Accueil > Thèmes généraux > Agriculture > Nourriture > Nourriture et énergie : des fraises au CO2 et des yaourts au kilomètre
Ecrit le 30 avril 2008
Bon appétit ... D’ici à la mi-juin, la France aura importé d’Espagne plus de 80 000 tonnes de fraises. Enfin, si on peut appeler « fraises » ces gros trucs rouges et sans goût, encore verts près de la queue car cueillis avant d’être mûrs. Si le seul problème posé par ces fruits était leur fadeur, après tout, seuls les consommateurs piégés pourraient se plaindre.
Mais il faut savoir que ces fraises ont parcouru environ 1500 km en camion. A dix tonnes en moyenne par véhicule, il y a environ 16 000 camions par an à faire un parcours valant son pesant de fraises en CO2 et autres gaz d’échappement. Car la quasi-totalité de ces fruits poussent dans le sud de l’Andalousie, sur les limites du parc national de Doñana, près du delta du Guadalquivir, l’une des plus fabuleuses réserves d’oiseaux migrateurs et nicheurs d’Europe.
Il aura fallu qu’une équipe d’enquêteurs du WWF-France s’intéresse à la marée montante de cette fraise hors saison pour que soit révélée l’aberration écologique de cette production qui étouffe la fraise française (dont une partie, d’ailleurs, ne pousse pas dans de meilleures conditions écologiques).
Ce qu’ont découvert les envoyés spéciaux du WWF, et que confirment les écologistes espagnols, illustre la mondialisation bon marché.
Bromure de méthyl et chloropicrine
Cette agriculture couvre près de cinq mille hectares, dont une bonne centaine empiètent déjà en toute illégalité (tolérée) sur le parc national. Officiellement, 60 % de ces cultures seulement sont autorisées ; les autres sont des extensions « sauvages » sur lesquelles le pouvoir régional ferme les yeux en dépit des protestations des écologistes.
Les fraisiers destinés à cette production, bien qu’il s’agisse d’une plante vivace productive plusieurs années, sont détruits chaque année. Pour donner des fraises hors saison, les plants produits in vitro sont placés en plein été dans des frigos qui simulent l’hiver, pour avancer leur production. A l’automne, la terre sableuse est nettoyée et stérilisée, et la microfaune détruite avec du bromure de méthyl et de la chloropicrine.
Le bromure de méthyl est un poison violent interdit par le protocole de Montréal sur les gaz attaquant la couche d’ozone, signé en 1987 ; la chloropicrine, composée de chlore et d’ammoniaque, est aussi un poison dangereux : il bloque les alvéoles pulmonaires. Qui s’en soucie ?
La plupart des producteurs de fraises andalouses emploient une main-d’œuvre marocaine, des saisonniers ou des sans-papiers sous-payés et logés dans des conditions précaires, qui se réchauffent le soir en brûlant les résidus des serres en plastique recouvrant les fraisiers au cœur de l’hiver avec explosion de maladies pulmonaires et d’affections de la peau...
Les plants poussent sur un plastique noir et reçoivent une irrigation qui transporte des engrais, des pesticides et des fongicides. Les cultures sont alimentées en eau par des forages dont la moitié ont été installés de façon illégale. Ce qui transforme en savane sèche une partie de cette région d’Andalousie, entraîne l’exode des oiseaux migrateurs et la disparition des derniers lynx pardel, petits carnivores dont il ne reste plus qu’une trentaine dans la région, leur seule nourriture, les lapins, étant en voie de disparition. Comme la forêt, dont 2 000 hectares ont été rasés pour faire place aux fraisiers.
La saison est terminée au début du mois de juin. Les cinq mille tonnes de plastique sont soit emportées par le vent, soit enfouies n’importe où, soit brûlées sur place. Et les ouvriers agricoles sont priés de retourner chez eux ou de s’exiler ailleurs en Espagne. Remarquez : ils ont le droit de se faire soigner à leurs frais au cas où les produits nocifs qu’ils ont respirés .....
La production et l’exportation de la fraise espagnole, l’essentiel étant vendu dès avant la fin de l’hiver et jusqu’en avril, représente ce qu’il y a de moins durable comme agriculture, et bouleverse ce qui demeure dans l’esprit du public comme notion de saison. Quand la région sera ravagée et la production trop onéreuse, elle sera transférée au Maroc, où les industriels espagnols de la fraise commencent à s’installer. Avant de venir de Chine, d’où sont déjà importées des pommes encore plus traitées que les pommes françaises...
Bon appétit !
Extrait d’un article de la revue Politis du 12 avril 2007,
signé de Claude-Marie Vadrot
Tomates au kilomètre
Le savez-vous ? Les tomates bien rouges et bien dodues viennent d’Alméria, ainsi que les courgettes (2000 km). Tout ça bouffe du pétrole !
L’institut de Wuppertal pour le climat, l’environnement et l’énergie, lors d’une conférence donnée en juin 2004, a montré que les ingrédients nécessaires à la fabrication d’un simple pot de yaourt aux fraises (fruits, lait, levure, sucre, pot, opercules, étiquettes) parcouraient au total 8000 km avant d’être réunis, avec, à la clé, la consommation de 40 grammes d’équivalent-pétrole par kg de yaourt.
Source : http://www.agf.org.uk/pubs/pdfs/r1456unpub.pdf
Selon l’aDEME, la délocalisation de la production des bleu-jeans conduit leurs matières premières et les différents composants à parcourir près de 30 000 km, soit environ le tour du monde et à émettre près de la moitié du produit final en CO2.
Langoustines
Selon ATTAC (et le Canard Enchaîné du 6.02.2006), il y a un lien étroit entre le dumping social et la destruction de l’environnement. Exemple : depuis des décennies, la Young’s Seafood pêchait des langoustines en mer d’Ecosse. Elles étaient décortiquées à la machine dans deux usines proches et commercialisées sur le marché britannique. Mais le fonds d’investissement CapVest a racheté la société et modifié profondément le processus : les langoustines sont congelées sur place, puis transportées en Thaïlande où elle sont décortiquées à la main (pour 0.65 € de l’heure) puis recongelées et ré-embarquées vers l’Ecosse pour y être cuites et vendues.
Bilan : un voyage de 27 000 km pour les langoustines, 600 à 900 000 tonnes de CO2 supplémentaires et 120 emplois supprimés en Ecosse sans que le consommateur y gagne en qualité et en prix.
En plus de la casse sociale, le bas prix du transport a incité à la consommation effré-née de pétrole (dont on va manquer) et produit de plus en plus de gaz à effet de serre. Au bénéfice de quelques uns, au détriment de tous. On en voit bien les effets désastreux maintenant. Mais c’est sans doute trop tard .