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Ecrit le 7 octobre 2020
Source : blogs.mediapart.fr
Une tribune cosignée par plus de 270 spécialistes et publiée dimanche 27 septembre estime qu’« »‰il est urgent de changer de stratégie sanitaire
face à la Covid-19 « ‰ ».
Tandis que le gouvernement prépare une nouvelle loi (la quatrième en 6 mois !) prolongeant le « régime d’exception » qui a remplacé « l’état d’urgence » sanitaire, le ministère de la Santé a encore annoncé mercredi 23 septembre des mesures restrictives des libertés individuelles et collectives qu’il prétend fondées scientifiquement sur l’analyse de l’épidémie de coronavirus. Cette prétention est contestable. Nous pensons au contraire que la peur et l’aveuglement gouvernent la réflexion, qu’ils conduisent à des interprétations erronées des données statistiques et à des décisions administratives disproportionnées, souvent inutiles voire contre-productives.
Que savons-nous de cette épidémie et de son évolution ?
Le SARS-CoV-2 menace essentiellement les personnes dont le système immunitaire est fragilisé par le grand âge, la sédentarité, l’obésité, des co-morbidités cardio-respiratoires et des maladies sous-jacentes de ces systèmes. Il en découle que la priorité sanitaire est de protéger ces personnes fragiles : le respect des gestes barrières et le lavage des mains en sont deux des clés.
Le SARS-CoV-2 circule dans le monde depuis environ un an. Il continuera à circuler, comme l’ensemble des autres virus qui vivent en nous et autour de nous, et auxquels nos organismes se sont progressivement adaptés. L’espoir de faire disparaître ce virus en réduisant à néant la vie sociale est une illusion. d’autres pays, en Asie comme en Europe, n’ont pas eu recours à ces pratiques médiévales et ne s’en sortent pas plus mal que nous.
Quant à l’évolution, l’idée d’une « deuxième vague » reproduisant le pic de mars-avril 2020 n’est pas un constat empirique. c’est une théorie catastrophiste issue de modélisations fondées sur des hypothèses non vérifiées, annoncée dès le mois de mars et ressortie des cartons à chaque étape de l’épidémie : en avril lors du soi-disant « relâchement » des Français, en mai avant le déconfinement, en juin pour la Fête de la musique, en été pour les « clusters » de Mayenne ou les matchs de foot, et à nouveau cet automne face à une augmentation des cas certes significative, mais lente et grevée d’incertitudes diagnostiques. Au final, cette prétendue « deuxième vague » est une aberration épidémiologique et l’on ne voit rien venir qui puisse être sérieusement comparé à ce que nous avons vécu au printemps dernier.
On ne compte plus les mêmes choses
Nous voyons enfin que, pour des raisons difficiles à cerner (panique, pression politique ou médiatique ?), les autorités sanitaires françaises ne parviennent pas à stabiliser une communication honnête sur les chiffres de l’épidémie. Elles ont surtout abandonné l’indicateur fondamental, la mortalité, pour ne retenir que celui de la positivité de tests pourtant incapables de distinguer les sujets malades des personnes guéries. Cette politique du chiffre appliquée aux tests conduit à une nouvelle aberration consistant à s’étonner du fait qu’on trouve davantage aujourd’hui ce qu’on ne cherchait pas hier. Elle conduit par ailleurs à des classements des départements ou des régions en zones plus ou moins « dangereuses » à qui l’on donne de jolies couleurs qui cachent la fragilité et l’arbitraire du comptage : untel se retrouvera en « zone rouge » alors qu’il y a moins de dix patients en réanimation, un autre verra tous ses restaurants fermés sans que l’on ait la preuve que ce sont des lieux de contamination majeurs. Tout cela n’est guère cohérent.
Les autorités sanitaires ne s’interrogent pas non plus sur la surmortalité à venir des autres grandes causes de décès (cancers, maladies cardio-vasculaires) dont la prise en charge est délaissée, ni sur le fait qu’une partie des sujets classifiés parmi les personnes « décédées de la Covid » sont en réalité mortes en raison d’une autre pathologie mais classifiées Covid parce qu’elles étaient également porteuses du virus. Or des études récentes montrent que ce groupe pourrait constituer jusqu’à 30% des décès au Royaume Uni ces dernières semaines. Cette façon de compter de plus en plus comme « morts du Covid » des personnes en réalité atteintes avant tout d’autres maladies est probablement l’explication principale du fait que, comme cela est écrit en toutes lettres sur le site de l’INSEE : « depuis le 1ᵉʳ mai, on ne constate plus en France d’excédent de mortalité par rapport à 2019 ».
Il découle de tout ceci qu’il n’y a pas de sens à paralyser tout ou partie de la vie de la société en suivant des raisonnements qui sont parfois erronés dans leurs prémisses mêmes. Il est urgent d’arrêter l’escalade, d’accepter de remettre à plat nos connaissances scientifiques et médicales, pour redéfinir démocratiquement une stratégie sanitaire actuellement en pleine dérive autoritariste.
Les signataires
– Laurent Toubiana, chercheur épidémiologiste à l’INSERM, directeur de l’IRSAN
– Jean-François Toussaint, professeur de physiologie à l’Université de Paris, ancien président des Etats généraux de la prévention
– Laurent Mucchielli, sociologue, directeur de recherche au CNRS
– Jean Roudier, professeur de médecine, rhumatologue, directeur de l’unité INSERM UMRs 1097
– Louis Fouché, médecin, anesthésiste réanimateur à l’Hôpital de la Conception
– Olivier Lhoest, médecin anesthésiste réanimateur
et d’autres !
Une catastrophe majeure
Nos gouvernants se rendent-ils compte des risques sociaux encourus par leurs dernières décisions en matière sanitaire ?
Des retours de terrains font ressortir des données inquiétantes qui font s’alerter le Professeur Emmanuel Hirsch, Professeur d’éthique médicale, Faculté de médecine
président du Conseil pour l’éthique de la recherche et l’intégrité scientifique de l’Université Paris-Saclay
Celui-ci note que les instances décisionnelles ont provoqué une telle défiance par des décisions péremptoires rarement anticipées dans leurs conséquences et, paradoxalement, des contradictions, des indécisions, des concessions parfois incompréhensibles, au point d’en arriver à faire douter de la crédibilité même de l’action publique. L’inquiétude est telle que chacun s’attend au pire, avec le sentiment d’une impuissance politique qui pourrait en arriver à menacer l’unité nationale. A Marseille et dans sa région, l’ensemble des acteurs de la vie sociale s’insurgent contre des mesures décidées sans concertation et qui déjà , du fait de la contestation de leur justification, contraignent le gouvernement à adapter le dispositif en ajoutant à l’incompréhension, la confusion et la défiance.
Personne n’est convaincu que les mesures prescrites aujourd’hui sont de nature à compenser des mois d’atermoiement, de louvoiement
La parole publique ne semble plus crédible. L’interprétation de mesures perçues comme punitives et discriminatoires suscite des réactions d’autant plus fortes qu’elles ne semblent ni justifiées, ni proportionnées, ni homogènes et n’ont été soumises à aucune discussion associant les acteurs représentatifs du territoire. Les mesures d’accompagnement économique ne suffisent plus à compenser l’accablement, le désarroi et bientôt l’inacceptation d’acteurs au cœur de la vie sociale.
Pour ajouter à la complexité des circonstances actuelles, la dramatisation excessive de la situation est contestée par des experts de santé publique ou des intellectuels qui estiment que l’on manipule l’opinion publique en accentuant une peur injustifiée.
Un courant de pensée hostile à toute soumission de la vie démocratique à un ordre médical ou à l’expertise scientifique renforce les suspicions à l’égard de l’autorité et accentue des défiances. Certains estiment même que les stratégies gouvernementales relèvent d’enjeux politiques inavoués.
Demain, nous risquons de ne plus partager une exigence d’engagement au service du bien commun, de perdre la confiance indispensable à la volonté d’agir et de verser dans un désordre social préjudiciable à la vie démocratique.
(source : up’magazine)