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Algérie : la torture
De l’utilité d’un rapport de forces
Algérie : voici le témoignage envoyé à La Mée par André MONJARDET (andre.monjardet@wanadoo.fr)
« Appelé en ALGERIE en 1955, maintenu 28 mois »sous les drapeaux", j’ai toujours manifesté mon opposition à la sale guerre que nous menions. Je n’ai pas déserté. Par manque de courage ? Par volonté de témoigner ? Par solidarité ?
Rapidement j’étais affecté à un peloton de combat. Peu de temps après, je devais échapper de peu à une corvée de bois pour « refus d’obéissance devant l’ennemi et incitation de la troupe à la désobéissance »...
J’étais brigadier et je commandais une mitrailleuse 12/7. J’avais refusé de faire tirer « ma pièce » sur des fellahs inoffensifs ... qui remontaient tranquillement avec leurs ânes depuis le fond d’un oued sur un sentier escarpé alors que nous étions planqués en surplomb. Cet ordre inique m’était donné par le lieutenant de l’escadron qui, me connaissant et connaissant mes idées, savait que je refuserais d’obéir, ce qui pouvait justifier le Tribunal Militaire voire mieux, ma liquidation.
Le soir même, à genoux devant le mât aux couleurs, mes galons furent arrachés de mon treillis, je fus rasé devant l’escadron rassemblé en carré, habillé en « 1re tenue » (tenue d’apparât ... en plein bled pour donner sans doute plus d’allure à la cérémonie !).
Au début de la nuit, alors que nous tentions de nous endormir, le lieutenant B (1) fit irruption dans la « chambrée » et m’ordonna de descendre seul, sans arme et en pleine nuit jusqu’au poste de police distant de 200 mètres, alors que le couvre-feu impliquait que l’on tire sans sommation sur toute ombre suspecte.
Je dois la vie à mes camarades de chambrée qui se sont alors levés pour m’accompagner, ce que le lieutenant refusa. L’affaire en resta là car les armes sortirent rapidement ... de part et d’autre, et que, de part et d’autre, les culasses étaient tirées rapidement à l’arrière... Quelques longues secondes de tension intense s’écoulèrent dans un silence de mort. Ce put être le carnage... Le lieutenant n’avait qu’un revolver... nous étions armés de nos mitraillettes. Le fameux « rapport de force »... Merci les copains ! Le lieutenant tourna les talons... et nous laissa dormir...!
Cela se passait à l’escadron du 29e Dragons, sous les ordres du capitaine D (1) et du lieutenant B, en 1956. à ZEMOURAH, en petite KABYLIE, au sud-est de BORDJ BOU ARRERIDJ.
Le lendemain j’étais conduit, tondu, désarmé, délacé, déceinturé, à l’arrière d’un camion, jusqu’Ã la prison militaire de BORJ, incarcéré, d’abord avec des « droits communs » puis dans une cellule de 3 m2 où je dormis sur le sol durant plusieurs semaines ! Je passe sur la suite... les conditions d’incarcération... et le reste.
déféré devant un Tribunal militaire pour « refus d’obéissance devant l’ennemi et incitation de la troupe à la désobéissance », je ne devais pourtant jamais être traduit ni jugé. Il aurait été délicat de me fusiller. Mieux aurait valu me descendre « Ã froid »... ou « Ã chaud » !.
Ma famille aurait reçu le rapport suivant : tombé au champ d’honneur, face à l’ennemi... J’aurais reçu à titre posthume la médaille militaire. Cela n’a pas marché. Et nous n’étions plus en 1917, ni sous PETAIN. Les médias étaient alertés... et nous n’étions pas en guerre ! "
André Monjardet
05000 CHATEAUVIEUX
(1) le témoignage complet se trouve sur le site http://www.mai68.org, rubrique « AG » n°232