Ecrit le 17 mars 2021
Alisha
Des adolescents, en classe de Troisième. Alisha et son petit ami, un jeune homme timide et solitaire, décrocheur et accroc à l’ordinateur. Mais ils se quittent et le jeune homme trouve une autre amie, constituant un couple fusionnel, coupé des autres jeunes. Et peu à peu la haine naît dans le couple envers Alisha. Irrationnelle. Le jeune homme diffuse une photo d’elle, quelque peu dénudée, sur les réseaux sociaux. Le lycée alerté convoque le jeune homme devant un conseil de discipline. Trop tard : le jeune couple tend un piège à Alisha qui sera battue et jetée dans la Seine.
C’est ainsi le résultat mortel d’un harcèle-ment et d’un affrontement de jeunes adultes, sans raison. Alisha est morte. Les deux jeunes risquent 20 ans de prison.
Sexting
Le harcèlement est un phénomène permanent mais il a pris une énorme importance depuis qu’existent des moyens modernes, le téléphone portable particulièrement. Selon le ministère de l’éducation nationale, en 2017, outre les cas où un élève est battu, bousculé, le harcèlement scolaire peut se manifester sous des formes variées telles que « les intimidations, insultes, moqueries ou menaces en ligne, la propagation de rumeurs, le piratage de comptes et l’usur-pation d’identité digitale ; la création d’un sujet de discussion, d’un groupe ou d’une page sur un réseau social à l’encontre d’un camarade de classe ; la publication d’une photo ou d’une vidéo de la victime en mauvaise posture ; sans oublier le sexting, contraction de sex et texting, défini comme « des images produites par les jeunes (17 ans et moins) qui repré-sentent d’autres jeunes et qui pourraient être utilisées dans le cadre de la pornographie infantile ». Tout est prétexte au harcèlement : le physique, le tempéra-ment, le milieu social, la culture, les origines, le style de vie, les préférences sexuelles. Les violences physiques, ver-bales ou psychologiques visent, intention-nellement ou non, à porter préjudice à l’élève ciblé, à le blesser ou à le mettre en difficulté et induisent une relation d’em-prise psychologique.
Cyber harcèlement
Trois éléments semblent faire consensus : la répétition d’actions négatives sur une période, le déséquilibre des forces entre la victime et son ou ses agresseur(s), et l’incapacité pour la victime de se défendre seule.
En l’espace de quelques années, le cyber-harcèlement s’est développé à grande vitesse dans les écoles. De la moquerie à la diffusion de photographies à caractère sexuel, cette nouvelle forme de violence représente un véritable défi pour tous les acteurs de la prévention du harcèlement scolaire. Le cyber-harcèlement a été théorisé pour la première fois en 2003 par le professeur canadien Bill Belsey. Il définit ce phénomène comme suit : « La cyber-intimidation est l’utilisation des tech-nologies de l’information et de la communication pour adopter délibéré-ment, répétitivement et de manière agressive un comportement à l’égard d’un individu ou d’un groupe avec l’intention de provoquer un dommage à autrui. ». Selon Nicole Catheline, pédopsychiatre spécia-liste de la scolarité : « le phénomène de cyber-harcèlement scolaire a débuté en 2008, et s’est traduit par une forte hausse du phénomène général de harcèlement scolaire ».
Le cyber-harcèlement impacte fortement la victime qui est confrontée sur les réseaux sociaux à ses harceleurs en dehors de l’école, et jusqu’à son domicile. Fréquemment, les élèves créent un groupe WhatsApp ou Facebook de classe dans lequel des insultes, fausses rumeurs, messages audios peuvent être adressés en un clic à toute la classe. Face à l’écran, les victimes sont très souvent seules et ne peuvent pas être aidées. Ce type de violence en ligne génère de très graves atteintes psychologiques, pouvant entraîner le suicide des victimes souvent mineures.
Facteurs de risques
Il n’y a pas de profil type d’élève harcelé ou d’élève harceleur, mais une multitude de facteurs de risques et une capacité de résilience différente pour chacun d’eux.
25 % des collégiens déclarent avoir été victimes d’atteintes en ligne en 2017. La moitié des élèves de 3e (53 %) envoient plus de 100 SMS par jour, dont un quart plus de 200. Et 32 % avouent passer quotidiennement plus de trois heures sur Internet.
L’anonymat est un élément important et spécifique du cyber-harcèlement, car une relation établie par écrans interposés ne dispose ni à la compassion, ni au respect d’autrui. L’anonymat sur les réseaux so-ciaux pourrait donc générer un sentiment d’impunité pour ceux qui s’autorisent à cyber-harceler.
Développer l’empathie
La présidente de l’association E-Enfance Justine Atlan, suggère d’établir un proto-cole de développement de l’empathie chez les plus jeunes, à l’instar des projets intergénérationnels qui favorisent l’estime de soi et la compassion, afin de limiter les comportements agressifs et violents dès le plus jeune âge. La multiplication de ces projets permettrait de limiter à terme les agressivités et les incivilités en ligne, comme dans toutes les sphères de la société.
Dans une société où l’apparence physi-que revêt un caractère fondamental, les élèves harcelés peuvent être stigmatisés et exclus pour des raisons ayant trait à leur apparence. L’apparence physique, notamment la corpulence, est la première cause de harcèlement à l’école. Les élèves porteurs de troubles cognitfs spécifiques (DYS) et/ou d’un handicap sont également des cibles idéales.
Pour que les enfants ne soient plus surpris et heurtés par la différence, il est nécessaire de leur inculquer des valeurs inclusives. L’association Phobie scolaire a ainsi préconisé de mettre en place une semaine de l’inclusion au sein de laquelle les enfants seraient amenés à faire des exposés sur les différents troubles du langage, les troubles cognitifs spécifiques DYS ainsi que sur la situation des personnes/élèves souffrant de handicap.
La question du genre est aussi une cause de harcèlement. Dans une étude socio-logique sur les établissements scolaires franciliens, le Centre Hubertine Auclert a observé que la mise à l’écart par d’autres élèves concerne deux fois plus de filles que de garçons. Ces résultats attestent d’une forme de victimisation sexuée qui révèle des formes de violences spécifi-ques selon le genre. Ainsi, plus rarement victimes de violences physiques que les garçons, les filles font davantage l’objet de rumeurs et sont plus facilement mises à l’écart et isolées : cet indicateur, selon l’étude en question, rend visible le contrôle social exercé par les pairs sur la manière de se présenter et de se conduire socialement en tant que fille/femme.
En France, l’éducation à la sexualité en milieu scolaire est prévue par la loi du 4 juillet 2001. Elle n’est pourtant pas mise en œuvre systématiquement, comme l’a constaté le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE) en 2014-2015 auprès de 3000 établisse-ments scolaires. Parmi cette cohorte d’établissements, 25 % ont déclaré ne pas avoir mis en œuvre d’actions d’éducation à la sexualité, et 64 % n’ont pas articulé cette éducation à la sexualité avec des actions de promotion de l’égalité entre les filles et les garçons.
Le harcèlement a des conséquences graves et durables pour les victimes. Une transmission des connaissances qui ne peut plus se faire. De graves répercus-sions sur la santé psychique et physique de la victime : un coût social élevé pour la société.
En novembre 2020 le député Erwan Balanant a remis un épais rapport sur la question du harcèlement scolaire et formulé 120 propositions qui ont été occultées par les préoccupations liées à la crise sanitaire. Et notamment : Renforcer la prévention et la conscience citoyenne Faire de notre société un relais pour l’éducation à la camaraderie et au civisme Ériger l’école en un lieu privilégié d’infor-mations et d’apprentissage de l’empathie. Faciliter la présence des associations d’accompagnement et de prévention du harcèlement scolaire. S’adapter aux menaces du numérique et adapter les familles. Le drame d’Alisha relancera-t-il le débat ?