Ecrit le 3 mars 2020
Plusieurs drames se sont joués autour de la période du confinement.
– le drame des morts, bien sûr. On en compte plus de 370 000 dans le monde.
– le drame des familles qui n’ont pu se réunir pour vivre ensemble une période si difficile.
– le drame des soignants, épuisés par le travail et en situation de stress devant une maladie inconnue et massive.
– et puis, plus silencieux, le drame des personnes âgées confinées dans les EHPAD.
Une enquête de la Drees (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), réalisée entre 2015 et 2016, donc avant la pandémie, compare l’état de santé psychologique des personnes âgées vivant à domicile et en maison de retraite. Elle révèle que parmi les plus de 75 ans, un tiers des résidents d’établissements sont en situation de détresse psychologique (signes de dépression ou d’anxiété), contre un quart des seniors vivant à domicile. Fatigue, lassitude, épuisement, manque d’appétit, problèmes de sommeil, besoin de motivation pour effectuer des activités quotidiennes Près de la moitié des résidents consomment des antidépresseurs (47%), soit presque trois fois plus que les personnes qui vivent chez elles (14%). La Drees ajoute que ces chiffres sont probablement sous-estimés, certaines personnes ne déclarant pas être dépressives, car elles n’ont pas conscience qu’elles en souffrent. Or l’état psychologique des résidents dépend de leur état de santé, mais aussi des relations sociales.
« Selon une étude du Centre chinois de prévention des maladies, le taux de mortalité du coronavirus chez les personnes âgées de plus de 80 ans s’élève à 14,8 % mais n’atteint que 0,2 % chez les malades de 30 à 39 ans », rapporte le néphrologue et pharmacologue Gilbert Deray, chef du service de néphrologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Et les conditions de vie en collectivité, ajoutées aux va-et-vient du personnel soignant, favorisent la propagation de la maladie. Mais avec le confinement, les personnels ont dû faire face à un nouveau casse-tête : aider les pensionnaires à maintenir leur lien vital avec le monde extérieur, et notamment leurs proches. « En cette période d’épidémie, où il n’y a plus d’autre contact physique que la toilette, où on leur parle à travers des masques, c’est vraiment dur pour eux. Le confinement et la solitude peuvent faire réapparaître des troubles du comportement, un arrêt de l’alimentation, un laisser-aller. Ce sont les liens qui font que ces personnes tiennent. Quand vous savez que votre fils va venir vous rendre visite, vous vous apprêtez, vous allez essayer de paraître en forme. Si vous ne voyez personne, pourquoi vous laver, vous habiller, sortir de votre lit ? ».
La situation est surtout difficile pour les personnes souffrant de troubles cognitifs, qui déambulent beaucoup et ne comprennent pas pourquoi elles ne peuvent plus quitter leur chambre. Les ARS (agences régionales de santé) sont allées jusqu’Ã préconiser l’emploi de méthodes de contention, ce qu’on appelait autrefois : les camisoles de force. En somme c’est la santé au prix de la liberté d’aller et venir. Mais ce n’est pas nouveau, En 2019, des témoignages accablants émanant de familles et de soignants ont inondé la presse, évoquant plusieurs cas de maltraitances institutionnelles sur fond d’un abyssal manque de moyens : aides-soignantes seules pour s’occuper de trente patients souffrant de la maladie d’Alzheimer , toilettes bâclées par manque de temps, repas administrés en dix minutes
Dans son avis Enjeux éthiques du vieillissement de février 2018, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) y voit une conséquence de « l’âgisme » : autrement dit la discrimination de personnes du fait de leur grand âge : à l’origine de « l’isolement dans un lieu (souvent l’Ehpad) où sont concentrés volontairement les »sujets à problèmes« que sont devenues les personnes âgées ».
Michèle Delaunay, ancienne ministre, veut rester optimiste et voir dans le drame des Ehpad l’amorce d’une nouvelle politique à l’égard des personnes âgées. « Nous devons profondément repenser le modèle des Ehpad, dit-elle. Pour qu’ils deviennent de nouveaux centres de ressource et de soutiens ». Une chose est certaine pour Michèle Delaunay : « ce qui s’est passé n’est pas tolérable ».
Changer les mots
Changer les pratiques, cela se retrouve dans les mots. La problématique est réelle dans le secteur de la personne âgée.
Éric Fregona directeur adjoint de l’association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) explique : « nous travaillons sur le sujet de l’âgisme depuis de nombreuses années. Quatre experts du secteur ont décidé de croiser leurs réflexions afin de faire émerger une liste de mots, non figée dans le temps, pouvant conduire à une réflexion concertée. Nous sommes dans une société qui discrimine les personnes selon leur âge. Nous le constatons dès 50 ans, dans le milieu du travail. Mais c’est encore plus prégnant lorsqu’on atteint un âge avancé et en situation de vulnérabilité ».
Cette discrimination est reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ainsi que par les institutions européennes.
La France est en retard sur le sujet, nous le constatons dans les moyens consacrés à l’accompagnement des personnes âgées : 1,5 point de notre produit intérieur brut (PIB) y est dédié, alors que les pays du nord de l’Union européenne y consacrent 3 à 4% de leur PIB. Sans surprise, il y a une corrélation directe entre le regard que la société porte sur les personnes âgées et l’effort consenti en termes d’investissements par les pouvoirs publics. « Nous avons encore cette sensation que les seniors sont considérés comme une charge pour la société. d’ailleurs, on parle de »prise en charge« et non »d’accompagnement des personnes âgées« . Il faut changer ce regard ».
De quelle manière ?
Il ne faut plus concevoir la politique des personnes âgées comme un coût lié à une charge, mais comme un investissement pour le pays. Et nous pensons que pour sensibiliser le grand public, il faut commencer par modifier les mots utilisés, notamment par l’ensemble des professionnels au contact des personnes âgées, mais aussi par chacun d’entre nous, afin d’être dans une approche plus empathique et respectueuse.
« c’est le cas, par exemple, de l’EHPAD établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Ce terme est affreux, notamment la lettre D qui renvoie à la dépendance. c’est un mot que nous ne voulons plus jamais entendre. Nous sommes tous dépendants les uns des autres, à un certain moment de notre vie. Donc résumer une personne âgée fragile, vulnérable, au mot »dépendant« est très réducteur et connoté négativement. Après avoir été aidées pour se laver ou pour manger, les personnes âgées aspirent à autre chose. Elles sont dans la quête du bonheur, du plaisir, du goût, de l’échange. Donc même si elles agissent plus lentement en raison de leur âge, il faut continuer à les considérer et ne pas les »réduire« à des personnes dépendantes. L’expression »maison de retraite« serait davantage adaptée » c’est celle qu’on utilisait autrefois !
Éric Fregona poursuit : « Cela pose la question plus globale de la possibilité de vivre »chez soi« toute sa vie : même si le chez soi est collectif : Nous estimons que les établissements devraient évoluer, être transformés, pour ne plus être dans une logique de »blouses blanches« et de »charriots« , mais dans une démarche d’accompagnement individualisé. Il faudrait sortir les établissements médicalisés du champ des contraintes médico-sociales et enlever le poids de l’institution. Le personnel devrait pouvoir délivrer des services à la personne afin d’être dans l’individualisation de l’accompagnement, sur le modèle des résidences de services pour seniors par exemple, qui se sont d’ailleurs développées en réponse à un besoin exprimé par la population » . Cela rejoint la question de la considération que nous accordons aux personnes âgées, qui sont davantage en recherche de liberté plutôt que de sécurité. « Actuellement nous voulons sécuriser les personnes âgées, car nous tenons à elles, mais en les sécurisant, nous les enfermons ».
Les mots qui font mal
Il faut veiller aussi à ce qu’on dit. On parle parfois des personnes Alzheimer ! « Ce n’est plus possible, nous ne pouvons plus accepter d’appeler les personnes par le nom de leur maladie. On ne dit pas une personne Sida ou une personne cancer ! Le champ du handicap est en avance par rapport à l’usage des mots. Ils se sont interrogés sur ces questions depuis longtemps, ce qui a permis de changer le regard. c’est d’ailleurs pour cette raison que, depuis de nombreuses années, nous parlons d’une personne en situation de handicap et non plus d’une personne handicapée. En psychiatrie aussi, les termes ont été affinés. On parle désormais de troubles autistiques, de troubles bipolaires. Il s’agit de personnes à part entière qui présentent des troubles. Se réapproprier les mots permet de redonner vie à ces personnes. Ce n’est pas rien de changer les mots ».
Source : espaceinfirmier.fr
Propos recueillis par Laure Martin
Modes de vie
La plupart des personnes âgées souhaiteraient continuer à vivre, voire mourir chez elles. Quand cela n’est plus possible, il existe des solutions alternatives à l’Ehpad, comme les résidences-services ou les résidences-autonomie ou l’habitat intergénérationnel [où une personne âgée en héberge une plus jeune pour bénéficier de sa compagnie et de menus services], ou l’accueil familial [où une famille habilitée accueille chez elle une ou plusieurs personnes âgées]
Toutes permettent d’améliorer l’intégration des personnes âgées dans la société tout en respectant leurs rythmes.
Cinquième branche
Selon l’aFP, le ministre des solidarités et de la santé Olivier véran devrait proposer la création d’une cinquième branche de la sécurité sociale pour faire face aux dépenses liées à la perte d’autonomie.
Michelle Meunier, sénatrice de Loire-Atlantique, présente ainsi ces enjeux : « Qui peut prendre soin de mes parents ? Ai-je les moyens de leur permettre de vieillir dignement ? Comment la société m’accompagne-t-elle ? Comment les aider à choisir s’ils vont vieillir à l’EHPAD ou faire perdurer leur quotidien au domicile ? La future loi Grand âge et autonomie doit permettre de répondre aux questions qui tourmentent les familles et les personnes âgées. Des moyens supplémentaires devront y être consacrés. »
Michelle Meunier a remis, en avril 2019, avec son collègue le sénateur Bernard Bonne (Les Républicains, Loire) un rapport sur le financement du reste à charge des dépenses d’autonomie pour les personnes âgées. Le coût de prise en charge s’établit à 30 milliards d’euros annuels, dont 23 assurés par les dépenses publiques et 7 milliards restant à la charge des 1,2 millions de personnes dépendantes. En 2060, ces dépenses pourraient avoisiner les 50 milliards d’euros pour 2 millions de bénéficiaires.
L’enjeu est donc d’y consacrer entre 1,4 % (aujourd’hui) et 2,8 % du PIB (en 2060). Selon Michelle Meunier, « Il faut augmenter la part de nos richesses affectées au financement de la perte d’autonomie. Cet effort n’est pas insurmontable. J’ai d’ailleurs plaidé en avril 2019 pour la mise en place d’une cinquième branche de la sécurité sociale, par une assurance dépendance généralisée, obligatoire et par répartition. ». Le rapport sénatorial préconisait une entrée précoce dans le système de cotisation et suggérait de moduler leur montant en proportion de tous les revenus de l’assuré. « d’un point de vue démocratique, la gestion de cette branche doit être publique, intégrée à notre système de sécurité sociale et permettre l’expression de ses usager·ère·s. »
La loi Grand Age
Lancée en octobre 2018, la concertation « Grand âge et autonomie » s’est achevée le 28 mars 2019 avec la remise du rapport à la ministre par Dominique Libault, pilote de la concertation. Une concertation citoyenne en ligne Comment mieux prendre soin de nos aînés ? a permis à 410 000 participants de faire 18 000 propositions.
Parmi les 175 propositions formulées, 10 propositions clés sont mises en avant :
1 - La création d’un guichet unique pour les personnes âgées dans chaque département, avec la mise en place des Maisons des aînés et des aidants
2 - Un plan national pour les métiers du grand âge pour lancer une mobilisation large, dans la durée, en faveur de l’attractivité des métiers du grand âge et d’une meilleure structuration de la filière
3 - Un soutien financier de 550 millions d’euros pour les services d’aide et d’accompagnement à domicile, afin d’améliorer le service rendu à la personne âgée et de revaloriser les salaires des professionnels
4 - Une hausse de 25 % du taux d’encadrement en EHPAD d’ici 2024 par rapport à 2015, soit 80 000 postes supplémentaires en proximité de la personne âgée, pour une dépense supplémentaire de 1,2 milliard d’euros
5 - Un plan de rénovation des locaux de 3 milliards d’euros sur 10 ans pour les EHPAD et les résidences autonomie
6 - Améliorer la qualité de l’accompagnement et amorcer une restructuration de l’offre, en y consacrant 300 millions d’euros par an, vers une plus forte intégration entre domicile et établissement, des EHPAD plus ouverts sur leur territoire
7 - Une baisse du reste à charge mensuel de 300 € en établissement pour les personnes modestes gagnant entre 1000 et 1600 € par mois
8 - Une mobilisation nationale pour la prévention de la perte d’autonomie, avec la sensibilisation de l’ensemble des profes - sionnels et la mise en place de rendez-vous de prévention pour les publics fragiles
9 - L’indemnisation du congé de proche aidant et la négociation obligatoire dans les branches professionnelles pour mieux concilier sa vie professionnelle avec le rôle de proche aidant
10 - La mobilisation renforcée du service civique et, demain, du service national universel, pour rompre l’isolement des personnes âgées et favoriser les liens intergénérationnels.
Richesse humaine et gagne misère
Le souci des personnes âgées ne peut être séparé de l’intérêt porté à ceux qui les soignent, que ce soit en institution ou à domicile. Le taux de pauvreté des intervenants à domicile est de 17,5 % contre 6,5 % pour l’ensemble des salariés. « 62 % des intervenants à domicile appartiennent aux 40 % des ménages les plus modestes », souligne le rapport sur l’attractivité des métiers du grand âge, remis au Premier Ministre en octobre 2019, en relevant que les « salaires de base des premiers niveaux d’emplois sont inférieurs au smic » dans plusieurs conventions collectives.
Il faudra aussi s’attaquer au problème du temps partiel, qui concerne 79 % des salariées du domicile. Le plus souvent contre leur volonté. Un métier où on commence tôt et on finit tard mais avec « pas mal de trous dans la journée ». Sans pouvoir toujours rentrer chez soi. En conséquence, le quotidien d’une auxiliaire à domicile, c’est de « passer des heures sur des parkings, enfermée dans la voiture, à déjeuner d’un sandwich, en attendant la prochaine intervention ». Tout en assumant elle-même les frais d’entretien d’un véhicule indispensable dans la profession. Surtout en zone rurale où, reconnaît le rapport, les accompagnants à domicile ont des « frais importants » et « insuffisamment indemnisés ».
Quelques propositions :
Ouvrir 18 500 postes supplémentaires par an d’ici fin 2024 et former 352 000 aides-soignants et accompagnants environ dans les cinq prochaines années.
Lancer un programme national de lutte contre la sinistralité de ces métiers, où le nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles est trois fois supérieur à la moyenne nationale.
Imposer quatre heures de temps collectif par mois : le but est de favoriser les groupes de parole et d’échanges de bonnes pratiques. « Au domicile, on se sent souvent très seule », dit une auxiliaire de vie.
Ce rapport a été remis au ministère de la santé le 29 octobre 2019. Il n’a pas fait grand bruit, on n’a pas vu le début d’un commencement de réalisation. Il a fallu attendre le drame du Covid-19 pour qu’on espère des changements à moins qu’on n’oublie encore .