Ecrit le 9 avril 2020
DOCUMENT D’INFORMATION MEDIAS d’OXFAM 09 AVRIL 2020
Un « plan de sauvetage pour tous » pour endiguer les ravages économiques de la crise du coronavirus et rebâtir un monde plus égalitaire.
De nouvelles analyses révèlent que la crise économique provoquée par le coronavirus pourrait précipiter plus d’un demi-milliard de personnes dans la pauvreté, à moins que des mesures drastiques ne soient prises de toute
urgence. Ce virus nous affecte toutes et tous, y compris les personnalités princières et les stars de cinéma. Mais l’égalité s’arrête là . Si elle n’est pas maîtrisée, cette crise provoquera d’immenses souffrances du fait de l’exploitation des inégalités extrêmes entre personnes riches et pauvres, entre nations riches et pauvres, et entre hommes et femmes.
Nous ne pourrons venir à bout de ce virus qu’Ã condition d’unir nos forces.
Les pays en développement doivent prendre des mesures pour protéger leur population et exiger l’aide des nations riches. Les gouvernements des pays riches, au premier rang desquels les membres du G20, doivent augmenter
massivement les aides accordées. Ce dossier présente un Plan de sauvetage économique pour tous à la hauteur de la crise, mobilisant au moins 2 500 milliards de dollars pour lutter contre la pandémie et empêcher un effondrement économique mondial. Il privilégie l’aide directe aux personnes, sous la forme de subventions en espèces pour toutes les personnes qui en ont besoin. Cela peut être financé moyennant la suspension immédiate du
remboursement de la dette par les pays pauvres, alliée à une relance économique ponctuelle du FMI et à une augmentation de l’aide et de la fiscalité.
La famine
« Mettre les villes à l’arrêt sauvera certes [des gens] du coronavirus, mais ces mêmes personnes seront alors en proie à la famine. »
Imran Khan, Premier ministre du Pakistan 1
« n’importe où, le coronavirus est une menace aux populations du monde entier. » Ellen Johnson Sirleaf, ancienne présidente du Liberia 2
« Les choix que nous faisons aujourd’hui façonneront notre société, notre économie, notre santé et le climat pour les prochaines décennies. Nous, organisations signataires, appelons à une réponse mondiale unifiée à cette pandémie de COVID-19 qui garantisse un relèvement et une transition équitables vers un avenir meilleur pour celles et ceux qui en auront le plus besoin suite à cette crise. » Lettre conjointe de la société civile sur les principes pour un relèvement équitable
Tous les pays du monde connaissent un choc économique du fait de la crise du coronavirus et tous les États doivent agir maintenant pour protéger leur population du dénuement. En l’absence de mesures drastiques pour consolider les économies des pays en développement, la crise pourrait précipiter pas moins d’un demi-milliard de personnes dans la pauvreté. Cela pourrait entraîner un bond en arrière d’une décennie en matière de lutte contre la pauvreté, et dans certains cas un recul de 30 ans .
Hors de tout contrôle, le virus pourrait coûter la vie à plus de 40 millions de personnes .
Mais la dévastation ne s’arrêtera pas là . Partout dans le monde, le virus a un énorme impact économique, les économies étant mises à l’arrêt pour tenter de stopper la propagation de la maladie. L’Organisation internationale du travail (OIT) estime que 25 millions d’emplois pourraient être perdus, un chiffre probablement sous-estimé . Les couvre-feux et les mesures de confinement provoquent des difficultés économiques incalculables. On estime que les pertes de revenus pour la main-d’œuvre pourraient atteindre 3400 milliards de dollars . Dans des pays comme le Kenya et le Cambodge, des dizaines de milliers d’ouvriers et ouvrières industriels et agricoles sont renvoyés à la maison . Les travailleuses, plus nombreuses dans les emplois informels et précaires, comptent parmi les personnes les plus durement touchées. Le Fonds monétaire international (FMI) a déjà annoncé que le monde se dirigeait vers une récession plus forte encore que celle ayant suivi la crise financière mondiale de 2008 .
Les gouvernements des pays en développement doivent agir maintenant pour protéger leur population. Dans plusieurs pays en développement, les dirigeants manquent bien trop souvent à leurs devoirs vis-Ã -vis de leurs citoyens, entre mauvaise gouvernance et corruption. Dans beaucoup d’autres, les dirigeants n’ont pris aucune mesure en faveur de soins de santé universels ou de protection sous la forme de transferts monétaires. L’inaction est aussi de mise face aux inégalités criantes.
Face à la crise, cela doit changer.
Les pays en développement doivent garantir la santé et la sécurité économique de tou·te·s. Partout dans le monde, Oxfam collabore avec des groupes religieux, des organisations communautaires, des ONG, entre autres, pour appeler les gouvernements à rendre des comptes et veiller à ce qu’ils prennent les bonnes décisions pour leurs citoyennes et citoyens pendant cette période critique.
Les gouvernements des pays en développement devraient également se coordonner pour exiger des mesures de la part des pays du G20 et des pays riches, dont les gouvernements doivent quant à eux trouver les ressources pour les aider à conjurer cette catastrophe. c’est la bonne chose à faire. c’est aussi dans leur propre intérêt, car le virus est partout, faisant fi des frontières.
Lors des réunions de printemps de la Banque mondiale, du FMI et des ministres des Finances du G20, les dirigeants des pays du G20 et d’autres États devront prendre des mesures immédiates à même d’atténuer considérablement les impacts économiques et fournir une aide directe aux populations lourdement touchées par cette crise.
Oxfam appelle à la mise en place d’un Plan de sauvetage économique pour tous.
Micah Olywangu est chauffeur de taxi à Nairobi. Il est père de trois enfants, dont un nourrisson né en décembre 2019, prénommé Precious. La fermeture de l’aéroport et l’effondrement du tourisme ont touché son activité de plein fouet. Tous les bars et les restaurants sont maintenant fermés et un couvre-feu a été imposé de 19 h 00 à 5 h 00. Il n’a rien touché depuis trois semaines. Son loyer était exigible le 30 mars, mais il n’a pas pu le payer. Pour le moment, son propriétaire se montre compréhensif, mais il ne sait pas pour combien de temps encore. Il se désole : « Le virus va nous affamer avant de nous rendre malades. »
Mme Diane travaille depuis 43 ans comme serveuse dans un restaurant de Jackson, Mississipi. Elle a à sa charge son fils, son petit-fils et son arrière-petit-fils. Le restaurant qui l’emploie est fermé depuis début mars ; la fin de mois est arrivée et elle n’a perçu aucun salaire. Elle déclare : « Nous sommes dévastés. Bon nombre d’entre nous sont à une mensualité près de se faire expulser et de se retrouver à la rue et privés de nourriture. »
Tarawati est une travailleuse domestique de 35 ans vivant dans le district Shri Nivas Puri (sud de Delhi). Elle a sept enfants. Son mari est cordonnier, mais il n’a pas gagné la moindre roupie depuis le début du confinement à Delhi à cause du coronavirus. Trois de ses enfants trient les déchets à des fins de récupération, mais eux aussi sont maintenant confinés à la maison. Sa famille est à court d’argent pour se nourrir. Elle est incapable de payer le loyer dû. Elle déplore : « Ce virus est déjà en train de détruire nos vies. »
Les gouvernements du monde entier doivent mobiliser au moins 2 500 milliards de dollars pour aider les pays en développement à arrêter la pandémie et à empêcher un effondrement économique mondial. Cela doit être fait de manière à promouvoir un nouveau contrat social entre les citoyens, les gouvernements et le marché, à réduire radicalement les inégalités et à poser les bases d’une économie davantage centrée sur l’humain.
Les choix qui sont faits maintenant auront de profondes répercussions sur notre avenir collectif. Ils peuvent jeter les bases d’un monde plus égalitaire, féministe et durable, ou au contraire exacerber les inégalités et la destruction de l’environnement.
Dans tous les plans de sauvetage, que ce soit dans les pays riches ou dans les pays pauvres, nous devons tirer des enseignements de la crise financière de 2008, lorsque les mesures de renflouement étaient exclusivement destinées à sauver les banques et non à aider les gens ordinaires. Cette fois, nous devons prendre des mesures qui bénéficient directement aux personnes les plus pauvres, plutôt que de simplement voler au secours des grandes entreprises. Le financement de ces actions ne doit pas se faire au prix d’une autre décennie d’austérité, mais en augmentant immédiatement la fiscalité des grandes entreprises sur leurs bénéfices faramineux ou leurs activités sous-imposées, des activités financières spéculatives et des plus grandes fortunes au sein de nos sociétés.
Le Plan de sauvetage économique pour tous proposé par Oxfam s’articulerait autour de six mesures.
Mesures d’aide aux personnes et aux entreprises à mettre en place immédiatement :
- 1. Accorder des subventions en espèces à tous ceux et toutes celles qui en ont besoin.
Les pays doivent mettre l’accent sur une augmentation substantielle des prestations de protection sociale, fournir des subventions en espèces à grande échelle pour permettre aux populations de survivre et verser des allocations aux travailleuses et aux travailleurs afin de maintenir les entreprises à flot. - 2. Renflouer les entreprises de manière responsable. La priorité doit être de soutenir les petites entreprises, qui sont les moins à même de faire face à la crise. Le renflouement des grandes entreprises doit être conditionné par des mesures visant à protéger les intérêts de la main-d’œuvre, des exploitants agricoles et des contribuables, ainsi qu’Ã bâtir un avenir durable.
Mesures requises pour financer cette aide :
- 1. Suspendre et annuler les dettes. Tous les remboursements de dette des pays en développement doivent être suspendus pendant un an, et la dette doit être effacée dans les situations qui l’exigent.
- 2. Émettre des droits de tirage spéciaux. Le FMI doit émettre 1 000 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS) à titre de relance économique mondiale ponctuelle.
- 3. Augmenter l’aide dès maintenant. Les pays riches doivent immédiatement augmenter l’aide destinée aux pays les plus pauvres, au moins à hauteur de leur engagement de0,7 % du PIB, notamment en contribuant équitablement au Plan mondial d’intervention humanitaire - COVID-19 11 .
- 4. Instituer des impôts de solidarité d’urgence. Il s’agit de mobiliser le plus de recettes possibles en taxant les bénéfices extraordinaires, les plus grandes fortunes, les produits financiers spéculatifs et les activités ayant un impact négatif sur l’environnement.
QUAND LA PAUVRETÉ s’eMBALLE
La crise économique actuellement à l’œuvre s’annonce plus profonde que la crise financière mondiale de 2008. Dans une nouvelle analyse publiée par l’Institut mondial de recherche sur l’économie du développement de l’Université des Nations Unies (UNU-WIDER), Andy Sumner et Eduardo Ortiz-Juarez (King’s College de Londres) et Chris Hoy (Australian National
University) estiment que pas moins d’un demi-milliard de personnes pourraient sombrer dans la pauvreté, soit 8 % de la population mondiale .
Dans leur analyse, ils formulent des estimations de l’impact potentiel à court terme du coronavirus sur la pauvreté monétaire dans le monde, d’après les seuils de pauvreté fixés par la Banque mondiale à 1,90, 3,20 et 5,50 dollars par jour, ainsi que sur la base de la diminution attendue de la consommation ou du revenu par habitant.
d’après ces estimations, quel que soit le scénario envisagé, la pauvreté dans le monde pourrait repartir à la hausse pour la première fois depuis 1990. Selon le seuil de pauvreté considéré, cette hausse pourrait représenter un recul d’une dizaine d’années sur les progrès réalisés pour réduire la pauvreté. Dans certaines régions, les impacts négatifs pourraient engendrer des niveaux de pauvreté équivalents à ceux enregistrés il y a 30 ans.
Dans le pire scénario (une diminution des revenus de 20%), le nombre de personnes vivant dans la pauvreté pourrait subir une augmentation oscillant entre 434 et 611 millions.
Combien faut-il pour aider les pays en développement ?
Au moins 2 500 milliards de dollars. La CNUCED a réclamé 2 500 milliards de dollars pour renflouer l’économie des pays en développement. Ce montant se composerait de 1 000 milliards de dollars d’allègement de la dette, de 1 000 milliards de dollars de liquidités supplémentaires mobilisées par le biais de DTS et de 500 milliards de dollars d’aide aux systèmes de santé des pays en développement. Oxfam appelle à un doublement des dépenses de santé dans les 85 pays les plus pauvres au monde. Il en coûterait 160 milliards de dollars.
Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, a également déclaré que les marchés émergents auront besoin de 2 500 milliards de dollars d’aide . Vingt experts, dont quatre lauréats du prix Nobel parmi lesquels Joseph Stiglitz et Lord Nicholas Stern, et sept experts économistes de la Banque mondiale et d’autres banques de développement, ont écrit aux dirigeants des pays du G20 pour les avertir des « impacts sanitaires et sociaux inimaginables » et appellent à « mobiliser plusieurs milliers de milliards ».
Seuls des investissements d’une telle ampleur sont susceptibles d’empêcher une dépression mondiale dont les coûts économiques et humains seraient sans commune mesure. Des mesures telles que l’émission de DTS, une sorte de devise internationale (expliquée dans la section 4 plus bas), peut rapidement stimuler l’économie mondiale. A ce stade de la crise, les pays riches ont démontré qu’ils pouvaient mobiliser des milliers de milliards de dollars pour soutenir leur propre économie. Pour autant, à moins que les pays en développement soient eux aussi capables de lutter contre les impacts sanitaires et économiques, la crise va perdurer et infliger des dommages encore plus grands à tous les pays, riches ou pauvres.
Des personnalités princières ainsi que des stars de cinéma contractent le virus, qui ne fait aucune différence entre les riches et les pauvres. Mais l’égalité s’arrête là . Les personnes les plus aisées sont également les plus susceptibles d’occuper un emploi formel, de bénéficier d’une protection effective du droit du travail comme les congés maladie, de disposer d’une épargne et de pouvoir s’isoler dans un logement sûret connecté tout en étant en mesure de télétravailler et d’assurer l’instruction des enfants à la maison.
Vivant au jour le jour, les personnes les plus pauvres n’ont pas le loisir d’arrêter temporairement de travailler ou d’amasser des provisions. A travers le monde, des millions de travailleuses et de travailleurs sont renvoyés à la maison tandis que les entreprises ferment l’une après l’autre. Deux milliards de personnes travaillent dans le secteur informel, sans le moindre droit à des indemnités en cas de maladie . Le travail informel représente 90 % de l’emploi dans les pays en développement (faibles revenus), 67 % dans les pays émergents (revenus moyens supérieurs ou inférieurs) et 18 % dans les pays développés (revenus élevés) 18 . Selon l’OIT, le taux d’emploi informel en Amérique latine et dans les Caraïbes s’élève à 53 %, ce qui signifie que près de 140 millions de personnes travaillent dans des conditions informelles .
Les femmes sont beaucoup plus susceptibles de travailler dans le secteur informel et d’être privées de tout droit du travail . Dans les pays les plus pauvres, 92 % de la main-d’œuvre féminine occupe un emploi informel . Même dans les pays les plus riches, après des années d’érosion du droit du travail et d’augmentation du nombre d’emplois précaires, la main-d’œuvre pauvre ne peut tout simplement pas se permettre d’arrêter de travailler. Les conducteurs et conductrices de taxi, que ce soit à Chicago ou au Caire, n’ont d’autre choix que d’aller travailler pour nourrir leur famille, surtout si le prix des denrées alimentaires et d’autres biens de première nécessité commence à augmenter. Les agents de nettoyage dans les hôtels, les balayeurs et balayeuses de rue, les livreurs et livreuses, les serveurs et serveuses, les employés des boutiques, les commerçants, les vendeurs et vendeuses sur les marchés, les agents de sécurité et les vendeurs et vendeuses de rue n’ont pas le luxe relatif de pouvoir télétravailler. Les migrants seront particulièrement touchés, étant souvent exclus des filets de sécurité dont bénéficient les autres citoyens .
Les chaînes d’approvisionnement mondiales agissent comme une courroie de transmission du ralentissement économique à travers le monde. Les investisseurs ont déjà retiré 83 milliards de dollars des marchés émergents depuis le début de la crise, soit la plus grande sortie de capitaux jamais enregistrée 23 . Des emplois sont détruits avant même que les mesures de confinement prennent effet. Au Kenya, où la floriculture est une industrie d’exportation majeure, la main-d’œuvre est majoritairement féminine. Face à l’effondrement de la demande en Europe, les entreprises productrices de fleurs ont déjà renvoyé 30 000 intérimaires . Au Cambodge et au Myanmar, des milliers d’employés de l’industrie textile sont licenciés tandis que les distributeurs ferment leurs portes en Europe et aux États-Unis . Plus tôt dans cette crise, l’OIT a estimé que 25 millions d’emplois seraient perdus à travers le monde , soit plus que lors de la crise financière de 2008. Mais ce chiffre est sans doute largement sous-estimé, les experts avançant désormais que 37 millions d’emplois pourraient disparaître rien qu’aux États-Unis .
Le PNUD estime que près de la moitié des emplois en Afrique pourraient être perdus. A l’échelle planétaire, on estime que les pertes de revenus pour la main-d’œuvre pourraient atteindre 3 400 milliards de dollars .
La pandémie survient dans un contexte d’érosion croissante des droits humains. Dans au moins 111 pays, les gouvernements cherchent à museler toute contestation et à restreindre la marge de manœuvre de la société civile, y compris par le biais de lois et de restrictions à la fois floues et vastes sur les sources de financement. La pandémie ne fait qu’empirer la situation. Partout dans le monde, les mesures de confinement imposées pour juguler la propagation du virus commencent à rendre la situation économique extrêmement difficile et font peser la menace de la faim . Les personnes les plus pauvres sont violemment réprimées, du Kenya à l’Inde, voyant leurs droits civils bafoués .
Des mesures extraordinaires sont nécessaires afin de mettre un terme à la propagation de la maladie, mais elles doivent être contrebalancées par des protections extraordinaires. Les mesures d’urgence pour lutter contre la pandémie doivent être proportionnées, non discriminatoires et maintenues aussi longtemps que nécessaire. Lors de la phase de relèvement, la capacité des groupes de la société civile et des citoyens actifs et actives à influer sur les décisions et à suivre la mise en œuvre des programmes sera essentielle pour prévenir la corruption, demander des comptes aux gouvernements pour les résultats obtenus et protéger les droits humains.
La pandémie menace également d’accroître les inégalités entre les genres Bien que le virus semble tuer davantage d’hommes que de femmes , ces dernières seront davantage touchées sous d’autres formes. Les femmes représentent environ 70 % des personnels de santé à travers le monde, qui sont les personnes les plus exposées au virus . Les femmes sont les plus susceptibles d’exercer un emploi précaire, sans la moindre protection du droit du travail .
Dans les pays les plus pauvres, 92 % de la main-d’œuvre féminine occupe un emploi informel . Les femmes assurent aussi 75 % des activités de soin non rémunérées , et ce fardeau augmente de manière exponentielle alors que les injonctions au confinement se multiplient. Ce problème sera en outre exacerbé si cette pandémie était suivie d’une politique d’austérité, comme cela a été le cas après la crise financière de 2008. Les coupes franches opérées dans les soins des enfants et des personnes âgées et les systèmes de santé publique enferment les femmes chez elles, où elles ne sont pas toujours en sécurité : les filles contraintes de rester à la maison plutôt que d’aller à l’école sont davantage exposées au risque de violences sexuelles et de grossesse précoce . Certains rapports révèlent déjà que les cas de violence domestique ont doublé dans les provinces chinoises soumises à des restrictions 40 , et ce schéma se répète partout dans le monde .
Par ailleurs, aucun plan de sauvetage ne saurait être neutre en matière de genre. Les mesures convenues ont des impacts spécifiques sur les femmes et sur les hommes, et il convient de s’assurer que les plans de sauvetage n’exacerbent pas, mais réduisent les inégalités entre les genres.
Environ 90 % des élèves et étudiants sont actuellement en confinement à travers le monde mais ce sont les enfants les plus pauvres qui seront le plus durement frappés, n’ayant plus accès aux repas scolaires et ne disposant pas des technologies numériques nécessaires pour l’apprentissage à distance. Les réponses des gouvernements à cette crise doivent aussi tenir compte des groupes qui sont souvent oubliés dans les prises de décisions publiques alors même qu’ils sont particulièrement vulnérables en raison de leurs conditions de vie et des effets de la marginalisation sociale : les migrants, les minorités ethniques, les détenus, les personnes LGBTQIA+ et les personnes handicapées.
Tous les pays cherchent à répondre aux impacts économiques de cette crise. Ces dernières semaines, nous avons assisté à l’annonce d’énormes programmes de relance économique par les États-Unis et d’autres pays riches. Bon nombre de ces programmes de relance visent à aider directement les citoyens ordinaires, ce qui est un point positif. Au Danemark, plusieurs mesures exhaustives ont déjà été adoptées. Le Parlement a par exemple décidé d’indemniser tous les salaires à hauteur de 75 à 90 % (dans la limite de 4 000 € par mois pour un employé à temps plein) afin de prévenir un chômage massif.
Les pays en développement font également de leur mieux pour répondre à la situation. La Namibie a accordé une indemnité ponctuelle d’urgence aux personnes ayant perdu leur emploi (formel ou informel) . Toutefois, de tels pays manquent cruellement de puissance de feu financière et ont besoin de toute l’aide qu’ils peuvent obtenir, le plus rapidement possible.
Face à ces ravages économiques, Oxfam propose un Plan de sauvetage économique pour tous requis de toute urgence. Ce plan présente tout d’abord les actions nécessaires pour soutenir les particuliers et les entreprises, puis des pistes de financement pour ces actions.
UN PLAN DE SAUVETAGE ÉCONOMIQUE POUR TOUS
1. Des subventions en espèces pour toutes les personnes qui en ont besoin
Les subventions en espèces et les autres formes de protection sociale peuvent jouer un rôle déterminant dans la lutte contre les inégalités et la protection des personnes vulnérables. Elles sont indispensables pour faire face à cette crise. La totalité de la main-d’œuvre qui accuse une perte de revenu doit avoir accès à une forme de revenu de substitution, qu’il s’agisse d’une subvention salariale, d’une allocation de chômage, d’indemnités de maladie ou d’autres allocations. A l’heure actuelle, seulement un cinquième de la main-d’œuvre au chômage bénéficie d’une allocation de chômage.
Les gouvernements doivent intégrer le maximum de travailleurs et de travailleuses dans les dispositifs existants en assouplissant les critères d’éligibilité, en facilitant l’accès aux indépendants, aux auto-entrepreneurs, aux personnes sous contrat « zéro heure », aux personnes nouvellement embauchées, aux jeunes actifs, aux personnels à temps partiel et à la main-d’œuvre dans d’autres formes d’emploi précaire .
En l’absence de régime de protection sociale adéquat, les gouvernements doivent soutenir les revenus par le biais de nouveaux transferts monétaires, en cherchant à atteindre les personnes non encore couvertes et en étendant ces régimes à l’ensemble des résidents, y compris les migrants et les réfugiés. Face à la pauvreté urbaine au Kenya, Oxfam et ses partenaires ont mené un projet pilote de transferts monétaires auprès de 5 000 ménages, qui a ensuite été adopté par le gouvernement national afin de soutenir les ménages les plus vulnérables dans trois villes . Aux États-Unis, alors que l’administration Trump refoule les demandeurs et demandeuses d’asile à sa frontière avec le Mexique (ce qui est contraire au droit international) et continue de calomnier les migrants, Oxfam Amérique finance des partenaires pour apporter une aide monétaire aux réfugiés et aux immigrants dans leurs communautés 8locales et s’organise avec des alliés pour exhorter l’administration à abroger les politiques anti-immigrants et anti-réfugiés.
De nouvelles mesures doivent soutenir les droits autonomes des femmes à bénéficier d’une protection sociale et garantir que les prestations sont adéquates et fiables, la couverture universelle, la protection complète, le financement progressif et la gouvernance responsable. Il est temps de prendre des mesures audacieuses en faveur d’une protection sociale universelle sensible aux chocs.
On peut se réjouir que de nombreux pays aient initié ou envisagent des hausses considérables des transferts monétaires en faveur des personnes affectées par cette crise. Des idées jusque-là inimaginables, comme accorder des subventions en espèces à chaque adulte, deviennent une réalité et participent à la reconnaissance de la nécessité d’une protection sociale universelle . En Australie, le gouvernement octroie ainsi des subventions de 750 dollars à 6,5 millions de personnes à faible revenu 47 . Toutefois, quatre milliards de personnes ne bénéficient d’aucune protection sociale formelle et sont les plus durement affectées par la crise économique qui se dessine . Sans aide, les pays les plus pauvres sont dans l’incapacité totale de garantir un socle minimum de protection sociale. Il est urgent de créer un mécanisme de financement international dédié à la protection sociale qui permettra à ces pays de préserver les revenus essentiels pour leur population et de maintenir ces services en cas de crises majeures . Cette obligation internationale se fait attendre depuis longtemps.
Expérience d’Oxfam en matière de transferts monétaires
Oxfam a été parmi les premières organisations à déployer des programmes de transferts monétaires, voilà plus de 20 ans. Elle avait repéré l’énorme potentiel des transferts d’argent aux mains des personnes en situation de crise et a beaucoup appris de ses programmes sur le terrain. Elle applique désormais une approche privilégiant les transferts monétaires dans ses programmes humanitaires en lieu et place des distributions en nature, lorsque la situation le permet. Les transferts monétaires (et les bons d’achat) absorbent désormais 25 % du budget d’Oxfam affecté à l’aide humanitaire. Ses programmes de transferts monétaires sont précurseurs dans différents contextes d’urgence, des situations de conflits aux camps de réfugiés : au yémen, ils permettent de transférer des espèces là où aucun autre acteur ne cherche à le faire ; au Liban, des transferts monétaires sont réalisés par le biais des bureaux de poste ; en Colombie, ce sont les migrants qui bénéficient de transferts monétaires ; en Somalie, l’organisation facilite les envois de fonds de l’étranger vers les membres de la famille ; en Iraq, au Liban et au Kenya, ses programmes sont en phase avec les systèmes publics de protection sociale.
Le recours à l’informatique a permis de passer de transferts monétaires directs à des remises de fonds à distance, à l’instar des bons électroniques en Iraq et en République démocratique du Congo, et mené à l’établissement de partenariats avec le secteur privé, comme Visa et PayMaya aux Philippines et M-PESA au Kenya. Plus récemment, Oxfam a proposé des espèces dans tous les secteurs de ses programmes humanitaires, par exemple pour répondre aux besoins en matière de protection et d’eau, d’assainissement et d’hygiène (WASH).
2. Renflouer les entreprises de manière responsable
Le monde doit tirer les leçons de la crise financière de 2008, lorsque les gouvernements ont renfloué les banques et les grandes entreprises polluantes 50 au prix d’une décennie d’austérité économique destructrice pour les citoyens ordinaires, avec des coupes budgétaires dans les services publics comme dans la santé et l’éducation . La fortune des milliardaires a doublé dans les 10 années ayant suivi la crise financière, tandis que les salaires réels ont à peine évolué . Les inégalités se sont creusées, les émissions des combustibles ossiles ont repris de plus belle et les violences domestiques se sont intensifiées dans les ménages à bas revenus à cause du chômage et de revenus insuffisants .
Les plans de relance annoncés en réponse à la pandémie ne doivent pas reproduire les mêmes erreurs. Au lieu de cela, l’argent des plans de sauvetage doit revenir aux personnes les plus vulnérables, aux travailleuses et aux travailleurs, ainsi qu’aux petites entreprises qui sont les moins bien armées pour résister. Il convient également de spécifier dès le départ qu’aucun plan de sauvetage ne saurait être neutre en matière de genre. Ces plans doivent être conçus de façon à combler le fossé entre les femmes et les hommes. Ils constituent une occasion idéale pour changer durablement les mesures incitatives et les modèles de gestion afin de contribuer à l’édification d’une économie plus durable et davantage centrée sur l’humain, où la main-d’œuvre est traitée avec équité et où l’environnement est préservé.
Les gouvernements ont le pouvoir et la responsabilité d’agir maintenant et d’initier de profonds changements pour rendre notre économie plus humaine et mieux armée pour faire face à l’urgence climatique, en entretenant l’espoir de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C.
Les entreprises doivent honorer les contrats en cours avec les fournisseurs afin de protéger la main-d’œuvre le long de la chaîne d’approvisionnement.
Un moratoire doit être imposé sur les primes versées aux dirigeants et sur tous les versements aux actionnaires pendant au moins trois ans suivant l’aide financière du gouvernement.
Pour les entreprises bénéficiant d’un plan de sauvetage de l’État, le soutien financier doit prendre la forme de prêts avec intérêts ou d’une participation de l’État dans l’entreprise.
Les gouvernements doivent correctement superviser l’ensemble des plans de sauvetage, notamment en étant représentés dans les conseils, afin d’éviter toute corruption et mauvaise gestion.
Les entreprises opérant dans le secteur de l’extraction fossile ne doivent en aucun cas bénéficier d’un plan de sauvetage.Pour contribuer à construire une économie plus équitable et plus respectueuse de l’environnement après la crise, les entreprises doivent être tenues de :
« ¢ s’engager à prendre des mesures transformationnelles pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre conformément à l’accord de Paris et à l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. »¢ Plafonner les dividendes versés aux actionnaires. Aucun dividende ne doit être versé tant que l’entreprise ne propose pas un salaire décent à l’ensemble de sa main-d’œuvre et qu’elle n’investit pas suffisamment dans la transition vers plus de sobriété carbone.
« ¢ Divulguer le ratio rémunération de la direction/salaire médian et définir un rapport maximum de 20. »¢ Accepter la négociation collective, échanger avec les syndicats indépendants et permettre à la main-d’œuvre féminine de faire entendre sa voix de façon sûre et efficace.
« ¢ Instituer une parité hommes-femmes obligatoire en recourant à des quotas dans les conseils et comités de direction et combler l’écart salarial entre les hommes et les femmes. »¢ Verser un salaire décent à leurs employés et œuvrer en faveur de salaires décents dans leur chaîne de valeur.
"¢ Publier des rapports pays par pays afin de lever le voile sur leurs activités financières dans les paradis fiscaux.
ACTIONS REQUISES POUR TROUVER LES FONDS NÉCESSAIRES
3. Suspendre et annuler les dettes
En 2018, la dette totale des pays en développement (privée, publique, domestique et externe) s’élevait à 191 % de leurs PIB combinés, un record . Face à l’ampleur de ces dettes, de nombreux pays avaient instauré des mesures d’austérité 55 lorsque le virus a frappé . 46 pays consacraient en moyenne quatre fois plus d’argent au remboursement de la dette qu’au financement des services de santé publique début 2020, lorsque le coronavirus s’est propagé .
Au Ghana, le service de la dette représente un budget 11 fois supérieur à celui alloué à la santé . Le fardeau de la dette pèse sur les épaules des plus pauvres du fait des coupes budgétaires opérées par les gouvernements sur les services. Là encore, les femmes sont les plus durement touchées . Étant donné que la pandémie nécessitera une injection massive de ressources pour soutenir les économies, le transfert de ressources vitales des pays plus pauvres vers les pays riches est une ineptie.
L’ensemble du capital, des intérêts et des frais sur la dette extérieure souveraine dus en 2020 doit être annulé de façon définitive, sans report. l’annulation des remboursements de la dette constitue le moyen le plus rapide de garder l’argent au sein des pays et de libérer des ressources pour gérer les crises économiques, sociales et sanitaires d’urgence découlant de cette pandémie mondiale. Cela doit inclure la dette due aux gouvernements, aux institutions financières internationales comme la Banque mondiale et aux créanciers privés. Pour contribuer au financement de l’annulation de la dette, le FMI doit envisager d’utiliser le fruit de la vente d’une partie de ses réserves d’or.Pour les pays à revenu faible ou intermédiaire, le remboursement de la dette s’élève à environ 400 milliards de dollars cette année 60 . Cette somme augmenterait sensiblement la capacité des gouvernements à venir à bout de la crise. d’ici la fin de l’année, l’impact réel de la crise devrait être réévalué et il conviendra alors de convenir d’un allègement plus poussé ou d’une annulation de la dette pour les pays où la situation économique reste difficile.
Les gouvernements des pays en développement doivent s’exprimer sur l’urgence d’agir sur la question de la dette. Les gouvernements africains ont déjà demandé à être dispensés des remboursements d’intérêts en 2020, pour un montant total de 44 milliards de dollars 61 . Le G20 doit inviter publiquement les gouvernements des pays en développement à décréter un moratoire sur leurs dettes bilatérales et multilatérales, et promouvoir un accord en faveur d’une suspension exceptionnelle des remboursements de la dette privée tout en encourageant les principaux pays à initier les changements éventuellement requis sur le plan juridique. En plus de s’annoncer éminemment complexes, les négociations des pays avec chaque créancier privé exigeraient des délais dont nous n’avons pas le luxe. Le G20 doit faire pression sur les créanciers privés afin que ces derniers prennent les bonnes décisions en cette période de crise.
Les profits des créanciers ne peuvent pas prendre le dessus sur le droit à la santé et le dénuement qui menace des centaines de millions de personnes. En outre, l’annulation de la dette par les gouvernements des pays riches ne peut pas être utilisée simplement pour rembourser des créanciers privés à New York ou à Londres.
L’Union africaine doit faire entendre sa voix pour défendre le droit des gouvernements africains de protéger leurs citoyens de la pire pandémie ayant frappé le monde depuis un siècle.
l’afrique du Sud, qui préside actuellement l’Union africaine, doit travailler en lien avec le G20, l’Union africaine et les BRICS.
La Chine et le Club de Paris des nations créancières peuvent jouer un rôle de leadership au niveau mondial en annonçant immédiatement la suspension de tous les remboursements de la dette des pays en développement pour l’année à venir.
Le FMI doit participer à un état des lieux de l’endettement, éliminer les obstacles à ces mesures et veiller à ce que les accords incluent toutes les parties en toute bonne foi (créanciers privés, bilatéraux et multilatéraux). Il doit s’abstenir de conditionner ce moratoire exceptionnel sur la dette à des ajustements structurels ou macro-économiques.
L’heure n’est pas à l’austérité
Depuis la crise économique mondiale de 2008, le FMI a reconnu l’importance des dépenses sociales dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Toutefois, contrairement à ce que l’on a observé après la crise de 2008, le Fonds devra cette fois tenir sa promesse de soutenir les mesures fiscales extraordinaires que de nombreux pays ont mises en place pour renforcer les systèmes de santé et protéger la main-d’œuvre et les entreprises touchées.
En 2008 et 2009, de nombreux gouvernements ont augmenté les dépenses en réponse à la crise financière. Mais avant même 2010, bon nombre d’entre eux avaient commencé à introduire des mesures d’austérité, et le FMI a repris son antienne favorite : réduire les dépenses . Même après une autre urgence sanitaire (le virus Ebola en Sierra Leone en 2014), le FMI a imposé l’austérité trop tôt, et aujourd’hui encore, le pays dépense trop en remboursement de sa dette .
En 2020, avant l’explosion de la pandémie actuelle, 113 pays avaient prévu d’appliquer des mesures d’austérité sur incitation du FMI 65 , et 46 pays privilégiaient le service de la dette plutôt que les services publics de santé . Au Ghana, la gestion de la dette représente un budget 11 fois supérieurs à celui alloué à la santé. Selon le FMI, près de 80 pays demandent d’ores et déjà des financements d’urgence et le Fonds est disposé à déployer la totalité de sa capacité de prêt de 1 000 milliards de dollars .
Le moment est venu de voir le FMI combler le fossé entre discours et réalité concernant les inégalités économiques et les inégalités entre les femmes et les hommes. L’institution doit non seulement mobiliser ses capacités de prêt, mais aussi le faire d’une manière qui maximise la souplesse et le caractère soutenable de la dette engendrée. Il est essentiel que les prêts soient conditionnés par l’existence de mécanismes de redevabilité garantissant que les fonds sont utilisés pour protéger les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables. Il serait inexcusable de répéter les erreurs du passé.
Le FMI et les États doivent déployer les mesures suivantes.
« ¢ Le FMI doit maximiser le montant du financement à taux zéro disponible pour éviter de créer de nouvelles dettes insoutenables. »¢ Les objectifs imposés aux États en matière de réduction des déficits et les conditions des programmes du FMI convenues avant cette crise doivent être assouplis afin de laisser aux pays la latitude nécessaire pour augmenter les dépenses face à la crise.
« ¢ Il convient d’éviter les conditionnalités économiques dans tout nouveau plan de financement pendant cette crise, tout en renforçant les conditions relatives à la gouvernance pour s’assurer que l’intégralité des fonds est dépensée de manière transparente et de sorte à répondre aux besoins des personnes touchées. »¢ Les conditions de prêt doivent être transparentes et approuvées par les parlements.
Le FMI ne doit pas préconiser l’austérité ni conditionner les prêts à des mesures d’austérité au lendemain de la crise, ce qui engendrerait de nouvelles difficultés économiques pour les populations les plus vulnérables.
4. Attribution de droit de tirage spécial
Le droit de tirage spécial (DTS) 69 est un instrument de réserve international créé par le FMI que l’on peut définir comme la moyenne pondérée de cinq devises convertibles 70 . Bien que le DTS ne soit pas une devise, il est convertible et, en accroissant les réserves des pays, il peut libérer un espace fiscal essentiel pour stimuler les dépenses de santé et de soutien à l’économie.
En 2009, le G20 a accepté de débloquer 250 milliards de dollars en DTS pour renflouer les réserves des pays membres du FMI et ainsi les aider à faire face à la crise financière mondiale .
Lors d’une récente réunion des ministres des Finances du G20, la directrice générale du FMI a affirmé que le Fonds cherchait à affecter des DTS, en réponse à la proposition de plusieurs pays en développement, comme cela avait été le cas pendant la crise financière mondiale . La CNUCED a appelé au transfert de 1000 milliards de dollars de liquidités en direction des pays en développement, par le biais de la mobilisation de nouveaux DTS et de la réaffectation de DTS existants . Au vu de l’échelle de la récession provoquée par le coronavirus, nous appelons le G20 à proposer immédiatement l’allocation de 1 000 milliards de dollars de DTS (85 % des votes des membres du FMI doivent être en faveur de cette proposition pour qu’elle soit approuvée). Les pays riches doivent également accepter de prêter des devises en contrepartie des allocations de DTS aux pays à plus faible revenu. Une autre option reviendrait à créer un nouveau mécanisme permettant aux pays riches de prêter leur DTS au FMI afin de renforcer sa capacité de prêt .
Hausse immédiate de l’aide
Les bailleurs doivent immédiatement proposer un soutien d’urgence afin de contenir l’épidémie et de sauver des vies, par le biais d’organes multilatéraux tels que l’Organisation mondiale de la Santé, qui sont responsables de la gestion de l’intervention à l’échelle mondiale, mais aussi directement dans les pays en développement.
Ils doivent aider les systèmes de santé à traiter les patients, effectuer les tests et identifier les contacts comme il se doit, par la fourniture de tests et de services de santé gratuits aux personnes les plus pauvres. On remarque également un besoin urgent de dotation en équipements médicaux adéquats afin de combattre le virus : au Mali, le gouvernement ne dispose que de trois respirateurs par million de personnes .
Il existe aussi un manque criant de professionnels de la santé : en Afrique, il y a seulement 2,8 docteurs et 11 infirmiers/ères pour 10 000 personnes, contre 33,8 et 80,6 respectivement en Europe .
Les gouvernements ont également besoin de soutien pour satisfaire les besoins d’apprentissage et nutritionnels de 1,7 milliard d’enfants confinés et pour développer du contenu d’apprentissage permettant d’aplanir les inégalités d’accès aux technologies numériques, notamment par le biais de la programmation radio et télévisuelle, afin que les enfants des familles les plus pauvres ne soient pas lésés de manière irréversible en termes d’éducation et d’opportunités.
Au-delà des questions de santé, l’aide des bailleurs sera essentielle pour soutenir les économies des pays en développement, durement touchés par cette crise. l’aide peut permettre aux États de fournir des prestations en espèces à toutes les personnes qui en ont besoin, en complément de diverses autres mesures de protection sociale. Le niveau actuel de la contribution des bailleurs à la protection sociale est complètement inadapté : en 2018, 1 % de l’aide bilatérale était destiné à la protection sociale, c’est-à -dire à peine 1,2 milliard de dollars .
Les bailleurs doivent participer à répondre aux besoins éducatifs à court terme et s’engager à financer ce secteur à moyen terme afin que les budgets consacrés à l’éducation publique résistent à la tempête financière à venir.
Les gouvernements devront également prendre des mesures fortes en faveur de la sécurité alimentaire dans les pays où beaucoup souffrent déjà de la faim. Dans 53 pays, 113 millions de personnes sont en situation de faim extrême . Dans ces pays, les systèmes de protection sociale et de santé sont défaillants. La sécurité alimentaire doit être protégée et des politiques et programmes de soutien promouvant le développement agricole doivent être mis en place.
Les gouvernements doivent également accroître les financements pour prévenir les violences faites aux femmes et aux filles et y répondre, et ce, de toute urgence. Ils doivent adopter une approche à deux niveaux visant à financer les organisations spécialisées dans la prise en charge des violences faites aux femmes et aux filles afin de proposer des hébergements en refuge, des lignes d’écoute et un soutien psychosocial et juridique, et une approche multisectorielle intégrant la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles aux initiatives sanitaires, éducatives et juridiques.
La crise doit servir de signal d’alarme pour les bailleurs et les amener à renforcer leur contribution à l’aide pour la réduction des inégalités et à agir pour l’avènement de sociétés plus résilientes. Après une décennie de stagnation, la participation des bailleurs au financement du secteur de la santé doit augmenter . Ils doivent allouer des fonds aux systèmes de santé publique qui fournissent des services gratuits, équitables et de qualité. Il s’agit là d’une condition sine qua non à une réponse rapide aux épidémies, comme nous l’avons appris lors de la crise du virus Ebola 80 , mais aussi à la prise en charge des besoins de santé actuels de millions de personnes 81 . Fournir un soutien par le biais d’une aide budgétaire directe aux gouvernements de pays pauvres, lorsque les mécanismes de redevabilité adéquates sont en place, est la meilleure manière d’assurer des capacités durables et de répondre aux priorités au niveau local. Utiliser l’aide pour subventionner ou promouvoir la privatisation du secteur des soins de santé est une pratique qui doit cesser immédiatement. l’aide humanitaire doit également traiter le soutien des acteurs locaux et actrices locales comme une priorité.
Lorsque les gouvernements ne sont pas en mesure de satisfaire aux besoins de leurs citoyens, ou lorsqu’ils n’en ont tout simplement pas la volonté, l’assistance humanitaire revêt une importance vitale. Pour garantir que les personnes les plus vulnérables reçoivent les soins dont elles ont besoin, les bailleurs doivent contribuer équitablement au plan mondial d’intervention humanitaire de 2 milliards de dollars contre le COVID-19 82 , qui oriente les ressources vers les ONG locales et nationales.
Sur les 2 200 milliards de dollars du plan de relance annoncé par le gouvernement des États-Unis à la fin du mois de mars, 0,05 % seulement, ou 1,1 milliard de dollars, pourraient permettre de gérer la crise dans les pays pauvres 83 . Ces mesures sont choquantes et ne vont pas plus loin que le cours terme : à moins que les pays riches soient disposés à rester en quarantaine
indéfiniment, nous ne verrons la fin de cette crise qu’en faisant preuve de solidarité à l’échelle internationale. Les bailleurs doivent sans plus attendre respecter leur engagement d’affecter 0,7 % de leur PIB à l’aide. Comme le note la CNUCED, la quantité d’aide qui aurait été mobilisée au cours de la dernière décennie si les pays riches avaient respecté cet objectif de 0,7 % s’approcherait des milliers de milliards de dollars requis pour répondre à cette crise dans les pays en développement.
Mise en place en urgence d’impôts de solidarité
Face à cette situation, les gouvernements doivent faire tout leur possible pour protéger les économies. Cela implique d’utiliser l’ensemble du système fiscal pour élaborer des plans de relance afin d’accroître les budgets du secteur de la santé et de protéger les citoyens et l’emploi. Les mesures doivent être fortes, rapides, équitables et responsables. Les gouvernements doivent abaisser temporairement les impôts, voire les reporter, en donnant la priorité aux consommateurs et consommatrices, aux petites entreprises et aux travailleurs/euses indépendants qui sont les plus vulnérables face à cette crise. Ils doivent aussi centrer l’aide sur les femmes, qui seront les plus touchées sur le plan économique. Des exemptions fiscales exceptionnelles pourraient être attribuées au cas par cas aux grandes entreprises risquant de faire faillite, mais cela doit dépendre de la mise en œuvre de réformes
En général, les taux d’impôt sur les sociétés ne doivent pas être abaissés ; comme le déclare le Tax Justice Network, « si les entreprises sont en difficulté, elles ne feront plus de profits » et « certaines entreprises tireront leur épingle du jeu pendant cette catastrophe »
Tous les segments de l’économie ne sont pas affectés. Les secteurs qui concentrent le plus d’argent et qui génèrent des profits colossaux doivent continuer à être imposés. Nous nous trouvons face à des circonstances exceptionnelles qui exigent des mesures exceptionnelles.
Sur le court et le moyen termes, les gouvernements doivent prendre des mesures extraordinaires afin d’imposer celles et ceux qui en ont les moyens, et ainsi de financer les plans d’assistance financière aux systèmes de santé et les mesures de sauvetage économique dans le monde entier.
Oxfam recommande aux gouvernements de prendre les mesures suivantes dans les plus brefs délais : « ¢ Introduire un impôt temporaire sur les bénéfices excédentaires pour toutes les entreprises générant des profits colossaux ; lors de la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont mis en place un taux d’imposition de 80 % sur les bénéfices excédant un rendement annuel de 8 % . »¢ Augmenter fortement les impôts sur la fortune, et ce immédiatement, pour aider à financer les plans de sauvetage et la reprise économique.
« ¢ Mettre en œuvre la taxe sur les transactions financières, un petit impôt sur chaque transaction financière qui pourrait générer des dizaines de milliards de dollars et freiner la spéculation financière . »¢ Activer la taxe sur les ventes numériques pour les entreprises reposant fortement sur le numérique .« ¢ Introduire des impôts sur les produits de luxe et à forte intensité de carbone, par exemple avec un impôt sur l’achat de véhicules tout-terrain de loisir (SUV) . »¢ Adopter, de manière coordonnée, des impôts sur les sociétés fixés à des niveaux suffisants et équitables, au cas par cas selon le pays, et sur la base de l’affectation juste des profits dans chaque pays.
« ¢ Accélérer la mise en place de mécanismes d’échange automatique d’informations dans les pays en développement et publier des rapports sur les activités des multinationales dans chaque pays afin de récupérer l’argent envoyé dans des paradis fiscaux. »¢ Exiger un reporting public ventilé par pays de la part de toutes les grandes entreprises.
"¢ Commencer les négociations pour la ratification d’un accord mondial de fiscalité écologique (taxes carbone transfrontalières).
Une fois la crise immédiate maîtrisée, les gouvernements se sentiront obligés de récupérer les recettes fiscales qui auront chuté du fait de la crise économique et du plan de relance. A ce moment-là , ils devront veiller à redresser les déséquilibres qui existaient déjà avant la crise pour regagner la confiance des citoyens dans les systèmes d’imposition, notamment en mettant un terme aux incitations fiscales inefficaces, en déplaçant le poids de l’impôt des travailleurs/euses au capital, en introduisant une exigence de reporting public par pays pour les grandes entreprises, en annulant les allègements fiscaux accordés aux industries polluantes et en adoptant des mesures de fiscalité écologique.
SAISIR L’OPPORTUNITÉ D’UNE GÉNÉRATION POUR UN MONDE PLUS JUSTE
Cette crise a dévoilé la vulnérabilité des nations même les plus riches du monde. Elle met en évidence toute la faiblesse du nationalisme étroit et les dommages causés par des décennies d’effritement des capacités des États. Elle montre comment les inégalités profondes et grandissantes compromettent notre capacité à faire face à des menaces existentielles.
Cependant, elle prouve que nous sommes capables de nous mobiliser collectivement à grande échelle. Elle rend l’impossible possible. Elle révèle que ce qui compte vraiment, ce sont les vies humaines. Elle révèle le formidable pouvoir de la solidarité et de l’action collective menée par les gouvernements. Cependant, si les gouvernements ont commencé à agir avec détermination
au niveau national, la solidarité internationale à grande échelle manque encore à l’appel.
Après la crise de 2008, force est de constater que peu de leçons ont été retenues. En dépit d’un niveau inouï d’action collective menée par les gouvernements, et même si l’on déplore un échec évident du modèle économique, les dirigeants ont continué de mettre en œuvre ces mêmes politiques destructrices et sources de division qui ont mené à la crise en premier lieu. Les dirigeants se sont accrochés à des politiques économiques profondément inégales et non durables, qui accélèrent les inégalités et mènent au dérèglement climatique. Cela a eu des conséquences négatives sur les femmes en particulier. Une décennie d’austérité et de politique économique défaillante a nui aux citoyens ordinaires et a fragilisé nos sociétés en propulsant la montée d’un dangereux nationalisme de droite, une régression de la démocratie et une réaction violente contre les mouvements féministes.
Cette situation n’est pas une fatalité. Nous pouvons reconstruire un monde meilleur. Un monde plus juste. Un monde plus durable. Un monde qui réduit radicalement l’écart entre les riches et les pauvres. Un monde dans lequel la vie de nos enfants et des futures générations n’est pas menacée. Un monde dans lequel les plus riches paient leur juste part d’impôt pour contribuer à des solutions collectives face aux grands défis de l’humanité. Un monde dans lequel les gouvernements sont tenus de rendre des comptes aux citoyennes et citoyens. Un tel monde demande impérativement des soins de santé et une protection sociale universels.
Mais au-delà de ça, ce monde doit nous donner les moyens d’agir pour mettre un terme au dérèglement climatique. Ensemble, nous pouvons nous servir des leçons que nous retiendrons de cette crise afin de construire une économie plus humaine et un monde plus juste.
- 1. Reconstruire mieux
Profiter de ce moment d’action gouvernementale sans précédent pour transformer définitivement nos économies de manière à réduire radicalement les inégalités et à remporter la lutte contre le dérèglement climatique. - 2. La santé pour toutes et tous
Veiller à ce que chaque personne dans le monde a accès à des soins de santé universels et que l’humanité est prête à faire face à toute autre épidémie. - 3. Une économie centrée sur l’humain
Garantir dès à présent que les réponses d’urgence d’aujourd’hui seront financées par une imposition plus juste des individus et entreprises les plus riches, et non par le retour brutal de l’austérité.