Écrit le 12 mai 2021
Rapport sur les droits fondamentaux des personnes âgées en EHPAD.
Le défenseur des droits, autorité administrative indépendante chargée par la Constitution de veiller au respect des droits et libertés, est régulièrement saisi de réclamations de personnes accueillies en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) portant sur les atteintes à leurs droits et libertés. Il a été particulièrement interpellé à ce sujet depuis le début de la crise sanitaire liée à l’épidémie de la Covid-19.
Sur les six dernières années, le défenseur des droits a ainsi instruit plus de 900 réclamations de personnes contestant les modalités de leur accompagnement médico-social ou celui de leurs proches. 80 % de ces dossiers mettent en cause un EHPAD.
Lieux de vie collectifs dédiés à l’accompagnement médico-social des personnes âgées, les EHPAD ne cessent d’évoluer afin de répondre aux défis de l’allongement de l’espérance de vie et du nombre croissant de personnes âgées en situation de perte d’autonomie ou de handicap. La France est l’un des pays européens qui compte la proportion la plus élevée de personnes âgées en EHPAD (8,8 % des 75 ans et plus). Près de 7 600 EHPAD accueillent plus de 600 000 personnes âgées en perte d’autonomie ou handicapées qui sont majoritairement des personnes en situation de vulnérabilité : 80 % sont classées en GIR 1 à 4, 260 000 souffrent d’une maladie neurodégénérative et 28 % sont sous régime de protection juridique des majeurs.
Les besoins en soins et les niveaux de dépendance des résidents continuent à progresser. Selon les projections de la DREES, en 2050, les plus de 60 ans seront 25 millions, dont 4 millions en situation de perte d’autonomie ou de handicap. Le défi des EHPAD consiste dès lors à garantir un juste équilibre entre, d’une part, la sécurité et la protection de leurs résidents, notamment ceux en situation de particulière vulnérabilité et, d’autre part, le respect de leurs droits et libertés.
Toutes les personnes accueillies en EHPAD ont le droit au respect de leur dignité et à la protection contre toute forme de maltraitance. Le respect de la dignité de la personne humaine constitue la base même des droits fondamentaux. Ce principe implique de ne pas réduire l’être humain à son corps en le traitant comme un objet et que la personne humaine ne soit pas instrumentalisée ni « utilisée simplement comme un moyen, mais toujours comme une fin ». Il exige également que les besoins vitaux de la personne soient assurés.
Pourtant, les situations portées à la connaissance du défenseur des droits montrent que la réalité n’est pas toujours conforme à ce principe. En dépit de la reconnaissance juridique du droit de toute personne humaine au respect de sa dignité et de son intégrité, le défenseur des droits constate au travers des réclamations dont il est saisi, qu’il arrive que les comportements adoptés pendant l’accompagnement quotidien du résident négligent ces droits fondamentaux, en particulier lorsque les considérations d’ordre organisationnel et budgétaire deviennent prédominantes. La grande majorité des professionnels font de leur mieux, avec un engagement qui doit être salué, mais souvent le manque de moyens ne leur permet pas toujours d’accompagner les résidents comme ils le devraient et le souhaiteraient.
Le défenseur des droits a ainsi eu connaissance de plusieurs situations dans lesquelles, pour pallier le manque de personnel, des couches étaient systématiquement mises aux personnes âgées, sans considération de la réalité de leur situation. De la même manière, les horaires de lever et de coucher des résidents sont parfois fixés uniquement pour s’adapter aux emplois du temps des personnels.
A également été relevé à plusieurs reprises le non-respect des protocoles concernant l’hygiène, la fréquence des douches et des toilettes.
De tels actes, qui sont facilités voire rendus possibles par la vulnérabilité liée à la perte d’autonomie des personnes accueillies en EHPAD8, sont constitutifs de maltraitance et de discrimination. Les situations dont le défenseur des droits est saisi montrent que la maltraitance provient parfois d’actes individuels, plus ou moins conscients, mais aussi et surtout de carences de l’organisation liées à la pénurie de personnel, à la rotation importante, à l’épuisement des professionnels ou au manque d’encadrement.
Confrontées à des situations de maltraitance, les directions d’établissement sont parfois tentées de chercher un coupable unique afin de les réduire à des actes individuels. Or, la maltraitance institutionnelle s’ajoute à la maltraitance individuelle ; elle ne dilue pas les responsabilités individuelles mais souligne les responsabilités propres de l’institution dont la raison d’être est la protection des personnes vulnérables.
Il est en effet important de faire la distinction entre les actes de violence ou de négligence individuels en milieu institutionnel et la violence institutionnelle, où l’établissement lui-même engendre la violence ou la négligence.
La maltraitance peut être qualifiée d’institutionnelle chaque fois que l’institution laisse les faits perdurer sans réagir, notamment après de multiples signalements des familles des victimes. Les actes ou situations résultant du manque de moyens de l’établissement peuvent également être constitutifs de faits de maltraitance institutionnelle.
Dans un contexte budgétaire contraint, les EHPAD organisent le plus souvent leur offre de services selon une logique gestionnaire qui génère une standardisation des conditions de prise en charge. Or, une telle prise en charge ne peut pas répondre efficacement aux besoins individuels des personnes âgées vulnérables dans le respect de leurs droits et libertés.
La crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19 a mis en exergue les difficultés récurrentes auxquelles sont confrontés les EHPAD et les défaillances constatées par le défenseur des droits. Depuis le début de la crise, l’institution est encore davantage interpellée sur les atteintes aux droits et libertés des résidents en EHPAD, concernant plus particulièrement leur droit au maintien des liens familiaux, leur liberté d’aller et venir et le respect de leur consentement.
De nombreux exemples sont cités : réalisation de tests de dépistage sans consentement, maintien de restrictions de sorties pendant les périodes de déconfinement, interdiction des sorties à proximité, des visites de proches ou d’aidants familiaux pendant plusieurs semaines, impossibilité pour des familles de voir leur proche mort car immédiatement mis en bière, maintien des interdictions de sortie pour les résidants vaccinés.
Face à l’ampleur du sujet, le défenseur des droits a procédé à une analyse de l’ensemble des réclamations adressées à l’institution et réalisé, depuis le début de l’année 2019, des entretiens et des auditions d’associations, de syndicats, de fédérations, d’institutions et de professionnels des secteurs médico-social et sanitaire, mais également des visites au sein de plusieurs EHPAD.
Partant de ces constats, la défenseure des droits a décidé d’établir le présent rapport sur les droits et libertés fondamentales des personnes âgées accueillies en EHPAD et de formuler des recommandations afin d’en assurer l’effectivité.
« Les restrictions, qui peuvent être gravement attentatoires à la liberté, ne peuvent être laissées à la seule appréciation des directions d’Ehpad. Elles doivent faire l’objet d’un encadrement strict sur la base de l’égalité pour l’ensemble de la population », considère en outre l’institution.
Parmi les 64 recommandations du rapport figurent la nomination systématique d’un « référent consentement », la fixation d’un « ratio minimal de personnels travaillant en Ehpad » établi à 0,8 effectif à temps plein (ETP) par résident, ou encore de veiller à ce que les décisions liées au renforcement des mesures sanitaires soient « proportionnées » et prises « pour une durée déterminée ».

