tarifs et une augmentation des charges. Les baisses tarifaires conduisent à s’interroger.
La réanimation est une activité hospitalière qui ne dispose d’aucune alternative pour les patients qui en relèvent. De plus, les effectifs des unités de soins critiques sont réglementés, afin de garantir la sécurité des soins pour ces prises en charge complexes. Enfin, les taux d’occupation de ces unités sont déjà supérieurs aux recommandations des sociétés savantes, sachant que les durées de séjour y sont en réduction. Cette situation laisse donc peu de marge de manœuvre aux gestionnaires hospitaliers ; elle n’est pas favorable au développement de l’activité.
L’assurance-chômage
La situation financière de l’assurance chômage est extrêmement dégradée fin 2020 et le niveau de dette jamais atteint auparavant, dépasse largement les capacités d’apurement du régime à partir des excédents qu’il peut réaliser au cours d’un ou même de deux cycles économiques de croissance.
Si la dette reste encore soutenable actuellement au plan financier, cela résulte du niveau très bas des taux d’intérêt et de la bonne notation financière de l’Unédic. Cependant le régime n’a pas vocation à porter ni à financer une dette structurelle, dont le poids des charges annuelles pourrait devenir insoutenable financière-ment en cas de remontée des taux d’intérêt.
Une partie de cette dette étant liée à la mobilisation du régime en faveur du soutien des entreprises et des emplois pendant la crise sanitaire, la question de son traitement se pose. Afin de redonner au régime sa pleine cohérence financière, notamment sa capacité à équilibrer ses comptes en lien avec les cycles économiques, il importe de déterminer la part de la dette effectivement laissée à sa charge et celle à amortir dans le cadre plus vaste des mesures prises par l’État pour gérer le niveau historiquement haut de la dette publique, qu’il s’agisse de cantonner cette part de dette dans les comptes de l’Unédic et d’y affecter une ressource spécifique ou d’en organiser la reprise.
Source : voir le site ccomptes.fr