Ecrit le 19 mai 2021
Nous vivons en France dans la méconnaissance des inégalités en général et des inégalités de santé en particulier. Nous vivons dans l’illusion bien commode de l’Égalité républicaine et le voile de silence dont sont recouvertes ces in-égalités permet de se prétendre « en accord » avec la devise de la République qui se suffit ainsi à elle-même. L’égalité de droit serait ipso facto une égalité de fait.
C’est confondre l’objectif et la réalité. C’est aussi un moyen de s’affirmer à bon compte comme le phare de l’humanité, ainsi qu’on le faisait aux beaux temps de l’aventure coloniale. Nous entendons cela tous les jours : nous avons le meilleur taux de dépistage, aucun pays au monde ne fait aussi bien que nous, etc. : le ridicule ne tue pas.
Passées les rodomontades d’estrade, il reste que les inégalités sont durement ressenties par ceux qui les subissent, déniées par les autres qui peuvent même y trouver quelque intérêt, inconnues du plus grand nombre. Ni les uns ni les autres n’en ont une vision claire. Essayons donc répondre à cette simple question pour laquelle on ne dispose d’aucun chiffre établi : Les habitants du monde rural ont-ils le même accès aux soins hospitaliers que les habitants des villes ? La question est évidemment importante en soi pour ce qu’elle nous dit des risques encourus par chacun mais elle est aussi révélatrice de la prise en charge par la société tout entière de la santé de chacun et, si l’on pousse les choses, du prix finalement accordé à la vie des uns et des autres.
Dire cela comme ça suppose toutefois un certain nombre de choses telles que :- « on ne va pas à l’hôpital par plaisir »,- « les soins hospitaliers en particulier et la médecine en général sont bons pour la santé ». Si la surconsommation de soins peut exister, la sous-consommation n’a en revanche pas de raison d’être. C’est une question pour laquelle les élus ne trouvent pas de réponse auprès des services « compétents » alors même qu’elle dépasse, et de beaucoup, la seule question de la santé individuelle pour parler du dynamisme des territoires et de leur attractivité.
Mais plus profondément, si inégalités il y a, cela interroge la cohésion territoriale et finalement l’attachement à la République. À quoi bon la République si elle n’assure plus les bases de l’Égalité pourtant garantie dans des domaines précisés par le préambule de 1946 ?
(propos tenus par le géographe Emmanuel Vigneron dans l’étude de l’association des maires ruraux de France)
L’association des maires ruraux de France (AMRF) a lancé une étude en décembre 2020. Les premiers constats :
► Les habitants du rural consomment 20 % de soins hospitaliers en moins que ceux des villes (à âge et sexe égal)
► L’éloignement joue partout et donne la preuve des inégalités territoriales en matière d’accès aux soins, dans un pays qui fait de l’accès de tous aux soins la base des principes de l’égalité républicaine.
► A l’inverse, les zones de forte consommation de soins hospitaliers correspondent, sauf exception, aux zones urbaines et aux couloirs de circulation les reliant ;
► La cartographie des données suggère une forte corrélation avec l’absence de médecins traitants : là où il n’y pas de médecins libéraux qui dépistent et adressent le patient à l’hôpital, moins de patients vont à l’hôpital.
► Cela traduit un vrai problème de cohésion : alors que les territoires ruraux sont attractifs,la prévention et l’accès aux soins hospitaliers y sont dégradés ;
► Ces chiffres font écho aux observations plus qualitatives de la Cour des Comptes sur les GHT (Groupement hospitalier de territoire), dont l’absence d’évaluation rend urgente la nécessité d’en revoir la gouvernance.
Vous reprendrez bien un peu de désert ?
Selon le Ministère de la Santé 9 100 000 Français (13 % de la population) vivent dans ce que l’on appelle un « désert médical », soit parce que les résidents consultent un médecin généraliste moins de 2,5 fois par an (44,4 %) contre plus de 4 en moyenne ; ont plus de 30 minutes de trajet (en voiture) pour se rendre aux urgences (31,3 %) ; ou ont plus de 10 minutes de trajet (en voiture) pour accéder à une pharmacie (6,5 %).
Pourtant, 297 000 médecins (libéraux et salariés) sont inscrits à l’ordre des médecins en 2019, soit 35 000 de plus qu’en 2010 (source : PPL G. Garot). On en dénombrait 334 pour 100 000 habitants en 2016 : c’est 60 de plus qu’en 1985, et 44 de plus que nos voisins belges (source : Insee). Le problème n’est donc pas leur nombre mais la manière dont ils sont répartis dans le pays. Faut-il maintenir la liberté d’installation des médecins ?
Un médecin généraliste sur deux est âgé d’au moins 60 ans, et la France forme 40 % de nouveaux praticiens de moins qu’en 1970. Les départs à la retraite ont été multipliés par six en dix ans et les projections anticipent une hausse continue jusqu’en 2025 (source : ministère de la Santé).
Quand il faut plusieurs mois pour décrocher un rendez-vous avec un spécialiste, qu’il est devenu impossible de trouver un médecin référent ou que le premier service d’urgence est à plus d’une heure de route, ce sont bien les fondements de notre égalité républicaine qui sont remis en cause.
Source : dossier de l’AMRF
https://www.amrf.fr