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Ecrit le 6 octobre 2021
En ce mois de septembre 2021, la fédération des Aveugles et Amblyopes de France a publié son étude : L’impact de la crise du covid-19 sur les personnes déficientes visuelles et les professionnels qui les accompagnent.
Forte d’une expérience de plus de 100 ans et riche de plus de 50 associations membres en métropole comme en Outre-Mer, cette fédération rassemble en son sein des militants, des professionnels et des bénévoles engagés ensemble pour réussir l’inclusion sociale et économique des personnes aveugles et malvoyantes.
La société évolue, pour autant les obstacles à l’inclusion demeurent, frein à une citoyenneté à part entière des personnes déficientes visuelles. Comme toute situation de crise, la pandémie de COVID-19 a agi comme un révélateur et un amplificateur de ces obstacles. Avec la mise en place des mesures sanitaires en mars 2020, une très large proportion de la population s’est retrouvée recluse chez elle, privée de lien social, de rencontres physiques avec les autres, de sorties et parfois privée de leur travail.
Une enquête du gérontopôle d’Ile-deFrance portant sur l’impact du Covid-19 auprès des personnes âgées vulnérables a révélé que ces dernières ont plus mal vécu la privation de lien social que la peur du virus en elle-même, ce qui est contradictoire, car l’isolement était mis en place avant tout pour leur protection.
Impactées comme tout le monde depuis un an et demi par la crise sanitaire, les personnes déficientes visuelles ont dû faire face à des problématiques qui leur sont spécifiques.
Pendant le premier confinement à partir de mars 2020, elles ont notamment rencontré des difficultés lors de leurs déplacements : limitation des services de transports adaptés, difficultés à se repérer dans l’espace dues aux diminutions drastiques des sons extérieurs (voitures, voix des passants, commerces fermés) etc.
Les personnes déficientes visuelles ont également rencontré des difficultés pour respecter les distanciations spatiales. Les gestes barrières et notamment l’interdiction de toucher, un sens pourtant indispensable pour ceux qui ne voient pas ou mal, ont également été difficiles.
A ce changement de l’environnement s’ajoute le port du masque : un participant aveugle exprime beaucoup d’anxiété, car cela ne lui permet pas de détecter les obstacles et son environnement d’une manière générale. En effet, avec le masque, il ressent les obstacles plus tard et a dû réduire sa vitesse de marche.
Au début du confinement, l’attestation dérogatoire de déplacement a par ailleurs posé problème à de nombreuses personnes déficientes visuelles qui ont souvent été dans l’incapacité de la remplir au format papier, mais aussi numériquement.
La présence des plexiglas dans les commerces a fortement posé problème à de nombreuses personnes qui ne peuvent pas voir ces obstacles en hauteur, et qui s’y sont cognées.
Par ailleurs le manque de sorties et d’activités physiques a eu des répercussions en termes de santé pour certains participants. Même les chiens-guides ont été impactés négativement par les sorties écourtées et le manque d’activité.
Le premier confinement a été souvent une période de repos, de remise en question et de temps pour soi. Le deuxième confinement a été plus difficile à vivre : « on s’est retrouvés à nouveau enfermés » « on a eu l’impression que le tunnel était long, que jamais on n’en verrait le bout, on se demandait si on reprendrait une vie normale ». Il était donc difficile de se projeter et de faire des projets à moyen et long terme, privant ainsi les personnes d’un moyen de s’accrocher psychologiquement et moralement.
Quelques rendez-vous médicaux reportés ont eu des conséquences regrettables. La vaccination n’a pas été simple : certains participants, notamment les plus âgés, n’avaient jamais utilisé la plateforme « Doctolib » auparavant, et se voyaient contraints de s’y initier par eux-mêmes pour pouvoir accéder à la vaccination. [NDLR : à la suite d’une enquête auprès des personnes âgées de la commune de Rougé, le CCAS a pu constater que 60 % d’entre eux étaient dans l’impossibilité d’obtenir un rendez-vous et de se déplacer vers le centre de vaccination distant de 7 km]
Malgré ces difficultés manifestes, plusieurs personnes ont apporté des témoignages très positifs, et ont raconté comment des commerçants leur accordaient une attention particulière depuis la pandémie.
La période de confinement a permis à une part importante des personnes rencontrées de découvrir de nouveaux outils de communication dont la visioconférence : ce sont des aspects positifs fréquemment cités. Les outils numériques peuvent être facilitateurs. Mais s’ils ne sont pas conçus nativement dans le respect de l’accessibilité universelle, ils deviennent excluants et empoisonnent le quotidien de nombreuses personnes en situation de handicap, en particulier des personnes déficientes visuelles. La suspension des rencontres physiques et la « dématérialisation » contrainte des démarches ont mis en lumière l’insuffisante prise en compte de l’accessibilité numérique.
Tout indique que la communication par visio-conférence sera durablement utilisée, au moins en complément ou pour faciliter l’organisation de certaines réunions. Pour les personnes déficientes visuelles, un avantage important par rapport aux ré-unions physiques concerne notamment les difficultés de déplacement évitées. Mais il faut prendre en compte les limitations pratiques : manque d’outils de travail (par ex. logiciels adaptés), absence d’une pièce voire même d’une table dédiée. Beaucoup d’étudiants déficients visuels d’une association de soutien aux études supérieures ont estimé que pour eux, les études à distance ont été « un peu la cata ». En effet, certains cours déposés sur la plateforme utilisée étaient non accessibles, et la plateforme elle-même était insuffisamment accessible.
L’organisation des activités au sein des associations rencontrées a dû être adaptée, elle aussi, pour respecter les nouvelles mesures gouvernementales. Les activités telles que les sorties culturelles, le sport, les ateliers de travaux manuels, ou encore les repas collectifs ont cessé. Cependant, malgré la fermeture des locaux au public, de nombreuses associations ont pu venir en aide à leurs adhérents privés d’activités et de rencontres . Elles ont proposé par exemple des réunions téléphoniques régulières. Il faut cependant noter, un peu partout, la difficulté pour mobiliser les bénévoles. Beaucoup limitaient leurs déplacements par prudence au regard de leur propre âge, et ne souhaitaient pas prendre le risque de se faire contrôler ou de faire les courses pour des adhérents déficients visuels. Beaucoup n’ont « pas retrouvé cette dynamique qu’on avait avant ». La suspension des activités associatives a donc impacté négativement la dynamique d’adhésion de plusieurs associations.
Au-delà des distances physiques observées par les passants dans la rue, ce sont tous les rapports sociaux qui ont subi une distanciation imposée, avec des effets sur le moral et l’état psychologique de nombreuses personnes déficientes visuelles rencontrées. « Si un sentiment de fatigue et de lassitude est très largement partagé, certains participants aux groupes de travail racontaient vivre une période particulièrement difficile au moment où nous les avons interrogés » dit la fédération.
Les recommandations :
â—˜ L’information fournie par le gouvernement, les collectivités et plus généralement tout organisme public ou privé délégataire d’une mission de service public se doit d’être accessible. Or à ce jour, seuls 10% des sites internet sont accessibles aux personnes aveugles.
â—˜ Proposer plusieurs modalités de contact (téléphone notamment), comme alternative à la commande en ligne.
â—˜ Permettre aux personnes déficientes visuelles de tester les outils en situation réelle et s’y former, afin qu’elles bénéficient de leur plein potentiel.
â—˜ Sensibiliser le grand public pour favoriser la compréhension des besoins et la tolérance,
â—˜ Gestes barrières et aménagements de distanciation dans les lieux recevant du public : l’indispensable accompagnement humain,
â—˜ préserver l’accès aux soins et aux accompagnements, et former les personnels,
â—˜ Garder le lien avec les personnes les plus isolées.
Lire l’étude : https://vu.fr/zqS5