Ecrit le 22 janvier 2020
démissions massives de médecins hospitaliers et d’infirmières et grèves illimitées : l’hôpital français est à bout. Le personnel est en grève dans 267 services en France, pour protester contre le manque de moyens et de personnel, la fermeture de lits. « Très vite, on s’est rendu compte qu’on était confrontés presque tous aux mêmes problèmes », témoignent les grévistes, soutenus par une intersyndicale CGT-FO-CFDT. Endettement important, course à l’activité et « tableaux Excel » chronophages, sensation d’être « un robot » obsédé par la date de sortie des malades, surcharge de travail telle qu’il faut « trier les patients » pour ménager les infirmières...
Souvenirs de Pierre Urvoy
Licenciements : en novembre 1979, c’est déjà le cas à Châteaubriant mais l’atmosphère change. Il y souffle un vent léger, un petit vent de liberté assez inhabituel. Les 320 hospitaliers osent lever les yeux et parler. Ils parlent de leur profession qu’ils aiment et de suppressions d’emplois dont ils ne veulent pas. Ils aiment leur profession et donc souhaitent délivrer des soins de qualité. Pour ce faire il faut les effectifs suffisants. Licencier des auxiliaires c’est donc aller à rebours des besoins de l’hôpital. Seulement Raymond Barre avait décidé de réduire les budgets publics, déjà en ce temps-lÃ
Je suis arrivé à l’hôpital de Châteaubriant le 1er juil. 1979. J’ai pris mon poste de cadre infirmier dans un service d’hospice « les Valides ». l’ambiance était bonne et je sentais que j’avais une équipe féminine d’agents motivée, soucieuse d’un travail bien fait. Les pensionnaires du service, ces agents les appelaient « les malades ». Je leur ai demandé immédiatement de parler des « pensionnaires » puisque c’était leur statut. Ce service était leur lieu de vie et les frais de séjour n’étaient pas pris en charge par la sécurité sociale. Ce n’était donc pas des malades. Mes deux années d’expérience à l’hôpital Corentin Celton (AP-HP) dans un service de type long séjour m’avaient été très utiles.
J’ai pris contact tout de suite avec l’équipe CFDT de l’hôpital et les rapports étaient excellents. Victor Esnault en était le secrétaire, militant reconnu et apprécié dans tout l’hôpital. Marie-Thérèse, gérard Ces relations faciles avec les unes et les autres, c’était un bonheur pour moi.
La CFDT est la première à l’initiative . Elle le sera pendant 10 ans. La CGT et Force ouvrière s’y joignent immédiatement : une assemblée générale intersyndicale du personnel est décidée ; elle a lieu un soir et le personnel y est nombreux. La décision est prise : nous marquons notre opposition aux licenciements par une journée de grève le 15 novembre. Ce jour-là est la date retenue pour une journée nationale d’action des hospitaliers. Une manifestation en ville est également décidée afin d’alerter la population. Cette date est aussi celle d’une réunion du conseil d’administration de l’hôpital.
Le 15 novembre est une journée complètement réussie du point de vue de la mobilisation. La grève est totale à l’exception, évidemment, de la sécurité des soins. Les malades n’auront jamais à en souffrir. Les étudiants infirmiers se sont joints à cette journée, ils participent également à la manifestation. A 10 heures le personnel est rassemblé devant le bâtiment de l’administration et constitue une sorte de comité d’accueil de Xavier Hunault maire de Châteaubriant qui est, de droit, président du conseil d’administration et des membres de ce conseil. Ensuite tout le monde part défiler en ville et les slogans sont dynamiques. Parmi les banderoles il y a celles demandant la reconstruction de l’hôpital : « Pour Châteaubriant nous exigeons un nouvel hôpital avec ses chirurgiens » les agents de la maternité avaient également leur banderole : « Plus de baraquements ! Une maternité conforme, un personnel suffisant ». Ces banderoles, spontanées, devaient donner sens à plus de 10 ans d’action à l’hôpital. Les grévistes partent ensuite en autocar à Nantes pour rejoindre les autres hospitaliers du département et défiler avec leurs banderoles.
Nous irons même jusqu’Ã Paris rejoindre une autre manifestation d’hospitaliers. La « pêche » des hospitaliers de Châteaubriant est remarquée.
Ce soir-là , le bonheur se lit dans les yeux de ces femmes qui, pour la plus grande partie, ont fait grève et manifesté pour la première fois. Elles ont découvert la force d’un collectif, l’audace que cela donne, la réflexion que cela engendre ensuite. Elles s’étaient pourtant fait « chambrer » par leur mari :
Lui : Tu ne vas pas fait grève, quand même. c’est un jour de paie en moins
Elle : Si, je vais être en grève avec mes collègues.
Lui : J’espère que, au moins, tu ne vas pas manifester en ville ?
Elle : Si, je vais manifester !
Lui : Alors débrouille-toi pour qu’on ne te voie pas sur les photos dans le journal !
Dans l’autocar du retour j’ai mis dans le lecteur de CD une chanson de Michel Fugain : Le chiffon rouge. « Accroche à ton cœur un morceau de chiffon rouge, une fleur couleur de sang. Si tu veux vraiment que ça change et que ça bouge, lève-toi car il est temps ».
Elles et ils s’étaient levés (es) en effet. Un ancien, militant de la CGT, disait : « On n’a jamais eu de grève comme ça à l’hôpital depuis mai 68 ». Elles et ils se souviendront de cet « Ensemble » durant 10 ans.
Des créations de postes, le conseil d’administration en a demandé ce jour-là mais la réponse de l’administration (et des politiques) s’est perdue dans les circuits compliqués qui sont les siens. Il y eut cependant quelques créations de postes dans les années qui suivirent.
Personne ne le savait, mais cette journée de grève de novembre 1979 a constitué une sorte de « trésor mémoriel ». Dans les années qui suivirent, la dynamique unitaire se remit en route autant qu’il était nécessaire pour que, un jour, le vieil hôpital de Châteaubriant soit remplacé par un tout nouvel hôpital. Car à partir de ce jour-là cet objectif de reconstruction devint notre souci, notre objectif, permanent : Un nouvel hôpital qui ouvrit 10 ans après, en 1989. Oui, ce trésor nous fut extrêmement utile. Les syndicalistes de l’hôpital, dans leurs trois composantes, avaient compris que la dimension unitaire était essentielle pour mobiliser les hospitaliers et nous nous y sommes toujours tenus.
En 1980 l’union locale CFDT publie au mois de mai un document de huit pages sur les questions de santé à Châteaubriant. La presse l’intitule : « Un cri, un appel à la population pour exiger les changements qui s’imposent ». Outre la reconstruction de l’hôpital, la CFDT demande instamment la création de postes de médecins et chirurgiens à temps plein à l’hôpital. En 1979, toute la chirurgie pratiquée à l’hôpital l’était par des chirurgiens à temps partiel exerçant, par ailleurs, à la clinique Sainte-Marie.
s’agissant des médecins y exerçant, l’hôpital ne dispose que d’un seul médecin à temps plein, tous les autres besoins en médecins sont alors couverts par des médecins libéraux ayant leur cabinet en ville. Le service de chirurgie fonctionne avec les chirurgiens de la clinique Sainte-Marie.
Le préfet de Loire-Atlantique indique, le 30 avril de cette même année, des propositions budgétaires pour la construction de lits de service actif pour l’année suivante mais les conditionne à la décision - par le conseil d’administration de l’hôpital - de création de postes de médecins et chirurgiens temps plein pour l’hôpital. « Vous n’ignorez pas qu’un hôpital comme le vôtre doit s’orienter vers la médecine » plein-temps « pour répondre de façon optimale aux besoins de la population ». A cette époque, le conseil d’administration d’un hôpital avait un rôle essentiel : ses décisions étaient indispensables pour que certaines orientations soient prises.
Nous, organisations syndicales, nous jubilons ! Contraint et forcé, Xavier Hunault fait voter ces créations de postes. Cela le mettait de mauvaise humeur lors des réunions du conseil d’administration. J’en ai été témoin. Il savait combien à l’époque, le poids des médecins était important politiquement à Châteaubriant. Or la dynamique qui se mettait en route pour moderniser l’hôpital n’avait pas une origine libérale mais une origine intersyndicale et politique de gauche.
En juillet 1980, les chirurgiens libéraux de l’hôpital démissionnent ! Ils indiquent vouloir « mettre fin à une campagne politico- syndicale de dénigrement systématique. » Un premier chirurgien à temps plein arrive à l’hôpital. Un second arrivera plus tard.
Fin 1981, l’action syndicale gagne en puissance pour la reconstruction de l’hôpital car rien n’était encore décidé ni acquis, aucun financement n’était accordé :
« ¢ Le 25 novembre, une manifestation est organisée (mercredi jour de marché) pour tirer à nouveau le signal d’alarme. La presse évoque : » un imposant défilé qui traversa le marché de Châteaubriant « »¢ Un dossier est envoyé au ministère de la santé par l’intersyndicale en décembre,
« ¢ Le contact est pris avec 17 associations ou organisations du pays de Châteaubriant : organisations syndicales, mutualistes, politiques (de gauche), familiales, paysannes... Ces 17 associations signeront une lettre commune, datée du 16 décembre, adressée au ministre de la santé demandant la reconstruction de l’hôpital de Châteaubriant. C’étaient les forces vives du pays de Châteaubriant qui appelaient au secours avec nous. »¢ A Paris, une audience est accordée à l’intersyndicale avec l’un des conseillers techniques (Yves Talhouarn) de Jack Ralite ministre de la santé à l’époque. Nous apprenons que des crédits d’études nous sont alloués pour la reconstruction de l’hôpital. Nous rentrons heureux à Châteaubriant. Allons-nous vers la fin du tunnel ? Comme à chaque étape, nous informons nos collègues.
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Mais rien ne bouge. En 1982 nous rencontrons le sous-préfet de Châteaubriant, le préfet de région à Nantes. Nous constituons encore des dossiers Au mois de mai nous revoyons Monsieur Yves Talouarn à Saint-Nazaire. Le financement des études n’est pas encore acquis dans sa totalité !
1983 : en octobre grève très suivie avec manifestation à Châteaubriant et à Nantes dans les locaux de la Ddass. Le personnel exprime son inquiétude sur le devenir de l’établissement, notamment celui de la chirurgie. Une fois encore, ils disent leur volonté que soit construit un nouvel hôpital.
En 1986, enfin, les travaux de reconstruction commencent Nous avons une entrevue à Rennes avec Edmond Hervé ministre de la santé pour s’assurer du financement complet de la reconstruction car il n’était pas obtenu. Notre inquiétude est telle que nous jugeons nécessaire d’alerter tous les maires du pays de Châteaubriant par un courrier de l’intersyndicale.
Le nouvel hôpital ouvrira en mars 1989. l’action syndicale se poursuivra pour que l’ensemble des services soit reconstruit. A cet effet, en 1991, nous rencontrons Claude Evain ministre de la santé. En 1993 ce sera fait, il ne subsistera plus aucun service dans les vieux bâtiments de l’hôpital. Notre satisfaction est très grande même si l’action syndicale n’est jamais finie.
Pour illustrer ce que fut notre action syndicale pour la reconstruction de l’hôpital de Châteaubriant j’utiliserai une comparaison maritime : durant 10 ans nous sommes restés sur le pont attentifs aux nuages qui s’amoncelaient sur notre hôpital, attentifs aux décisions, aux orientations qui étaient prises ou qui n’étaient pas prises. Nous mettions le cap sur le ministère de la santé, sur la Ddass, la sous-préfecture de Châteaubriant, le préfet de région à Nantes. Nous étions pris au sérieux car on nous savait représentatifs, porteurs des aspirations des hospitaliers mais également de toute la population du pays de Châteaubriant.
Je peux dire que nous nous sommes rendus, en quelque sorte, insupportables aux yeux tant de l’administration que des politiques. Nous avons rendu la reconstruction de l’hôpital incontournable.
Ce que nous avons vécu pendant 10 ans évoque ce que deux poètes ont écrit :
Jean Jaques Goldman dans Ensemble :
Souviens-toi. Était-ce mai, novembre,
ici ou là ? Était-ce un lundi ?
Je ne me souviens que d’un mur immense
Mais nous étions ensemble.
Ensemble nous l’avons franchi.
Souviens-toi
Oui, nous avions franchi un mur immense, un mur d’immobilisme. Nous l’avons franchi grâce à une combinaison de ténacité et de passion pour le service public hospitalier car nous aimions notre profession et, de ce fait, nous voulions donc que les malades soient bien soignés.
Louis Aragon a écrit « la Rose et le réséda » en 1943, un poème qui exprime la diversité des opinions et des engagements des résistants français unis contre l’occupant nazi :
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas...
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au cœur du commun combat.
Je me souviens que nous avions convenu, entre les trois organisations syndicales, que nous ne diffuserions pas de tracts hostiles aux uns et aux autres lorsque certains débats entre organisations confédérées prennent de l’ampleur et tournent à la polémique. Nous savions que les hospitaliers ne supporteraient pas cela et que leur mise en mouvement supposait une volonté unie des syndicats de l’hôpital. Cette décision fut, dans l’ensemble, respectée Cependant, pas plus qu’aujourd’hui nous ne vivions dans un monde de Bisounours et il y eut par moment des tensions.
Mais nous avons laissé bien des querelles de côté parce que nous étions engagés dans un combat essentiel.
Mais pourquoi ?
En France durant la période dite des « 30 glorieuses », nombre d’hôpitaux ont été construits. Il s’agit notamment des années 60 et 70. Châteaubriant n’en a pas bénéficié malgré les besoins. Un baraquement provisoire fut monté en 1966 pour les 25 lits de la maternité. Un provisoire qui devait durer 10 ans mais qui en a duré plus de 20 ! Une extension plus ou moins « provisoire » avait été également construite pour le service de chirurgie.
Pourquoi à Châteaubriant cela ne fut-il pas possible ? où était la volonté politique chez Xavier Hunault (maire durant 30 années et député pendant longtemps) qui était apparenté UDF et donc « du côté du manche » jusqu’en 1981 ? L’explication est assez simple : le poids du lobby libéral, le secteur privé lucratif, dans le domaine de santé à qui on prêtait une influence politique déterminante. Il convenait donc de ne rien entreprendre qui puisse fâcher
Fin des années 1970, notre hôpital ressemblait encore beaucoup à ce qu’il était en 1680 quand il a été construit. En ces temps lointains, sa vocation était d’accueillir les pauvres, les malades, les handicapés La ressemblance ne s’arrête pas aux bâtiments qui étaient, pour partie, les mêmes depuis sa création Notre hôpital ne disposait même pas d’un service dédié à l’accueil des urgences ! Les malades étaient accueillis soit directement en service de médecine, soit pris en charge par le personnel de la chirurgie ou du bloc opératoire qui venait s’en occuper quand il pouvait.
Construit sur trois niveaux il y a si longtemps, il n’y avait pas d’ascenseur aux « Invalides » ! Tout le matériel était monté « à bras », à bras de femmes le plus souvent : le linge sale comme le linge propre, tout. Les pensionnaires également : sur des chaises ou brancards improbables, les vivants et les morts empruntaient l’escalier. c’est-Ã -dire ces bras humains... Nous ne voulions pas d’un sous-hôpital !
Vous ne trouverez donc jamais dans les archives des journaux de la région un compte rendu d’une intervention de Xavier Hunault à l’assemblée Nationale pour solliciter le ministre de la santé au sujet de reconstruction de l’hôpital, ni auprès d’aucune autre instance : ministère, préfecture, Ddass
Il m’apparaît nécessaire de préciser que j’exprime cela sans haine. Il n’y en a jamais eu. J’ai relaté des faits, c’est tout.
Notre nouvel hôpital ouvrit donc le 14 mars 89. En ce même mois, les Castelbriantais élisaient Martine Buron et l’équipe gauche plurielle à la mairie. A compter de ce jour-là nous avons pu compter sur un maire attentif à l’évolution du dossier « hôpital » et qui savait intervenir à ce sujet. Nous en avions besoin car les financements nécessaires pour l’achèvement de la reconstruction de l’ensemble des services nous étaient accordés en « goutte-à -goutte », étape après étape jusqu’en 1993. Nous avons pu également compter sur le soutien de Claude Evin comme ministre de la santé.
40 ans après ce mois de novembre 1979 et 30 ans après l’ouverture de notre hôpital actuel
Le monde a tellement changé. 40 ans après, la situation des hôpitaux est inquiétante. Comment un véritable service de santé : hospitalier inclus - pourrait-il renaître ?
Novembre 2019 - urvoy.pierre@orange.fr - 06 32 01 79 64
2020
En trente ans, il y a eu de nombreuses évolutions et notamment la constitution d’un seul établissement nommé : Centre Hospitalier Châteaubriant-Nozay-Pouancé. Celui-ci répond aux besoins de la population du territoire de Châteaubriant, mais aussi des départements limitrophes tels que le Maine et Loire, l’Ille et Vilaine et la Mayenne.
Pour mener à bien ses missions, il emploie 1200 agents sur l’ensemble des structures dont une soixantaine de médecins. Il a une capacité de 778 lits répartis sur les trois sites. La chirurgie a été attribuée à la Clinique Sainte Marie. Le Centre Hospitalier assure les urgences, la médecine, les soins de suite et de réadaptation, le pôle mère-enfant et tout ce qjui concerne la gériatrie.