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Ecrit le 17 mars 2021
Certaines déclarations permettent d’entrer dans le vif du sujet de l’âgisme. Telle celle de Jean Castex, Premier ministre, lors de sa conférence de presse du 27 août 2020 : « Évitons que Papi et Mamie aillent chercher leurs petits-enfants à l’école. »
Extraits d’un texte de Jérôme Pellissier
Écrivain, docteur et chercheur en psycho-logie, vice-président de l’Observatoire de l’âgisme. Source :la revue Pratiques.
La phrase cumule deux caractéristiques de l’âgisme : on ne parle pas directe-ment à la personne mais à ses proches, on utilise pour la nommer un vocabulaire particulier familier qui révèle deux de ses constantes : l’infantilisation et la suspicion
d’incapacité.
Le terme agisme formé sur le principe des mots sexisme ou racisme, englobe toutes les formes de préjugés ou de discrimination basées sur l’âge. Le terme est surtout employé dans le cadre d’action ou de campagnes centrées sur les personnes âgées ou les seniors. C’est le critère de l’âge qui constitue l’âgisme et non le fait qu’il touche tel ou tel groupe (« les jeunes », « les seniors », « les personnes âgées », etc.).
En Europe, l’âge constitue le facteur de discrimination le plus important, loin devant le genre, l’origine ethnique ou la religion. Pourtant, il existe bien peu de politiques de lutte contre l’âgisme en com-paraison de celles visant à lutter contre les autres formes de discriminations. Il semble donc que l’âge soit le facteur de discrimination le plus quantitativement important, mais le mieux : individuelle-ment et socialement - toléré.
On retrouve dans l’âgisme comme dans le racisme ou le sexisme, de semblables mécanismes,
Le premier est la focalisation : on centre le regard et l’attention sur une seule caractéristique de la personne (ici son âge). On le retrouve par exemple systé-matiquement dans ces articles de presse qui, relatant un accident de la route, commencent par indiquer l’âge du conducteur dès qu’il se situe au-delà de 60 ou 70 ans.
Très souvent, cette focalisation conduit à un deuxième processus : la réduction de l’individu à cette caractéristique. Il n’est plus un être complexe, multiple, que de nombreux aspects (son mode de vie, ses convictions, ses revenus, ses activités, etc.) permettraient d’approcher, mais « un jeune », « un quadra », « une personne âgée ». Une caractéristique soudain censée le résumer, voire le définir ; une caractéristique soudain censée, si ce n’est tout dire de lui, du moins en dire bien assez.
Remarquons en passant que la « personne âgée », comme la « personne de couleur », offre le sous-entendu implicite que les autres n’ont pas d’âge ou pas de couleur.
Après avoir ainsi réduit l’individu, on peut le faire disparaître dans la masse de ses (supposés) semblables : puisque parta-geant cette même caractéristique. c’est l’uniformisation : et voici « les jeunes », « les vieux »... Des catégories qui, aussitôt créées, vont être utilisées pour servir de base à des affirmations n’ayant rien à voir avec l’âge : sur le versant sociologique (les personnes âgées votent à droite et souffrent de solitude, tandis que les jeunes aiment faire la fête et le progrès technologique) ou psychologique (les personnes âgées sont égocentristes et radines, tandis que les jeunes sont impulsifs et tolérants). On trouve même encore des chapitres de livres sur « la psychologie de la personne âgée » comme on trouvait jadis des textes sur « la psychologie de la femme » ou celle du « sauvage ». Dans ce processus, on prend toujours les gens « en gros » : « les personnes âgées » sous-entend en effet semblables caractéristiques pour toutes les personnes ayant entre 70 et 110 ans, soit quarante ans et deux générations d’écart.
Dernier processus à l’œuvre dans cette mécanique âgiste : la stigmatisation. La majorité des caractéristiques qui sont ainsi associées à telle ou telle catégorie de personnes réunies par leur âge sont en effet des stéréotypes négatifs et stigmatisants. L’essentiel n’est pas tant le contenu du stéréotype, mais bien le processus par lequel l’âge fait la personne et la désindividualise.
Stéréotypes
Nous pourrions faire de longues listes des stéréotypes, de ceux qui touchent surtout les « personnes âgées ». qu’il s’agisse de conduite automobile (tous les vieux conduisent mal, lentement, et dangereu-sement) ou d’économie (individuellement ils sont radins et avares, collectivement ils coûtent plus qu’ils ne dépensent et vivent aux dépens des actifs, etc.). Aux vieux et à la vieillesse est associé tout ce qui est lent, tourné vers le passé, malade, fermé, figé, rigide, etc.
Attitudes
Les stéréotypes âgistes, non seulement déforment les réalités psychologiques ou sociologiques, mais modèlent nos actions et nos conduites.
Les conséquences de la suspicion d’incapacité, du soupçon que les vieux sont tous en perte d’autonomie psychique, se retrouvent partout. Citons cette banque qui, en Belgique il y a quelques années, avait plafonné les montants de retrait des cartes bleues de tous les clients âgés ; ces départements français qui, en 2020, en collaboration avec la police et le ministère de l’Intérieur, lançaient une grande campagne d’affichage dont le dessin montre une petite fille qui sermonne son grand-père : « Papi, n’ouvre pas aux inconnus ! », Les pouvoirs publics qui, globalement, ne cessent de dire aux « personnes âgées » ce qu’elles doivent faire sans jamais les associer aux réflexions et décisions, baignent en permanence dans l’âgisme.
Mais revenons à la suspicion d’incapacité. A partir de quel âge, par exemple, quand un professionnel de santé reçoit un enfant (jeune) et son parent (adulte), s’adresse-t-il enfin directement à l’enfant ? Au-delà de quel âge, quand il reçoit un parent (âgé) accompagné par un proche (adulte jeune), s’adresse-t-il surtout à l’enfant accompagnateur ?
Des études, menées avec des professionnels de santé, ont mesuré comment les conduites âgistes modifient le comportement de ceux qui en sont victimes. Elles montrent qu’il suffit de trop aider une personne pour provoquer une diminution de ses capacités. Elles montrent qu’il suffit de penser que la personne âgée (donc forcément un peu sourde, ralentie, voire pré-Alzheimer !) qui nous fait face ne peut pas bien comprendre ce que nous lui expliquons pour que nous lui parlions « petit vieux » (plus fort et plus lentement, avec des phrases courtes et des répétitions), ce qui va l’amener à moins s’exprimer, moins poser de questions, etc.
« Papi, pas école ! » comme dirait sans doute notre Premier ministre s’il s’adressait directement aux grands-pères.
c’est vrai au quotidien, en famille, comme c’est vrai dans le domaine de l’accomagnement, du soin et du prendre soin, où les stéréotypes âgistes ont souvent des conséquences dramatiques.
Évoquons quelques phénomènes :
Concernant les liens entre vieillesse et dépression, il est bien possible que l’âgisme explique en partie la réalité du sous-diagnostic de la dépression chez les
personnes âgées. Le stéréotype, très répandu, qui veut que la vieillesse soit forcément une période « triste et déprimante » conduit ainsi à banaliser certains symptômes quand le patient est (très) âgé. Qui, parmi nous, dans son for inconscient, ne pense pas une forme de : « Être vieux c’est déprimant ; donc un vieux déprimé, c’est normal » ? La dépression, surtout quand elle n’est pas repérée, peut conduire au suicide. Là , c’est un autre phénomène qui apparaît, très lié à l’âgisme également : plus la personne qui se suicide est âgée, plus son suicide est décrit (dans les médias notamment) comme un choix, digne et respectable, un acte de courage et de liberté. A 30 ans c’est un drame, à 80 ans une libération.
« Le gynéco que j’ai vu m’a dit que j’avais un cancer. Il m’a précisé : »On peut vous guérir mais il va falloir enlever le sein.« Je n’étais pas contente. Il m’a répondu : »A l’âge que vous avez ce n’est pas un problème« » Ce témoignage, rapporté dans l’étude La « maltraitance ordinaire » dans les établissements de santé (Haute autorité de santé, 2009), est symptomati-que d’un phénomène qui va bien au-delà du domaine de la sexualité, jusqu’à la question de la valeur que nous accordons, en fonction de son âge, à la santé ou à la vie d’une personne.
L’âgisme fait aussi des ravages dans le domaine de la sexualité, où l’on observe de fortes tendances à nier, voire à empêcher la vie sexuelle des personnes considérées comme âgées. Un phéno-mène qui se constate à tous les niveaux. Ces discriminations officielles témoignent de ce phénomène particulièrement redou-table : l’âgisme conduit certains enfants, à changer leur parent d’Ehpad pour l’empêcher de poursuivre une nouvelle relation amoureuse, en passant par les attitudes de certains professionnels de la gérontologie, qui traitent par l’infantili-sation, la moquerie ou le mépris toutes formes d’activité sexuelle. Il faut dire que la gérontologie et la gériatrie ne les aident pas : dans des listes classiques de « troubles du comportement », on trouve la mention de l’hypersexualité, mais jamais celle de son contraire. Du coup, dans la majorité des Ehpad, comme dans la majorité des familles, qu’une personne cesse d’avoir une vie sexuelle n’interroge absolument pas.
Discriminations
Les stéréotypes âgistes, la moindre considération pour des personnes du fait de leur âge, nourrissent et entretiennent ainsi des discriminations. La plus célèbre, en France, est celle qui, à handicap et besoin d’aide équivalents, distingue les personnes de moins de 60 ans et les per-sonnes de plus de 60 ans. Ces dernières n’accèdent pas aux mêmes dispositifs : l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), contrairement à la Prestation de compensation du handicap (PCH), est plafonnée, « A l’âge que vous avez ce n’est pas un problème. » et ne permet donc pas de financer l’ensemble des besoins d’aide. J’insiste : à handicap et besoin d’aide équivalents. Car c’est bien là qu’est l’âgisme : dans le fait que c’est l’âge, et seulement l’âge, et non la situation de la personne, qui produit la différence de traitement.
Faisons un peu de politique-fiction, sous la forme de quelques questions : si le directeur de l’aP-HP, Martin Hirsch, au lieu de dire (sur France Inter, le 27 juillet 2010) « Il faut refaire le suffrage censitaire et donner deux voix aux jeunes quand les vieux n’en ont qu’une. Il faut donner autant de voix qu’on a d’années d’espérance de vie », avait promu plutôt de donner deux voix aux riches, ou aux pères de famille nombreuses, ou aux catholiques, serait-il encore directeur de l’aP-HP ? Si la maladie d’Alzheimer touchait surtout les quadragénaires, les Ehpad : qui sont en réalité des services de gériatrie et de psycho-gériatrie fonctionnant avec les moyens adaptés à des maisons de retraite occupationnelles des années 1970 : seraient-ils aussi so-cio -économiquement délaissés ?
© Atelier Claude Francheteau
Et que penser du fait que les principaux acteurs de la lutte contre l’âgisme touchant les vieux sont, en France, non des vieux se saisissant eux-mêmes de ce
combat, mais... des professionnels de la gérontologie et de la gériatrie ! Un peu comme si les principales forces du militantisme féministe étaient des associa-
tions de gynécologues ou d’obstétriciens. Impensable ici, banal là .
On peut se demander également si de telles catégories n’empêchent pas de s’intéresser à l’essentiel. Certes, globale-ment, statistiquement, les personnes de plus de 65 ans sont plus fragiles face à certaines maladies... que des quadra-génaires. Mais il suffit que le septuagénaire soit plus mince et sportif qu’un quadragénaire (en surpoids, ou qui fume, ou...) pour que l’un soit moins fragile que l’autre. Est-ce que la fragilité ou la vulnérabilité (avec toutes leurs com-posantes) ne permettraient pas de mieux penser et agir ? Certes, théoriquement, globalement, les personnes âgées de 15-18 ans ont de moins bonnes capacités d’autonomie psychique, ou s’intéressent moins aux affaires publiques, à la politique, que les personnes adultes. Mais bien des adultes sont moins psychi-quement autonomes et plus politiquement indifférents que bien des jeunes âgés de 15-18 ans. Y aurait-il intérêt politique à enfermer les jeunes dans leur statut de mineurs, comme les plus vieux dans leur statut d’inactifs ?
Grandir-vieillir
Malgré la thématique de ce numéro de Pratiques, Jérôme Pellissier a trouvé important d’évoquer aussi l’âgisme touchant « les jeunes ». d’abord parce que cette catégorie de la population est, avec celle des personnes dites âgées, la plus victime d’âgisme. Les deux se retrouvent en effet, dans le chaudron âgiste, très proches : les infantiles et incapables côtoient les gâteux et incapables dans cette grande masse, méprisée, des personnes perçues comme dépendantes et sous tutelle.
Ensuite parce que l’un des ressorts de l’âgisme est de nous conduire justement à séparer les gens et à les catégoriser selon leur âge chronologique et biologique. A séparer le grandir et le vieillir.
Il est essentiel de rappeler que les enfants vieillissent, et seraient bien plus socia-lement autonomes si on leur permettait de l’être, et que les vieux grandissent : ou plutôt, qu’ils seraient bien plus nombreux à continuer à grandir si notre culture ne passait pas son temps à les convaincre qu’ils sont depuis longtemps achevés.
Se reporter au site internet :
A lire aussi : le rapport mondial sur le vieillessement et la santé :
https://www.who.int/ageing/publications/world-report-2015/fr/
Les personnes âgées qui pensent être un fardeau pour les autres perçoivent également leur vie comme ayant moins d’importance, ce qui les expose au risque de dépression et d’isolement social. La recherche montre que les personnes âgées ayant des attitudes négatives vis-Ã -vis du vieillissement pourraient vivre 7,5 années de moins que celles ayant des attitudes positives.
Ecrit le 17 mars 2021
PCH et APA
Hélène est en fauteuil roulant mais n’a obtenu aucun financement pour aménager son logement ; elle avait plus de 60 ans lorsque sa maladie a été diagnostiquée, trop tard pour être considérée comme « handicapée ».
Si le handicap survient avant 60 ans, la personne peut bénéficier, à vie, de la Prestation de compensation du handicap (PCH). Dans le cas contraire, elle sera éligible seulement à l’Allocation personna-lisée d’autonomie (APA), versée aux personnes âgées dépendantes. Or les deux prestations sont d’une nature et d’un montant différents. La PCH permet de financer l’aménagement du logement ou du véhicule, mais aussi une aide humaine à domicile, théoriquement non plafonnée. L’APA s’avère, quant à elle, moins avantageuse.
L’article 13 de la loi du 11 février 2005 prévoyait, dans un délai de cinq ans, la suppression de toutes les barrières d’âge de cette nature. C’est-Ã -dire en 2010 ! Pourtant, rien n’a changé Une réforme de cette barrière d’âge est donc revendiquée par les associations du champ du handicap depuis des années.
Une proposition de loi prévoyant le report de cette barrière d’âge de 60 à 65 ans a été adoptée par les députés en février 2020, contre l’avis du gouvernement. Et adoptée par le sénat le 9 mars 2021. Maintenant il faut attendre qu’elle retourne devant les députés.
Une nouveauté : depuis le 1er janvier 2021, les personnes de plus de 75 ans, dont le handicap a été reconnu avant 60 ans pourront désormais demander la PCH sans limite d’âge.