écrit le 25 août 2002
Ordre et désordre
Edito de Michel Soudais dans Politis du 22 août 2002 (extraits)
En cet été 2002, il est un désordre très inquiétant : d’un bout à l’autre de la planète, le ciel déraisonne. L’Europe centrale est sous les eaux, noyée par des pluies inhabituelles causant d’innombrables dommages aux personnes et au patrimoine économique et culturel. La raison en est un anticyclone baptisé Système V B qui se produit tous les deux ou trois ans. Un phénomène naturel donc, sauf qu’avec le réchauffement climatique on s’attend à ce que ses conséquences soient chaque fois plus dramatiques.
Ailleurs, la situation est plus tragique encore. Après une sécheresse inédite en Sibérie, d’importantes inondations ont provoqué une centaine de morts en Russie, du côté de la mer Noire. L’Asie a subi de plein fouet une série de quatre typhons. En Chine, tandis que certaines régions sont noyées sous les pires crues des dernières années, ruinant des milliers d’hectares de terres cultivables, d’autres sont menacées de grave sécheresse. La situation est assez similaire en Inde où dix-sept mille villages ont été ravagés. On n’en finirait pas d’égrainer les catastrophes climatiques d’un été pourri.
La planète est malade et la multiplication des phénomènes climatiques anormaux en est le symptôme. « météo : le grand désordre planétaire », titrait en une le Figaro, le 10 août, pour une fois bien inspiré.
Le sommet de Johannesburg
Face à ces catastrophes en chaîne, une réponse politique s’impose. A l’échelle planétaire. Le sommet de Johannesburg qui se tient du 26 août au 4 septembre 2002 peut et doit en être l’occasion.
Car, les chercheurs sont unanimes, la fréquence des événements météorologiques sévères s’accroît en même temps que leur intensité. Leur nombre a été multiplié par 4,3 entre les années 1950 et les années 1990, occasionnant des pertes économiques sept fois plus importantes. Et les courbes ne sont pas près de retomber.
Dès lors, deux solutions sont envisageables. La première consiste à s’y préparer en provisionnant des fonds grandissants pour réparer les dégâts. Ce raisonnement d’assureur répond à la logique économique. Après tout, la reconstruction est une activité comme une autre. Elle engendre des points de croissance qui compensent ceux perdus du fait des aléas climatiques. C’est vers cette solution que s’oriente l’Union européenne après la décision prise d’étudier la possibilité de mettre en place un « fonds catastrophe » doté d’une réserve de 500 millions d’euros.
La seconde, sans laquelle la première solution n’est qu’un pis-aller, consisterait à inverser la vapeur en optant radicalement - et réellement - pour un autre modèle de développement. On songe ici à ce fameux « sustainable development » lancé au Sommet de la Terre de Rio, en 1992, avant qu’une mauvaise traduction ne popularise ce concept onusien, à la fois principe de précaution et solidarité avec les générations futures, sous la forme du « développement durable ».
On songe aussi à cette « décroissance » prônée par certains, dont le paysan bio et philosophe Pierre Rabhi.. Aussi utopique qu’elle puisse paraître, la « décroissance » est une des voies possibles qui s’offrent aux politiques. Si son tort est de rompre avec l’ordre libéral et le productivisme, c’est aussi son mérite tant certains ordres apparents sont les pires désordres.
Michel Soudais, dans Politis
Ecrit le 23 juin 2004 :